Enseignements politiques, juridiques et réglementaires : Muscler les organismes africains de régulation
vendredi 15 mai 2009
Les organismes de régulation des télécommunications, qui contrôlent la structure du marché et la diffusion des nouvelles technologies, font désormais partie du paysage règlementaire mondial.
La plupart des investissements provenant du secteur privé, les pouvoirs publics ont le rôle de définir les objectifs de base de leur politique en matière de télécommunications ; il revient aux organismes régulatoires de les mettre en œuvre, et c’est aux tribunaux plutôt qu’à d’autres tutelles administratives de veiller à leur respect.
Selon l’UIT, 60 pour cent des organismes africains de régulation sont autonomes vis-à-vis du pouvoir exécutif et donc « indépendants ».
Certains experts s’étonnent que la création de tels organismes n’ait pas enclenché un surcroit d’investissements privés.
En Amérique latine et aux Caraïbes, l’investissement privé dans les télécommunications est passé de 13.7 milliards USD en 1991 à 47.1 milliards en 1998, avant de refluer pendant neuf ans, pour atteindre 15.1 milliards en 2007.
Si l’investissement privé en Afrique augmente régulièrement (de 5.4 milliards USD en 2000 à 13.5 milliards en 2007), la progression aurait pu être supérieure, aux dires de certains, avec des cadres règlementaires plus adaptés.
Dans un grand nombre de pays africains, la participation du secteur privé aux télécommunications a achoppé sur des décisions règlementaires discriminatoires.
Certains organismes, qui se déclarent « indépendants » devant l’UIT, agissent au rebours de cette assertion. Au Mozambique, la règlementation des tarifs est encore fixée pour l’essentiel par l’opérateur historique de téléphonie fixe.
En Afrique du Sud, conformément à une décision de l’organisme de régulation, le concurrent de l’opérateur historique de téléphonie fixe Telkom n’est devenu opérationnel que trois ans après la fin du monopole de ce dernier et pour un éventail limité de services. Au Kenya, en Namibie et au Rwanda, les opérateurs traditionnels de téléphonie fixe sont privilégiés par les organismes au gré des préférences de l’État.
Outre l’indépendance et une bonne gouvernance, les institutions politiques doivent être responsables de leurs actes pour assurer la prévisibilité du processus règlementaire.
Tout cela améliore les perspectives d’investissement. Mais la responsabilité politique reste encore un objectif assez lointain en Afrique par rapport aux pays de l’OCDE.
La Banque mondiale a naturellement introduit dans ses contrats de prêts des clauses devant protéger les organismes de régulation de toute ingérence du politique.
Mais l’environnement politique n’a pas souvent admis le développement de ces organismes, et sitôt le prêt de la Banque mondiale arrivé à son terme, la plupart d’entre eux ont perdu le soutien des autorités, et ils ont alors été contournés ou sont tombés sous la coupe des entreprises qu’ils étaient censés contrôler.
Les partenaires internationaux au développement doivent eux aussi redoubler d’efforts pour amener les acteurs politiques à assumer leur responsabilité et pour améliorer la formation au sein des organismes de régulation.
Quels organismes doper ?
Le réseau Research ICT Africa a lancé en 2006 une enquête auprès des leaders du secteur, des organismes de régulation et de la société civile dans 14 pays d’Afrique subsaharienne. Selon l’enquête, ces acteurs doutent à l’évidence de l’efficacité de l’environnement règlementaire.
On observe une forte corrélation entre, d’une part, les résultats en termes d’environnement règlementaire des télécommunications (ERT) présentés à la figure 7 et, d’autre part, la profondeur des réformes du marché et son efficacité.
Dans les pays qui obtiennent des ERT supérieurs, la régulation encourage l’investissement. Des pays moins efficaces - comme l’Éthiopie, le Kenya, la Namibie et le Rwanda - ont mis du temps à engager les réformes du marché.
En 2007, les opérateurs classiques de téléphonie fixe d’Éthiopie et de Namibie étaient toujours des entreprises publiques. Dans les quatre pays, la performance de ces opérateurs est décevante, avec un taux de pénétration inférieur à 2 pour cent de la population.
En Éthiopie, le marché de la téléphonie mobile était encore régi par un monopole en 2008, et moins de 2 pour cent de la population possédaient un téléphone cellulaire. Au Rwanda, où la seconde licence de téléphonie mobile n’a été attribuée que fin 2008, le taux de pénétration atteint à peine 8.3 pour cent.
Au Kenya et en Namibie, qui affichaient en 2008 un taux respectif de pénétration de la téléphonie mobile de 38 et 62 pour cent, le sentiment d’inefficacité s’explique par la forte interférence de l’opérateur de téléphonie fixe (pour le Kenya) et par la stagnation des réformes (pour la Namibie).
À l’inverse, dans les pays les plus performants en terme d’environnement règlementaire - à savoir la Côte d’ivoire et le Nigeria - les opérateurs de téléphonie fixe ont été partiellement privatisés, avec un taux de pénétration d’environ 10 pour cent en 2007.
La téléphonie mobile est devenue assez concurrentielle (avec respectivement quatre et sept opérateurs différents), pour un taux de pénétration proche de 40 pour cent en 2008.
Le cas du Nigeria est exceptionnel : le pays possède au total sept opérateurs de téléphonie mobile, deux entreprises nationales de télécommunications, 22 opérateurs de téléphonie, 52 opérateurs VSAT et 36 FAI.
Sauver les opérateurs de téléphonie fixe
Les pouvoirs publics ont su adopter des régimes de licence convergente pour tenter de sauver leurs opérateurs historiques de téléphonie fixe qui voyaient leur trafic s’éroder au profit de leurs rivaux de la téléphonie mobile.
Auparavant, il fallait solliciter une nouvelle licence pour chaque nouveau service ou technologie proposés sur le marché. Le nouveau système introduit davantage de flexibilité. Avec ces licences « neutres » sur le plan de la technologie, l’opérateur choisit lui même la technologie qu’il introduira dans son offre.
Les opérateurs mobiles ont le choix entre les technologies sans fil GSM ou AMRC. Grâce à un système neutre sur le plan des services, l’opérateur peut opter entre ceux qui ont la faveur des consommateurs ou ceux qui paraissent les plus rentables.
Les opérateurs de lignes fixes peuvent ainsi sortir des réseaux classiques aux infrastructures couteuses pour opter pour les technologies sans fil. En Afrique, ces opérateurs se tournent de plus en plus vers la technologie sans fil AMRC pour assurer la liaison du « dernier kilomètre ».
Ils recourent aux technologies mobiles de manière plus agressive afin de contester la position dominante actuelle des opérateurs mobiles.
Une attitude technologiquement neutre des organismes de régulation contribue par ailleurs au développement des stratégies de service universel dans les zones rurales. Dans les zones à faible revenu faiblement peuplées, les lignes fixes ne sont pas la solution idéale.
En Ouganda, l’opérateur de téléphonie fixe UTL, l’opérateur de téléphonie mobile Celtel et le sud-africain MTN (Mobile Telephone Networks), adjudicataire d’une licence technologique neutre, sont tous candidats pour un appel d’offre de service universel en milieu rural.
Technologies et services « neutres » gagnent du terrain partout en Afrique, de l’Afrique du Sud à l’Égypte, en passant par le Botswana, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria, l’Ouganda et la Tanzanie.
Dans le club encore assez restreint de régions à avoir adopté un régime de licences convergentes, l’Afrique occupe une place importante, aux côtés de l’Australie, du Japon, de la Malaisie, du Pakistan, de Singapour et des pays de l’UE.
Les opérateurs de téléphonie fixe ont également besoin d’un coup de pouce règlementaire pour les frais de terminaison d’appel.
Les sommes élevées imposées au départ sur la terminaison d’appel par les opérateurs de téléphonie fixe aux réseaux mobiles ont permis de financer les investissements des opérateurs fixes dans le cellulaire, mais elles perdurent alors que les réseaux mobiles sont désormais plus développés que les réseaux fixes.
Les frais de terminaison d’appel dans les réseaux mobiles diminuent par ailleurs à mesure que le trafic augmente - ce qui impose une réforme des tarifs pour éviter tout abus de position dominante sur des marchés de téléphonie mobile qui deviennent matures.
Taxer l’envolée du mobile
Étant donné la taille du secteur informel - qui peut atteindre jusqu’à 70 pour cent de la population dans certains pays - les gouvernements africains ne bénéficient que d’une assiette fiscale réduite, qui se limite le plus souvent aux grandes entreprises exportatrices.
Les opérateurs de téléphonie mobile ont de plus en plus de clients et leurs revenus augmentent, offrant ainsi aux autorités budgétaires d’un pays l’occasion d’élargir cette assiette fiscale.
Une étude menée sur 15 pays (figure 8) a révélé que dans sept d’entre eux, les opérateurs mobiles assuraient plus de 8 pour cent des rentrées fiscales de l’État.
En moyenne, les taxes représentent 29.4 pour cent des recettes de l’opérateur - mais elles peuvent atteindre jusqu’à 53 pour cent en Zambie, 45 pour cent à Madagascar et 43 pour cent au Gabon ou en Tanzanie.
C’est en RDC qu’elles sont les plus faibles (16 pour cent). La GSM Association estime qu’en 2006 les opérateurs de téléphonie mobile en Afrique ont rapporté plus de 5 milliards USD de taxes, dont environ 77 pour cent pour les seuls opérateurs d’Afrique du Sud et du Nigeria.
Une analyse réalisée en 2006 dans 15 pays d’Afrique subsaharienne révèle que les taxes sur les combinés représentaient en moyenne 31.1 pour cent de leur prix, soit bien plus que le taux moyen d’imposition des équipements de réseau (21.2 pour cent), des connexions et des abonnements (15.3 pour cent) et de la durée des communications (18.3 pour cent). Dans les nomenclatures fiscales, les combinés font souvent partie des produits de luxe.
Mais ces taux cachent des différences. Alors que le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie sont les pays qui taxent le plus l’utilisation (à plus de 25 pour cent du prix demandé par l’opérateur), ce sont les mêmes qui taxent le moins les combinés (à moins de 20 pour cent).
Dans certains pays, l’ampleur du marché de l’occasion permet d’échapper aux taxes sur les combinés.
Mais les taxes sur la durée des communications sont incontournables et, dans la mesure où les dépenses pour des services mobiles représentent un important pourcentage du revenu moyen en Afrique, la sensibilité de la demande aux tarifs est plus vive que dans les pays de l’OCDE.
Le taux de pénétration dans les PME informelles risque d’être pénalisé par un coût excessif du téléphone mobile (utilisation et taxes comprises).
(Source : Perspectives économiques en Afrique, 15 mai 2009)