Escroquerie sur Internet : Les ravages de la « fraude nigériane »
jeudi 31 juillet 2003
Il y a au moins un domaine « économique » où l’Afrique n’est pas classée parmi les dernières de la classe. C’est dans le genre d’escroquerie via l’Internet connue sous le nom de « fraude nigériane ». On l’appelle aussi « Advance Fee Fraud ».
Depuis la vulgarisation de l’Internet, le scam nigérian fait des ravages, même si ces derniers restent difficiles à évaluer. Avant qu’Internet soit entré dans l’usage public, les fraudeurs utilisaient, dans les années 1980 où certains situent l’origine de ces actes, le fax ou la voie postale. Le processus était plus lent, plus coûteux aussi. Et sans doute moins rentable. Mais, ça fonctionnait. En révolutionnant la manière de travailler des fraudeurs, l’Internet a multiplié leurs gains.
A présent, en un clic, ils ont la possibilité d’atteindre, pour l’envoi de leurs correspondances, des milliers de personnes. Sans frais de timbre, sans enveloppe et sans papier à lettre. Même si 98 % ou 99 % mettent ces courriers à la poubelle de leur PC, les 1 ou 2 %, ou même beaucoup moins, suffisent pour faire des affaires. Et certains en font !
Pourtant, les autorités, aussi bien nigérianes que d’autres pays, ne cessent de mettre en garde contre de telles arnaques. Le site officiel de l’Etat nigérian (www.nigeria.gov.ng), dès sa page d’accueil, à la rubrique « Information » et au lien « War Against Advance Fee Fraud », met en garde le public, « dans son propre intérêt, à ne pas être dupe de ces frauduleuses sollicitations », prenant soin de préciser également que « ni la Banque centrale ni le gouvernement fédéral du Nigeria ne peuvent être tenus pour responsables des conséquences issues de transactions frauduleuses effectuées dans une intention criminelle ». Le site publie en outre des modèles de lettres frauduleuses et des conseils de la Banque centrale sur la manière d’éviter d’en être victime.
Aux Etats-Unis où ces lettres font aussi de nombreuses victimes, les autorités leur consacrent du temps, et des mises en garde sont régulièrement faites dans le cadre de la lutte globale contre les fraudes sur Internet, dont la « fraude 419 » n’est qu’une partie. Dans le dernier rapport conjoint du National White Collar Crime Center et du FBI (« IFCC 2001 Internet Fraud Report - January 1, December 31, 2001 »), la fraude nigériane, avec 15,5 % des plaintes enregistrées aux Etats-Unis, arrivait en troisième position, derrière les plaintes contre les fraudes sur les ventes aux enchères (42,8 %) et les fraudes sur les marchandises non livrées ou paiements non effectués (20,3 %). Le même rapport révèle que quelque 2.600 personnes, aux Etats-Unis, ont eu des problèmes avec la fraude nigériane durant l’année 2001. De ce chiffre, 16 ont reconnu des pertes financières totalisant 345.000 dollars (200 millions de FCFA).
DES DOLLARS À… PERDRE
En surfant sur les websites consacrés à la lutte contre ces fraudes, on prend connaissance de quelques histoires pathétiques de victimes malheureuses. Ainsi un certain Ali-Reza Ghasemi et sa femme ont perdu, il y a trois ans, l’équivalent de 227 millions de FCFA. Un autre, Lester Turner, s’est fait avoir pour 28.000 dollars (16 millions de FCFA), alors qu’on lui en faisait miroiter une commission de 25 millions (plus de 14 milliards de FCFA).
De fait, il est possible que les plus grosses victimes de ces escroqueries soient des Américains. Normal, dira-t-on, ils sont les plus nombreux à surfer sur le web, d’une part, et, d’autre part, ils ont beaucoup de dollars à …perdre. Certaines sources estiment qu’ils perdent en moyenne 100 millions de dollars par an dans ces escroqueries (environ 60 milliards de FCFA). D’autres sources, comme le site Crimes-of-persuasion.com, évaluent ces pertes à un million de dollars par jour (600 millions de FCFA). Quels que soient les montants réels, difficiles de toute façon à déterminer, de tels chiffres révèlent l’ampleur du phénomène.
Les fraudeurs opèrent de partout, car Internet leur a donné un réel pouvoir. Ici, pas besoin de siège social ou de bureau. Il suffit d’aller dans un cybercafé pour pouvoir commettre ses forfaits tout à fait anonymement. Au Sénégal, même si aucune statistique n’est disponible, quant à leurs forfaits, il n’y a aucun doute que des victimes sont tombées, pour des sommes proportionnelles à la situation économique du pays. On sait que, dans ce genre de choses, au Sénégal comme ailleurs, rares sont les personnes qui ont le courage de porter plainte, craignant d’être la risée de la presse et de leur entourage, si ce n’est d’être accusées d’avoir voulu tremper dans des opérations louches. On préfère ainsi se taire.
LA JEUNE FILLE ET « L’HÉRITIÈRE »
Mais le récent article de « Sud Quotidien » (1), même s’il se concentrait sur les cartes de crédit, montre que les « fraudeurs nigérians » sont aussi bien là. Parfois aussi, certains échappent de peu à l’escroquerie, comme dans cette histoire que nous raconte M. K. Cissé, responsable de l’ONG Connexion sans frontières.
« C’est, dit-il, une jeune fille, de vingt ou vingt et un ans, qui reçoit un jour un e-mail provenant d’une vieille dame supposée être établie à Abidjan. Elle se présente comme l’héritière, veuve, d’une grosse fortune qui a décidé d’aller s’installer définitivement en France où elle est nouvel acquéreur d’un château. Sans enfant, elle avait décidé de faire de la jeune fille en question sa propre fille en l’invitant à venir partager sa nouvelle existence avec elle. Crédule, toute la famille commence à préparer, dans la fébrilité, le voyage. Des échanges de correspondances s’ensuivent et la dame envoie même « sa photo » ainsi que celle du château où ils vont vivre.
« Lorsque des échos de cette histoire me parviennent, poursuit M. Cissé, je me fais quand même un devoir d’alerter les concernés. Je fais donc part à une dame, qui connaît la famille, de mes réserves. En essayant de les alerter, celle-ci se fait traiter de « iniaan » (jalouse) de la future prospérité de la fille et de ses parents. J’ai quand même le temps, malgré le peu de réceptivité, d’expliquer que, si un jour on leur demandait de l’argent - et ça ne manquerait pas, dis-je -, ils devront se méfier. Quelques e-mails plus tard, une telle demande arrive. Arguant un voyage en urgence, la veuve d’Abidjan demande à la jeune fille d’envoyer une certaine somme à un personnage censé s’occuper de la préparation de ses papiers pour son voyage. C’est ainsi que la famille comprend qu’il s’agit vraiment d’une arnaque et prend définitivement ses distances. » Si les choses ont eu ici une fin heureuse, il n’en est certainement pas toujours ainsi.
Il y a aussi cet autre cas d’une utilisatrice d’Internet qui reçoit un jour un e-mail lui annonçant qu’elle est sélectionnée pour bénéficier d’une bourse d’études quelque part en Europe. Que lui demande-t-on ? Tout juste d’envoyer, histoire de constituer le dossier définitif, 50 dollars au nom d’une personne citée dans la lettre, adresse à l’appui. Si elle y croit au début, la jeune fille prend quand même le soin de montrer le contenu du courrier à un ami plus au fait des choses de l’Internet. C’est celui-ci qui la dissuade d’entrer dans une telle aventure qui ne lui apportera que regrets. Car il s’agit tout simplement d’une arnaque, même si la somme en jeu - environ 30.000 FCFA - reste « modeste ». Mais les escrocs ne crachent sur rien lorsqu’il s’agit d’argent, comme l’explique M. Cissé de Connexion sans frontières qui, pour tester l’un de ces truands, s’est essayé au marchandage. En expliquant qu’il ne disposait pas du montant initialement demandé, il s’est vu proposer par deux ou trois fois une réduction de somme… qu’il n’a évidemment pas versée.
La principale source d’inspiration des acteurs de la fraude 419, ce sont les conflits de la sous-région ouest-africaine (voilà pourquoi on appelle aussi ce type d’escroquerie « West African Fraud »). Conflits et guerres au Libéria, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, situation politique au Nigeria du temps ou après de la dictature d’Abacha, etc., constituent le décor sur lequel sont bâties les histoires racontées dans leurs correspondances, exclusivement en anglais au commencement, mais aujourd’hui traduites dans d’autres langues, le français notamment. Ici, la mondialisation a aussi un sens ! On dénombrerait plus de 150 variantes de ces lettres. De nouveaux thèmes apparaissent, qui font référence à des organisations charitables ou religieuses.
Même la récente Guerre du Golfe a inspiré les fraudeurs de l’Internet. L’un d’eux, si l’on en croit un forum de discussions sur cette question, a adressé à un Américain une lettre où il prétendait être « Lieutenant-colonel Abdul Michael Loh, un militaire indien attaché à l’ambassade indienne dans le vieil Irak (celle de Saddam Hussein) ». L’escroc prétendait avoir été « membre de la petite troupe envoyée en Irak, juste avant la guerre, pour persuader Saddam Hussein de désarmer pacifiquement… » Bref, après quelques bla-bla, il explique que lui et son équipe « ont gardé 40 millions de dollars » sur les 640 millions qu’ils ont trouvés dans des labyrinthes des palais de Saddam Hussein. En fin de compte, il sollicite l’assistance de son correspondant pour recueillir cet argent dans son compte étranger avec, à la clé, « 10 millions de dollars pour [son] assistance ». Suivent d’autres détails pour la bonne exécution de la transaction.
OUDAÏ HUSSEIN FILS DE SON PÈRE
Dans une autre lettre, datée du 11 juin 2003, un correspondant se présente comme « Oudaï Hussein, le premier fils de l’ancien président iraquien, Saddam Hussein ». Pas moins que cela. Il dit avoir planqué « 45 millions de dollars dans une société financière sûre » européenne et « cherche un homme d’affaires fiable et compétent qui voyagera en Europe pour retirer ces fonds… ». Pour ce service, « le fils de Saddam Hussein » règle une commission de 25 %. Ce qui représente environ 6,5 milliards de FCFA. On n’est pas le fils de Saddam pour rien !
De telles lettres circulent sur le net. Bien entendu, la plupart sont jetées à la corbeille de l’ordinateur par leurs récipiendaires souvent au fait de la « fraude 419 ». Mais les fraudeurs le savent, dans un tel business, on n’a pas besoin d’avoir beaucoup de victimes pour gagner de l’argent. Envoyer mille lettres ne prend que quelques minutes et presque pas de frais. Même une personne qui tombe dans le piège peut faire votre fortune.
Le département américain de la Justice avertit ainsi ses citoyens : « Beaucoup d’Américains ont perdu des sommes allant de quelques centaines à plusieurs millions de dollars. Beaucoup de ces artistes du scam sont très sophistiqués et peuvent fournir des documents qui ont l’apparence de l’authenticité. La meilleure règle à suivre est que tout courrier non sollicité proposant une relation d’affaires et provenant d’individus du Nigeria doit être soigneusement examinée avant que tout fonds soit versé, toute information bancaire délivrée ou tout voyage envisagé. Si vous recevez une proposition pour une transaction d’affaires qui semble trop bonne pour être vraie, cela pourrait être un scam ». Ce n’est pas l’Afrique, en général, ni le Nigeria, en particulier, qui sortent grandis dans ces escroqueries du net. Comme l’écrit dans un forum une Américaine ayant reçu une de ces propositions mirobolantes, « j’aimerais dire que ces scammers ont créé une horrible réputation au Nigeria. Les gens ne croiront plus en personne de ce pays, alors qu’il y a plein de gens merveilleux et innocents du Nigeria qui mériteraient que notre argent leur parvienne ».
(1) Voir l’article paru dans « Sud Quotidien » du jeudi 24 juillet : « Blanchiment, escroquerie, piratage de carte de crédit sur Internet : la DIC démantèle un réseau ».
Alain-Just Coly
(Source : Le Soleil 31 juillet 2003)
Voir aussi :
– Une forme d’arnaque aux cent noms
– Comment éviter de devenir une victime
– Mésaventure d’un couple de pigeons américains