Entretien avec Mark de Simone, Vice-Président de CISCO « En Afrique, le problème n’est pas seulement l’argent »
lundi 23 mai 2005
Cisco, c’est le spécialiste des rooters et de la téléphonie IP dans le monde. Il pèse au bas mot 25 milliards de dollars et emploie près de 45000 personnes. Mark de Simonet est un vétéran de l’industrie informatique. Ancien conseiller de Mackenzie, il coiffe la région de l’Afrique et du Moyen-orient, soit 72 pays, après avoir dirigé le département Marketing, des alliances stratégiques et des technologies channel du groupe. De passage au Sénégal, il a bien voulu se confier à nous.
Depuis quand Cisco est en Afrique ?
Cisco est en Afrique depuis 10 ans dans la région sud de l’Afrique. Mais le groupe Cisco est relativement jeune, puisqu’il n’existe que depuis 20 ans. On a commencé en Afrique alors qu’on était beaucoup plus petit. Maintenant, nous sommes devenus un géant des réseaux de télécommunications, avec environ 45000 personnes dans le monde. On a débuté par le nord et le sud pour converger, depuis 5 ans, vers le centre. Ce que j’appelle « la vraie Afrique ». Je suis là parce qu’on a décidé de mettre des personnes à un certain niveau de responsabilités, à charge de faire non seulement de pénétrer le marché africain, mais tout d’abord d’initier un rapprochement pour appréhender le potentiel. On est donc là pour essayer de comprendre les objectifs des Etats, des gouvernements et entreprises afin de mieux valoriser leurs efforts. Aujourd’hui, j’ai un directeur général pour l’Afrique du nord, un pour l’Afrique du sud et un autre en Afrique du centre et de l’ouest. On a quatre bureaux en Afrique, un pour l’Afrique de l’ouest, basé à Dakar, un autre à Nairobi, un au Nigeria et un autre en Afrique méridionale.
D’un point de vue technologique, qu’est-ce que Cisco peut proposer d’innovant à l’Afrique et qui lui soit propre ?
La technologie, c’est quelque chose de très complexe et je n’aimerais pas confondre vos lecteurs avec un lexique trop compliqué. Mais il est clair qu’en Afrique, on a une opportunité de transformer et simplifier la façon dont on organise le travail. Tous les opérateurs de télécoms sont en train de penser à la manière d’aider leurs Etats à fournir des services. Aujourd’hui, avec les convergences entre la voix et les données, on peut aider de plusieurs manières. Premièrement, une valeur immédiate de Cisco consiste à simplifier les réseaux des opérateurs. Ces derniers ont un service « voix » et un service « données » (data), soit deux infrastructures radicalement séparées. On sait maintenant qu’avec le protocole Internet, on peut regrouper ces deux infrastructures en une seule. Cela réduit les coûts, améliore les compétences et simplifie les services pour les utilisateurs, particuliers ou entreprises. Deuxièmement, Cisco peut aider les gouvernements à transformer les procédures interministérielles, les procédures entre le gouvernement central et les gouvernements locaux (Ndr. régions) et les aider à disposer ainsi d’un réseau des réseaux qui simplifie l’organisation du travail. Ce volet concerne la collecte d’impôts, les opérations bancaires, la formation des cadres, etc. Le troisième volet de Cisco concerne les Petites et Moyennes entreprises (Ndr. Pme). Les petites entreprises doivent penser à installer un serveur, se connecter à l’Internet, à la voix, avoir un site Internet, etc. Ce qui est assez compliqué pour ces petites entreprises. Cisco peut les aider. Il est clair que nous sommes là pour faire du business, mais notre objectif premier n’est pas la vente des produits Cisco, mais plutôt que les entreprises utilisent ces derniers de façon plus optimale. Ce qui les rendrait plus productives, avec une meilleure rentabilité et des ressources humaines mieux formées.
Le gouvernement du Sénégal vient de se doter d’un intranet gouvernemental. Cisco a-t-il été associé au projet ?
Cisco est effectivement présent au Sénégal. On a déjà un bureau local avec cinq employés, dont deux Sénégalais et on compte bientôt en reprendre deux autres, des jeunes bien formés. On a aussi des partenaires avec lesquels on travaille sur les intégrateurs de systèmes, mais aussi sur les choix d’investissements importants à faire. On collabore aussi beaucoup avec le gouvernement. On est en train de discuter avec lui pour améliorer l’intranet gouvernemental. Rome n’a pas été construit en un jour ! On est aussi très présent dans la gestion des données des opérateurs locaux, dans les entreprises. De façon générale, quand on a Internet, on a Cisco, car 90 % des moteurs Internet sont de Cisco. On a ainsi un point de départ au Sénégal, mais je pense que le futur sera plus brillant encore. Hier (Ndr. le 29 avril), j’ai eu l’honneur de rencontrer le président de la République, en présence de son conseiller en Ntic, Ousmane Sy. C’est un signe qu’entre Cisco et le Sénégal, on est en train de se parler à un autre niveau. Je crois avoir compris que la vision du président Wade est en accord avec la nôtre, notamment en matière d’utilisation de technologies pour un accès équitable à la connaissance, en matière de formation, aussi bien à l’école que dans les milieux professionnels, d’utilisation de technologies pour un accès équitable à la connaissance, de management des ressources humaines sénégalaises, aussi bien au Sénégal qu’ailleurs- par exemple, avant de venir au Sénégal, je suis passé au Mali où j’ai pu rencontrer les responsables d’Ikatel (Ndr. filiale de la Sonatel). Il est clair que tous les pays de la sous-région regardent avec intérêt ce qui se fait au Sénégal en matière de technologie. On a donc un business au Sénégal depuis 4 ou 5 ans, il faut juste l’amener à un niveau supérieur.
Le président de la République a été charmé par le projet Dubaï Internet City dans lequel Cisco est partie prenante. Il a émis l’idée de construire un cyber village au Sénégal. Qu’est-ce que Cisco compte faire pour aider le projet ?
On a justement parlé du Moyen-orient avec le président Wade et nous avons un bureau à Dubaï Internet City. On a aidé à la conception de ce complexe. Nous avons aidé à la conception de City Star, un quartier des hautes technologies ; de même que nous avons participé à la conception du Smart village égyptien. En Afrique du Sud, on a participé au Innovation House. En Arabie Saoudite, à la Mecque, nous participons à des travaux pour améliorer l’infrastructure de télécommunications et d’informatique, car près de 5 millions de pèlerins viennent chaque année sur les lieux. Nous voulons ainsi faire trésor de tout cela pour aider à la conception d’un cyber village au Sénégal, par le biais d’une convention de partenariat entre Cisco et l’Etat du Sénégal. On peut ainsi aider dans les matériaux, les idées, la formation. Aujourd’hui, je me suis rendu à l’université de Dakar où j’ai donné un petit cours et rencontré le recteur. Il est clair que l’innovation passe par l’entrepreneurship. Or, les entrepreneurs ne sont pas des êtres à part, ils sont comme tout le monde. Ils ont juste des idées et veulent réussir en créant de la valeur ajoutée. Je pense que l’avenir est donc dans les micro entreprises. Cisco même a été créée comme ça. Si Cisco peut aider en étant proche des entreprises et des universités, mais aussi en attirant des investisseurs, on aura déjà fait un grand pas. Nous pensons qu’en utilisant les technologies de Cisco, on peut aider à régler la fuite des cerveaux. Si, au lieu d’exporter des personnes, on importe du travail, on peut régler ce problème, comme l’ont fait l’Inde, Dubaï, Bahreïn, etc.
Le financement est le nœud gordien du développement. Est-ce que Cisco est prêt à expérimenter des systèmes de préfinancement, comme le Bot (Build-operate and transfer, ou construire, exploiter et transférer, en français) ?
Dans le monde, on trouve beaucoup de fonds. Il y a le fonds des Nations unies, de la Banque mondiale, l’Us trade developpement agency (Utda)... Il y a de grandes sociétés qui veulent investir. Pour attirer ces investissements et ces fonds, nous pouvons utiliser notre image de marque. Etant une société américaine basée en Amérique, nous avons des liens très poussés avec des structures de financement comme Utda, Eximbank, etc. Nous avons donc plein de solutions de financement. Mais il faut des projets bancables. Nous avons déjà des exemples de succès, en Ethiopie, par exemple, un pays pauvre, où nous avons pu aider à décrocher un financement du fonds des Nations unies. Mais, encore une fois, Rome n’a pas été construit en un jour. Il faut une stratégie bien élaborée...
Comment avez-vous jugé la qualité des ressources humaines au Sénégal ?
J’ai déjà des collaborateurs sénégalais que je trouve très compétents et qui me donnent a priori une idée de ce qu’il y a ici. Les étudiants du premier et du second cycle que j’ai rencontrés aujourd’hui m’ont aussi agréablement surpris. Ils ont été très réceptifs au cours que j’ai donné, malgré les références très techniques que j’ai données exprès, pour les tester un peu. J’ai remarqué chez eux une très grande curiosité intellectuelle. Une fois qu’on a ça, il ne reste plus qu’à leur donner les informations et le reste ira tout seul. Aujourd’hui, partout en Afrique, j’ai remarqué que le problème n’est pas tant l’argent que les compétences. Par exemple, les opérateurs ont besoin de ces compétences et quand on pense que chacun d’eux emploie mille, deux mille personnes, ou plus, on se rend compte de ce que peut représenter la formation en Afrique.
Propos recueillis par Babacar Guèye
(Source : Nouvel Horizon, 23 mai 2005)