Entre déploiement de la 5G et rejet du droit d’accises, Telma Madagascar durcit le ton
jeudi 16 juillet 2020
« Vent debout » contre le maintien du droit d’accises décrété par le gouvernement, Telma lançait le 1er réseau 5G à Madagascar, le 26 juin dernier. Cette révolution numérique a été rendue possible grâce aux derniers produits d’accès d’Ericsson Radio System qui profitera à une « upper-tech class » malagasy, censée provoquer un effet d’entraînement.. Entretien avec Patrick Pisal-Hamida, directeur général de Telma-Madagascar.
La Tribune Afrique - Le 26 juin, Madagascar devenait le premier pays africain à s’équiper de la 5G, qu’est-ce que cela va changer concrètement ?
Patrick Pisal-Hamida - La 5G apportera une amélioration globale de la connectivité. Compte tenu de la difficulté de déployer la fibre optique sur l’ensemble du territoire, la 5G représente une alternative qui nous permet de compléter notre couverture et qui désengorge la 4G existante, tout en répondant aux demandes de vitesse et de mobilité les plus exigeantes. Avec la 5G, nous répondons à des besoins en haut-débit sans avoir à déployer une infrastructure filaire lourde et coûteuse [...] Aujourd’hui, environ 10 millions de Malagasy sont équipés d’un téléphone portable, sur une population totale d’environ 27 millions d’habitants. Sur ces 10 millions, 4 millions sont connectés à Internet, dont 1.5 million, à des terminaux 3G et 4G (haut débit mobile).
Avec la 5G, nous visons d’abord le monde de l’entreprise. De nouveaux besoins sont apparus simultanément à la pandémie de Covid-19, notamment en matière de télétravail, dans les zones géographiques qui ne disposent pas de la fibre optique et où une solution 4G/5G permet de répondre précisément à leurs besoins [...] A ce jour, la 5G est déployée à Tananarive (la capitale politique) ainsi qu’à Tamatave [le 1er port du pays, ndlr] et nous poursuivrons ce déploiement dès que le confinement sera levé, pour couvrir 2 à 3 villes supplémentaires d’ici la fin de l’année.
Justement, quels ont été les effets de la pandémie de coronavirus sur vos activités ?
En observant les études diffusées dans la presse, on pourrait croire à une véritable embellie pour le secteur numérique, mais en réalité, les choses ont été plus nuancées. En Occident, le secteur des télécommunications a été globalement préservé, mais à Madagascar la réalité a été différente, car notre activité repose à 90% sur le prépayé qui concerne le citoyen malgache, qui achète du crédit dans des points de revente et qui consomme « au jour le jour ». Avec les périodes de confinement, nous avons enregistré une baisse significative de l’ordre de 20 % de cette consommation. Parallèlement, au niveau du « post-payé » les cybercafés ont fermé leurs portes et nous avons suspendu leur facturation pendant les périodes de confinement [Madagascar est re-confiné du 6 au 20 juillet, ndlr], tout comme les facturations du secteur touristique (hôtels, restaurants, bars, agences de voyages). Heureusement, cette perte directe a été en grande partie compensée par l’augmentation de nos activités en télétravail [...] Nous avons notamment été prescripteurs de solutions de type « Zoom » qui ont connu un véritable essor et ces nouveaux usages perdurent d’ailleurs aujourd’hui, car des habitudes ont été prises. Nous avons aussi enregistré des usages de data beaucoup plus importants qu’avant la pandémie.
Que représente l’arrivée de la 5G à Madagascar dans la stratégie de développement de Telma ?
Telma a lancé le téléphone mobile en 2006, soit 10 ans après les deux autres opérateurs présents dans le pays. La téléphonie 2G est apparue à Madagascar 10 ans après le reste du monde, la 3G a été lancée 4 ans après les autres pays. Aujourd’hui, nous lançons la 5G au même moment que les grands pays, et même avant la France. Cela signifie qu’on est désormais capable de suivre le rythme mondial des technologies depuis Madagascar.
De quel ordre ont été les investissements pour implémenter la 5G à Madagascar ?
Globalement, le coût de l’implantation de la 5G représente pratiquement 20 millions d’euros. Nous avons déjà versé une tranche de 5 millions d’euros cette année (...) Pour rappel, 2019 a été une année assez exceptionnelle en termes de couverture numérique dans le pays. Nous avons déployé plus de 600 sites nouveaux mobiles à travers Madagascar. Le 12 juillet 2019, nous avions signé un contrat de 100 millions d’euros avec Sony-Ericsson pour soutenir notre développement et, malgré la pandémie qui a sérieusement marqué notre activité au premier semestre, nous devrions encore déployer 500 sites cette année, selon nos projections. Nous sommes pratiquement le seul opérateur à investir massivement dans le pays. Nous avons soutenu nos sous-traitants pendant cette période et je tiens à rappeler que nous représentons près de 60% de l’emploi des télécommunications dans le pays, soit 1 200 emplois directs et près de 20 000 d’emplois indirects.
Pourquoi avoir décidé de déployer la 5G à Madagascar : la grande île serait-elle le « poisson-pilote » de la stratégie de Telma ?
Nous sommes sur une île et nous avons besoin de nous appuyer sur nos atouts -sur les technologies numériques en particulier-, pour être attractifs dans l’Océan Indien et pour attirer de nouveaux secteurs d’activité comme les call-centers, les BPO. La population malagasy est jeune, férue de technologies, avec une expertise technique reconnue. Si vous allez dans les call-centers de l’île Maurice, la moitié des effectifs vient de Madagascar... Nous avons un vrai savoir-faire et notre maîtrise de la langue française nous permet d’attirer les acteurs francophones. Plusieurs call-centers ont été externalisés ici, qu’ils soient attachés à un groupe européen ou même africain comme le Sénégal, l’Algérie ou la Tunisie. N’oublions pas que le plus grand call-center du pays, Intelcia, vient du Maroc. Parallèlement, les projets miniers nationaux ont favorisé l’apprentissage de la langue anglaise et aujourd’hui, de plus en plus de call-centers anglophones ouvrent leurs portes à Madagascar, comme Amazon par exemple...
Le manque d’infrastructures numérique affecte plus de 300 millions d’Africains, notamment au Togo où le groupe Axian et le fonds Emerging Capital Partners (ECP) sont devenus l’actionnaire majoritaire de l’opérateur historique Togocom en acquérant 51% du capital, en novembre dernier. Où en est le projet de 5G à Lomé ?
Lomé devrait devenir un sérieux candidat pour la 5G très prochainement. (Sourire). Sans trahir la confidentialité de ce dossier, nous sommes en pleine discussion. Ils regardent avec le plus grand intérêt, l’arrivée de la 5G à Madagascar. La 5G au Togo faisait d’ailleurs partie de nos engagements dans le cadre de la reprise de Togocom [...] A priori, 2021 sera une année importante, car plusieurs pays africains sont très intéressés par la 5G comme le Sénégal [où Telma est le 2e opérateur du pays, ndlr]. Sur la centaine d’opérateurs mobiles qui ont déployé la 5G dans le monde, une quinzaine d’entre eux se trouvent en Afrique, donc je ne serais pas étonné de voir rapidement arriver la 5G sur le continent...
Telma Madagascar représente le moteur technologique du groupe Axian et il y a fort à parier que l’arrivée de la 5G à Madagascar provoquera un effet d’entraînement sur le continent. Parallèlement, l’implantation de la 5G s’accompagnera de transferts de compétences, grâce à Sony-Ericsson qui, je le souligne, a déployé seul, plus de la moitié des sites 5G dans le monde.
Que répondez-vous aux associations de consommateurs qui alertent sur les risques sanitaires liés à l’émission des ondes consécutives à l’arrivée de la 5G. Quels sont les risques pour les consommateurs et quels sont l’impact environnemental et l’empreinte écologique de la 5G ?
Il y a beaucoup de désinformation sur cette question. La 5G est testée à travers le monde avec différents types de fréquences. Nous avons fait un choix raisonnable, car nous déployons la 5G sur la fréquence 3,6 GHz qui est celle qui présente le moins de problèmes. Nous ne disposons pas de suffisamment de recul aujourd’hui, pour mesurer avec précision les impacts de la 5G, cela étant les fréquences les plus nocives sont les plus basses, notamment 900 MHz qui est la bande de fréquence du 2G historique.
De quelle manière les autorités ont-elles réagi en matière de régulation en amont de la 5G ?
Précisons que les risques de backdoors ou de confidentialité des données existent surtout dans les pays développés qui regorgent d’objets connectés, mais à Madagascar, nous ne sommes pas encore une société multi-connectée et la 5G servira surtout pour l’utilisation d’Internet. Le nouveau pouvoir |du président Andry Rajoelina élu en 2018, ndlr], a d’ailleurs manifesté une réelle volonté de s’appuyer sur les technologies pour accélérer le retard en développement du pays, même si au niveau de l’exécution, c’est plus compliqué.
Que répondez-vous aux observateurs de la vie économique malagasy qui expliquent que le taux de connectivité à Madagascar est encore faible (40 % pour la téléphonie et quelque 15 % Internet) et que la 5G ne profitera qu’à une minorité de la population ?
Je leur réponds qu’ils ont raison. En effet, on se bat pour que les autorités ne considèrent plus les technologies comme un produit de luxe. Nous sommes lourdement taxés comme l’alcool, le parfum ou les cigarettes, alors que la téléphonie devrait être considérée comme un produit de première nécessité. Nous sommes taxés à 10%, comme le rhum ou le Whisky ! Il existe une corrélation directe entre le taux de connexion et le niveau de taxation en Afrique. En substance, les pays les plus taxés ont le taux de pénétration le plus faible...
Nous demandons aux autorités d’abandonner le droit d’accises, car la loi de Finances rectificative le maintient malgré nos demandes. Nous sommes engagés dans une forte bataille et nous avons décidé de répercuter cette décision sur nos consommateurs. Au niveau du « post-payé, nous avons intégré une ligne relative au droit d’accises dès le 1er juillet 2020, qui apparaît désormais à côté de la TVA.
Quelles sont les premières réactions suscitées par l’augmentation de vos tarifs suite au maintien du droit d’accises ?
Le gouvernement a été pris à son propre piège... Nos clients sont peu surpris, car nous avions préparé le terrain. Nous nous battons depuis des années sur cette question ! Nous sommes remontés et le secteur se montre solidaire. Les droits d’accises sur la bière ont été baissés dans la loi de Finances rectificative, en pleine pandémie, contrairement à notre secteur, bien que tout le monde s’accorde à dire que la connectivité est devenue un élément essentiel de notre quotidien.
Jusqu’où êtes-vous prêts à aller ?
Nous allons continuer de mettre la pression sur les autorités, car sans solution d’ici le mois d’août, cette taxe sera également répercutée sur le pré-payé qui représente 90% de notre activité. Nous voulons que les autorités comprennent que ce n’est plus possible à supporter. 10% de notre activité, c’est autant d’investissements que nous ne pouvons pas faire. Notre secteur génère environ 400 millions d’euros, donc ce droit d’accises représente 40 millions d’euros d’investissements en moins. N’oublions pas que les opérateurs déploient non seulement des réseaux de télécommunication, mais aussi des réseaux d’énergie et que nous restons l’un des rares secteurs à baisser ses tarifs, mais il arrive un moment où ça suffit !
Propos recueillis par Marie-France Réveillard.
(Source : La Tribune Afrique, 16 juillet 2020)