Enseignement à distance et démassification des facultés : “Université perpétuelle”, un modèle qui attend son heure
jeudi 28 mai 2009
Comme beaucoup de pays africains, le Sénégal ne semble pas encore avoir pris la mesure de toutes les ressources liées à l’intégration du E-learning dans les processus de développement, de formation et surtout d’enseignement supérieur. Les universités du pays, en premier lieu celle de Dakar, croulent ainsi sous le poids de la massification des effectifs estudiantins alors même que l’enseignement à distance s’impose de plus en plus comme une nécessité incontournable pour désengorger les universités. Pis, des initiatives originales et assez dynamiques de résorbtiion de tel gaps sont bloquées dans l’œuf. Ainsi en a-t-il été du projet d’“Université perpétuelle”, créé bien avant même 2000, pour déconcentrer les amphithéâtres, délocaliser les cours magistraux et lutter contre l’engorgement de l’Université. Zoom sur un modèle local d’E-learning qui cherche toujours sa voie, quelque sept années après sa mise en route.
Contemporain de l’Université virtuelle africaine, beaucoup plus ancien que l’initiative de Campus virtuel pédagogique à l’université Cheikh Anta Diop qui en est encore à ses balbutiements, antérieur même au oncept d’Université du Futur si cher au Président Wade, le projet d’« Université perpétuelle » entendait être un modèle endogène dynamique d’enseignement à distance. Un modèle qui se fixait pour but de répondre de manière structurelle à la problématique posée par la massification des effectifs au sein de Facultés comme celles des Lettres ou de Sciences juridiques de l’Ucad, grâce à la déconcentration et la délocalisation des cours magistraux vers des lieux externes à l’université de Dakar, plus proches des étudiants et mieux à même de faciliter les niveaux de maîtrise des enseignements.
Née en vérité vers 1998 du dynamisme d’un citoyen sénégalais déterminé à apporter sa touche au développement de l’université, en l’occurrence Idrissa Alao-Fary du Cabinet conseil en communication marketing et reengeneering d’entreprises, l’idée d’ « Université perpétuelle » ne fut officiellement présentée aux autorités de l’Université de Dakar qu’en novembre 2002. Le projet de déconcentration des amphis, via l’enseignement à distance des cours magistraux dispensés à l’Ucad, avait eu entre-temps l’heur de mûrir dans la tête de son concepteur avant d’être exposé devant le Recteur de l’époque, Abdel Kader Boye.
Saisi de la pertinence du modèle d’Alao-Fary qui, « au-delà de la décongestion des amphis, pourrait mettre à la disposition des étudiants, par le biais de l’Internet, des enseignements dont la compilation annuelle ferait l’objet d’enregistrements et de duplications sur des supports de lecture magnétique : DVD, VCD qui seront les ersatz des polycopies actuelles », le recteur de l’Ucad commandita alors une étude de faisabilité technique en relation avec la Direction des Etudes du département informatique de l’Ensut. Mais, en dépit du blanc seing délivré par ladite étude de faisabilité qui avait ciblé pour recevoir le projet deux salles de cinéma à l’abandon (El Mansour et Lux) d’une capacité totale de 850 places, proches des installations de câblage et de relais à l’Ucad, le Recteur Boye ne donna pas suite à l’initiative de délocalisation des cours magistraux supposée par le projet d’ « Université perpétuelle ». Quelque quatre mois après avoir été saisi à propos du nouveau modèle didactique, Kader Boye attestait par correspondance que « la situation financière de l’université de Dakar ne permettait pas d’envisager, pour le moment, le projet de déconcentration des amphis ».
El Mansour, site retenu de la phase test
Loin de se décourager, Idrissa Alao-Fary conscient de la pertinence de son modèle didactique avant-gardiste, s’échina à saisir les diverses autorités de l’éducation nationale pour permettre à son projet de se matérialiser, au bénéfice exclusif de l’université, des enseignants et surtout des étudiants. Etant entendu que « l’utilisation des supports magnétiques nés de la délocalisation des enseignements pourrait permettre aux dits étudiants d’avoir le loisir de la répétition des cours, ce qui augmenterait leurs niveaux de compréhension et corrélativement les taux de réussite », dira Alao-Fary. Par voie épistolaire entre 2004 et 2007, la proposition d’ « Université perpétuelle » est soumise autant au nouveau recteur Abdou Salam Sall, au ministre en charge de l’Enseignement supérieur qu’au doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques. Le modèle d’E-learning d’Idrissa Alao-Fary rencontra alors la pleine adhésion de ce dernier et un projet de protocole d’accord fut rédigé pour la réalisation du produit prêt à être exploité, à hauteur de 292 millions de Fcfa.
Celui-ci octroyait à l’« Université perpétuelle » la possibilité de négocier la mise à disposition des sites externes retenus (El Mansour et Lux) pour abriter le nouveau concept pédagogique. La location de la salle de cinéma Lux s’avérant irréalisable parce que son propriétaire voulait y établir un projet immobilier, l’ « université perpétuelle » jeta alors son dévolu sur le cinéma El Mansour, propriété de la mairie de la ville de Dakar. Un site dont l’étude d’implantation et de réhabilitation, diligentée avec un cabinet d’architecture de la place, avait fait ressortir la possibilité d’édifier 24 salles de travaux dirigés, des classes qui seraient construites à partir d’éléments modulaires, autrement dit transférables sur d’autres sites en cas de besoin.
Malheureusement, les diverses tentatives faites en direction de la mairie de Pape Diop pour bénéficier de la mise à disposition du site d’El Mansour furent infructueuses. La municipalité de Dakar notifiait en effet à Alao-Fary et à la Faculté des Sciences juridiques et politiques l’impossibilité de leur céder la salle en raison, là aussi, de l’érection programmée d’un centre commercial sur le lieu. Or, comme dira le concepteur du projet « Université perpétuelle », « l’obtention de ce local était une condition sine qua non pour la mise en application du projet de protocole d’accord arrêté avec le Doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques ».
Le ministre de l’Education est alors mis à contribution en 2006 et en 2007, pour intercéder auprès du maire de Dakar et permettre à la Faculté des Sciences politiques et à l’« Université perpétuelle » de bénéficier de la cession du site d’El Mansour qui restait toujours à l’abandon. Rien n’y fit, les correspondances épistolaires furent sans suite. En désespoir de cause, le concepteur du projet d’« Université perpétuelle » sollicita l’intervention du Président de la République, eu égard à « son implication avant-gardiste dans les technologies de l’information et de la communication et surtout à son rôle de père fondateur du concept de la fracture numérique », dira Alao-Fary. Après 04 lettres adressées au Président Wade, le concepteur de l’Université perpétuelle dût alors se rendre à l’évidence. Si généreux fût-il, son modèle pédagogique n’entrait pas dans les tablettes des autorités politiques de notre pays. Et cela, en dépit du fait que la Faculté des Sciences juridiques et politiques ait largement montré sa disposition à accompagner la réalisation du projet d’enseignement à distance porté par l’« Université perpétuelle ».
Un modèle en quête d emiracle
Conséquence : une initiative originale d’E-learning née en interne, se retrouvait noyée dans l’œuf quelque sept années après sa mise en route officielle. Alors même qu’elle ne visait qu’à décongestionner les amphithéâtres aujourd’hui bondés de l’université de Dakar, à améliorer globalement les performances des étudiants, voire même des élèves et, potentiellement, à hisser le taux de scolarisation et d’alphabétisation générale à 100% en 2010, grâce à une duplication du modèle pédagogique en question dans tous les espaces d’apprentissage. Autant de choses que les diverses initiatives d’application des Tics à la formation et à l’enseignement, amorcées au Sénégal durant ces dernières années, sont loin de réaliser.
A l’échelle du développement fulgurant des Technologies de l’information de la communication, l’on remarque a dire vrai que l’enseignement à distance dans notre pays tarde à saisir de plein vol les mirobolantes opportunités y afférant. A titre d’exemple, durant l’année académique 2008-2009, quelque 5000 bacheliers ont été laissés en rade du circuit classique d’orientation universitaire à cause du trop-plein des amphithéâtres à l’Ucad. Ce qui s’avère un véritable paradoxe pour un projet d’école censé se fonder avant tout sur la démocratisation du droit à l’éducation et à la formation.
L’espoir reste pourtant toujours vivace chez le concepteur du projet d’ « Université perpétuelle ». Car, en dépit du fait que son projet n’a jusqu’à présent pas vu le jour, Idrissa Alao-Fary reste confiant en l’avenir de son concept d’E-learning dans l’enseignement supérieur de notre pays d’autant qu’il affirme mordicus que « son modèle s’avère encore réaliste et faisable aujourd’hui plus qu’hier ».
Moctar Dieng
(Source : Sud Quotidien, 28 mai 2009)