Enquête : Les adolescents sénégalais face aux dangers des écrans
mardi 19 février 2013
Le développement des nouvelles technologies a une influence majeure sur l’évolution des valeurs sociales et des modes de vie. Ces nouvelles technologies de l’information et de la communication nous permettent d’aller à l’essentiel, en nous offrant la possibilité de communiquer plus vite, de trouver rapidement les informations. Face à l’omniprésence des écrans dans la vie des jeunes, beaucoup d’adolescents sénégalais se sentent dépendants d’elles. Ainsi, les écrans : Internet, SMS, mobile et télé, jeux vidéo entre autres, sont considérés comme des chances dangereuses. Ou seraient-elles tout simplement une nouvelle forme d’aliénation ?
Vincent Gomis, jeune reporter sur SeneNews.com, vous livre le résultat de son enquête.
Les technologies de l’information et de la communication peuvent servir le développement économique, social et culturel des pays africains et faciliter leur insertion réussie dans le village planétaire. En dépit de la récence de ces outils, on note une utilisation effective, une consommation temporelle, une dimension ergonomique de la manipulation et une inscription dans des cultures familiales et nationale de ces nouvelles technologies. Avec les elles, les jeunes peuvent visiter les bibliothèques et les écoles du monde entier, parler avec leurs camarades à l’autre bout de la planète. Elles sont une forme de progrès. Mais on sait aujourd’hui que le progrès comporte aussi une face sombre. Dans notre pays, les adolescents sont dépendant des écrans. Il suffit de faire un focus groupe avec des jeunes, le constat est alarmant. Seynabou SEYE 16 ans élève, « C’est à travers l’Internet, le portable et la télé que nous pouvons nous informer. Internet nous permet de faire des recherches, mais aussi de chater avec nos amis qui ne sont pas forcément à Dakar ». Idem pour son camarade d’école Serigne Modou 17 ans, « Moi, je suis en série scientifique, je n’ai pas beaucoup de temps. C’est grâce aux nouvelles technologies que j e m’informe tout naturellement ».Il y a une réelle addiction aux écrans chez les jeunes. En effet, Internet est une formidable fenêtre sur le monde. A l’école, les ados ont du mal à se concentrer tant ils sont sollicités en permanence par leurs messageries instantanées. Maintenant ils ont Google, à quoi bon se poser des questions ou à réfléchir.
Les nouvelles technologies vectrices de la mondialisation culturelle
Dans notre société, c’est la famille qui joue le rôle d’éducateur et de socialisation. Mais avec l’effet des journées continues qui obligent les parents à passer plus de temps aux bureaux qu’à la maison, une bonne partie de l’éducation est déléguée aux NTIC. Ensuite, quant le chômage et la pauvreté fragilisent les relations sociales. Ni l’Etat ni la cellule familiale ne parviennent véritablement à donner des réponses. Dans un tel contexte, l’utilisation des nouvelles technologies devient un processus de socialisation. Grâce au boom des chaines de télévision, la culture occidentale arrive directement dans chaque famille à travers les feuilletons importés. Le cinéaste sénégalais Sembéne Ousmane, dans le courrier de l’Unesco, traduit bien la situation quant il dit, « A l’époque coloniale, la terre était occupée mais l’homme, lui, avait l’esprit libre. Mais avec la télévision, c’est l’occupation mentale. A l’intérieur de la case, on introduit une autre culture, une conception différente des choses. Le modèle de sociétés proposé par les aïeux vole en éclat ».
Or, l’internet, les portables, sont de formidables outils de libération, de connaissance, de réflexion, d’échanges. Par le biais de stratégies marketing ultra efficaces, ces nouvelles technologies nous ont été imposées. Les outils numériques ont envahit l’intégralité de nos vies, celle des jeunes en particulier.
Les adolescents se déclarent de plus en plus accro. Les jeunes ne décrochent plus de « facebook ». Ils consultent leurs emails à tout moment, Ils ne sortent jamais sans leurs téléphones portable. Et le soir au retour de l’école, ils se ruent dans les salons pour regarder les feuilletons. La tradition orale si chère à la civilisation africaine, sénégalaise en particulier, se meurt dans de nombreuses maisons où chaque soir, en face du téléviseur, les membres d’une même famille ne se parlent plus, car leur attention est essentiellement tournée vers l’écran où convergent tous leurs regards et toutes leurs attentions. Les visites si appréciées entre camarades sont de plus en plus rares car personne ne veut manquer son feuilleton préféré ou un match de football retransmis à la télévision. Quant le générique de fin s’annonce, la discussion reprend dans le ménage de plus belle mais c’est encore pour commenter les différentes séquences de l’épisode ou du match en question.
Toutefois, il faut éveiller les enfants, exercer une conscience réflexive de leur relation aux écrans et aux mondes virtuels. Parce que chez les adolescents, un usage trop exclusif d’Internet peut créer une pensée zapping appauvrissant la mémoire, la capacité de synthèse personnelle et d’intériorité.
Devant l’ordinateur ou la télévision, ils y consacrent une part énorme, excessive de leur temps. Par conséquent, ils deviennent asociaux et solitaires. Surconnectés et accros au téléphone portable, les jeunes ne s’arrêtent plus d’envoyer des sms, beaucoup d’entre eux y répondent même en pleine nuit et en dormant. On les appelle les Somnambules du sms. Une étude menée par Elizabeth DOWDELL, professeure à l’Université de Villanova en Pennsylvanie, a révélé cette pratique obscure et plutôt inquiétante, sobrement appelée « sleep texting ».
Le cyber comme cadre d’usage d’Internet
Le cyber en tant que lieu public, se présente comme un espace intermédiaire entre l’espace des activités domestiques personnelles et celui des activités professionnelles. Beaucoup d’internautes fréquentent les cybers pour consulter leurs courriers électroniques. Les jeunes s’y rendent pour télécharger des clips de vidéos et des sonorités. Les chats, forums de discussion et jeux en lignes constituent l’apanage des jeunes. Quant à la navigation, elle est la seconde raison de l’utilisation des cybers : recherches d’informations, recherches de sites particuliers, activités dilettantes voisines du zapping de la télévision. Pour beaucoup de jeunes, l’Internet sert d’outil de « formation, de documentation, de culture et d’instruction ». Pour d’autres, c’est le moyen de sortir de la misère dans laquelle ils vivent, ce par la recherche de correspondants étranges qui pourraient leur apporter un soutien matériel leur permettant de s’affranchir socialement, avec un bien être que la situation sociale du pays ne pouvait certainement leur donner.
En outre, pour les ados, Internet leur permet de correspondre avec des personnes de leurs rêves, d’avoir des adresses d’écoles de rêve, ils veulent se trouver et pourquoi ne pas se retrouver dans un autre univers social et économique, un monde meilleur et bien réel. Mais le constat général reste que les jeunes sont des accros de la toile. Ils se connectent de plus en plus à Internet, ceux qui ne disposent pas d’une connexion à domicile, vont dans les cybers. La plupart d’entre eux s’y rendrait au moins deux fois par semaines et passerait au moins une heure devant l’ordinateur. Cela semble suffisant pour s’interroger sur les activités et sur le rythme de consommation de ces nouveaux habitués. Il y a une nouvelle vague d’internaute, il s’agit des jeunes filles, pour la plupart épouse d’immigré. Leurs maris « modou-modou » sont en Europe à la recherche de fortune.
Les aléas de la vie derrière les écrans
La vie numérique n’est pas sans dangers. Et les nouvelles technologies, si elles constituent un formidable outil d’information et de communication peuvent être paradoxalement source d’inquiétude et de souffrance.
Les craintes sont l’isolement permanent, la dégradation des relations interpersonnelles. La peur qu’inspirent les nouvelles technologies est vieille comme l’Internet. Des 1995, des ingénieurs d’Intel élaboraient des règles de bonne conduite, une étiquette, avec pour principe de « ne pas se servir de l’Internet comme bouclier pour infliger aux autres des propos que vous n’oseriez pas tenir dans une conversation réelle ». Le comportement des adolescents avec les outils les inquiétaient les ingénieurs plus que les outils eux-mêmes : ils ne se sont pas trompés. Les écrans ne créent pas directement de la souffrance, c’est leur usage ou plutôt leur message qui engendre cette souffrance. Les rapports entre adolescents témoignent parfois d’une violence hors-norme : il y a des chaines d’insultes via SMS, lynchage sur Facebook, commentaires menaçant sur le web.
Addiction aux nouvelles technologies, aux jeux vidéo, au besoin compulsif de consommer l’information, ces outils ont crée de nouvelles dépendances, qui à la longue, peuvent devenir toxiques. Selon le psychiatre Michel Hautefeuille, « les dépendants assistées par le numérique, qui n’existaient pas avant les outils, tel « l’infolisme », ce besoin compulsif de consommer de l’information non-stop, ou celui d’être en interaction permanente via les SMS ou Facebook ». Avant les écrans, Christophe André psychiatre rappelle « Nous avons appris, au fil des générations, à établir un équilibre intérieur subtil entre des besoins constamment en compétition : le lien avec les autres, le besoin d’être seul, les moments de lenteur, les moments de stimulation. Les écrans nus externalisent, fixent l’essentiel de notre attention en dehors de nous-mêmes ».
Le fait de répondre à des textos en dormant est aussi dangereux pur la santé. Pour Dowdell, un adolescent devrait dormir au minimum huit heures par nuit pour être en pleine santé. Seulement, « les ados surconnectés et surmenés ont tendance à dormir moins que ça ».
La solution pour remédier au problème est d’éteindre son portable ou de la mettre en mode silencieux, rangé à l’autre bout de la pièce. Une précaution nécessaire, car ces interruptions en plein sommeil peuvent avoir des conséquences graves comme mener à l’obésité, à la dépression ou encore à l’échec scolaire. Sans parler des amitiés brisées à cause d’un sms malencontreux.
Vincent Gomis
(Source : Seneweb, 19 février 2013)