L’Afrique semble être décolonisée mais les faits quotidiens et les injustices subies par ses fils révèlent totalement le contraire, le cas SONATEL en est un exemple patent.
Depuis la privatisation de la SONATEL, en 1995, pour des raisons dites économiques et une situation difficile avec la dévaluation du franc CFA intervenue un an plus tôt, les nombreuses politiques d’ajustement structurel édictées depuis Bretton Woods, la mauvaise gestion des entreprises publiques généralement confiées à des politiciens incompétents et la gabegie qui s’ensuivit ont fini de mettre les finances publiques à genoux. Complétant la gamme des problèmes, les détournements et les mauvais choix d’investissement ont fini d’assécher les caisses de l’Etat.
Après moult rééchelonnements du service de la dette par le Club de Paris, l’Etat du Sénégal pour renflouer ses caisses, avait choisi de privatiser 23 sociétés nationales parmi lesquelles la Sonatel qui ne figurait même pas sur la liste au début. Ainsi, l’entreprise-phare du pays allait sans nul doute ouvrir son capital à un partenaire stratégique.
France –Télécom finit par entrer dans le capital suite à un appel d’offres avec une grande bousculade de plusieurs investisseurs étrangers. Ainsi la géographie du Capital de la nouvelle société se présentait comme suit : 34 % à l’Etat du Sénégal, 33 % à France-Télécom, les travailleurs détenaient 10 %, 5 % avaient été retenus pour un opérateur africain dans le cadre de la politique d’intégration économique sous régionale, le reste appartenait aux collectivités locales et aux personnes physiques. Mais deux années plus tard, à la veille d’élections capitales, l’Etat céda 9 % à France –Télécom qui du coup en totalisait 42 % et devenait de fait l’actionnaire majoritaire. Les raisons de cette cession n’ont pas été données mais les conséquences ont été fâcheuses car depuis lors, la marge de manœuvre du partenaire est beaucoup plus grande d’où son hégémonie et son dictat sur l’entreprise qui s’accentuent d’années en années.
Sonatel qui est devenue Orange-Sénégal sous son appellation commerciale est présent au Mali, en Guinée et Guinée-Bissau. Aujourd’hui France –Télécom est l’actionnaire majoritaire à 42% du capital suivi de l’Etat du Sénégal avec 28% ensuite viennent les institutions et bailleurs à 20 % et enfin les travailleurs avec 10%.
La société qui est devenue leader sous-régionale dans son domaine avec plus de 8 millions d’abonnés-mobiles en ce qui concerne le Sénégal, continue sa progression exponentielle avec un appétit vorace qui n’hésite pas à bouffer tout ce qui est devant lui, même ses propres clients. La quasi-totalité des clients- Orange ne sont pas satisfaits de ses services qui ne sont caractérisés que par toutes sortes d’arnaques, de vols de crédits le tout drapé dans des formules comme « orange-promo, dalal-tone, orange-lébalma, rappelle-moi, orange-woma, diamono classic, diamono jeune » etc.
En effet ces formules conçues pour soi-disant la satisfaction du client est en réalité une manière de soutirer de l’argent à la population sans pour autant qu’on s’en rend compte. Les preuves sont accablantes :
ü Orange promo : la promotion qui est à l’origine un modèle de marketing pour mieux épater les clients en les récompensant en même temps, est devenue chez orange une technique pour prendre le crédit des abonnés. Il se caractérise par la limitation des appels à une catégorie de numéros, la possibilité d’appeler uniquement vers son propre réseau, la réduction des durées d’appels, l’augmentation de la facturation des appels, le brouillage systématique du réseau surtout en forte période d’utilisation du portable ; tout ça pour faire perdre au client son crédit.
ü Délai d’expiration de crédit : Le client qui est libre d’acheter son crédit n’a-t-il pas le droit de l’utiliser comme bon lui semble ? Si le crédit n’est pas utilisé au bout de 10 jours, la sentence est lourde, le client se voit retirer son crédit jusqu’à ce qu’il achète une nouvelle fois et le remboursement n’est possible que si le crédit retiré n’est pas un bonus.
ü Orange-lébalma : Il est permis au client de faire un emprunt de crédit en cas de besoin mais le remboursement est toujours accompagné d’un intérêt de 10% voir plus pour chaque somme empruntée ; parfois on peut payer jusqu’à 400f de plus que la somme due.
ü Dalaltone : Il permet aux appelants d’entendre une musique ou un « khassaïd » qu’ils reçoivent sur proposition venant d’un appel du service client que l’on fait parfois même à leur insu et qui leur coûte 150 F tous les mois.
ü Orangewoma est le comble du préjudice. Etant donné que la personne qui appelle n’a pas de crédit, le service envoie automatiquement à l’insu du client un message de détresse « rappelle-moi » à son interlocuteur même s’ils n’ont pas forcément un lien affectif qui permet cela, ce qui peut mettre l’appelant dans une situation très embarrassante et qui peut donner une suite malheureuse à une relation.
ü Connexion mobile : Aujourd’hui avec les nouvelles applications, Viber, Whatsapp, Immo etc. Tous ces nouveaux moyens de communication via Internet sont devenus presque inutilisable avec la connexion, parce que tout simplement la Sonatel n’aime pas la concurrence dans son secteur, elle l’a toujours appris à ses dépends.
Les Associations de consommateurs ont remué ciel et terre pour que ces injustices cessent un jour, mais en vain. La décision récemment prise par l’Agence de Régulation des Télécommunications du Sénégal (ARTP) de mettre en place la portabilité des numéros qui est d’ailleurs une excellente nouvelle va certainement contrarier Orange. Cette décision révolutionnaire de l’Agence de régulation qui rencontre l’agrément de la population n’a jamais été le souhait du plus grand opérateur de téléphonie mobile au Sénégal.
A la venue de Sudatel au Sénégal en 2009, cette société soudanaise de télécommunication avait préconisé cette possibilité mais la Sonatel qui fait toujours dans l’abus de position dominante n’était pas d’accord. Pour rappel, la portabilité des numéros est la possibilité pour un client mobile ou fixe de changer d’opérateur tout en gardant son numéro d’origine. La portabilité des numéros permet d’accroître la concurrence et donner plus de liberté de mouvement aux clients. Mais la question est la suivante : cet organe de régulation pourra-t-il faire face à ce géant et jusqu’où ira-t-il pour sauver les clients des mains de la bête méchante ? Les désagréments causés par cette société ont fini par créer un sentiment de colère généralisée chez les sénégalais et les torts sont tellement nombreux qu’un seul article ne pourrait suffire pour les dénombrer et cette dernière continue de s’enrichir sur le dos des clients sans aucune forme de pitié.
Sonatel est devenue ce monstre terrifiant et impitoyable qui crache le feu à chaque fois que ses intérêts semblent être menacés. Nous l’avons vu avec la fameuse surtaxe sur les appels entrants sous le régime précédant. Le président WADE a fini par lâcher du lest sous une forte pression syndicale derrière la société civile et même l’UEMOA qui a demandé à ses Etats membres de refuser à procurer des bénéfices au profit de l’Etat du Sénégal si jamais ce décret présidentiel était promulgué. La présence d’Orange-Sénégal est tellement hégémonique qu’elle agit en toute impunité. Avec les 42% de France-télécom, la société a aussi un autre visage.
La preuve est faite par les grosses pointures qui représentent « la métropole » dans le conseil d’administration et peuvent aller même jusqu’au refus de payer, d’être contrôlé et/ou de communiquer de manière claire et transparente la valeur exacte de ses revenus à l’Etat du Sénégal, révèle Monsieur Abdou Karim SALL, Directeur de l’ARTP dans une émission télévisée de la place le 13 Avril 2015. France-Télécom détient le monopole de l’entreprise et en tire profit plus que quiconque, alors son influence décisionnelle devient écrasante.
L’Etat du Sénégal qui n’a que 27% dans le capital, laisse la France continuer de décider quotidiennement du sort des sénégalais. Ils ne se sont pas encore réveillés ceux qui pensent toujours que l’Afrique est totalement décolonisée. Nous pouvons même leur rétorquer que celui qui contrôle ta monnaie, contrôle ton économie, ton éducation, ton avenir et même manipuler tes propres dirigeants. Hélas ! Le Sénégal comme beaucoup d’autres pays africains n’échappe point à cette règle. Pourquoi le Sénégal a-t-il vendu 9% de ses 33% actions à France-Télécom pour se retrouver avec 27% ? Cette question n’a toujours pas encore de réponse.
L’ex-représentant du personnel au Conseil d’administration Ibrahima Konté dans un entretien accordé au quotidien Walfadjiri en avril 2009, préconisait la sauvegarde de ce patrimoine, pour qu’il reste sénégalais et ne devienne pas français. « C’est déjà trop qu’il ait 42 %, nous ne pouvons pas accepter qu’il ait plus. (…) En France, ces gens n’acceptent même pas que des étrangers entrent dans le capital. (…) La SONATEL (Société nationale des télécommunications) est un patrimoine national, tout comme France-Télécom l’est pour la France.
Les Français font exactement comme la Royal Air Maroc avec Air Sénégal International. Quand il s’agit d’aller vers les marchés rentables, ils nous court-circuitent, nous concurrencent et y vont seuls. C’est l’exemple du Niger. Et depuis qu’ICATEL Mali leur a échappé, France Télécom a décidé d’aller seul dans la sous-région. Le jour où cette entreprise aura 52 %, elle va respecter qui ? Quelqu’un que vous ne pouviez pas arrêter quand il avait 42%, comment pourrez-vous le contrôler avec 52% ? ».
Une entreprise qui fournit 12% des recettes fiscales de l’Etat et représente plus de 6% du PIB ne devrait-elle pas être nationale ? Le président Macky SALL est interpellé. Son cheval de bataille devrait être la renationalisation de la SONATEL et de toutes ses semblables.
Aujourd’hui même des employés de cette dite société qui sont animés par la fibre patriotique crient leur ras le bol contre l’hégémonie et la dictature de France-Télécom sur les décisions du conseil d’administration. Je ne sais pas ce qui adviendra un jour, mais si d’aventure nos dirigeants commettent l’irréparable en cédant encore une autre part du capital à France-Télécom les conséquences seront désastreuses et cela va influer de façon négative sur l’économie nationale et l’avenir des employés pourrait être menacé.
Quoi qu’il en soit, la présence à outrance de l’empire colonial dans nos affaires intérieures est flagrante. Nos autorités ne semblent pas être conscientes de cela. Mais le combat de la jeunesse africaine est en pleine ébullition, la rage de vaincre l’ennemie est toujours là.
Cette position qui est en droite ligne avec les bonnes causes et les idéaux de Cheikh .A. DIOP, de Nkrumah, Cheikhou Touré et de tous ces leaders et adeptes du panafricanisme, victimes d’ostracisme et de toutes sortes de complots sont toujours d’actualité. Ces grands hommes ont fait leur part dans cette guerre qui n’est pas finie parce que l’ennemie est coriace et présente un instinct de prédation quasi génétique. Tout compte fait « les occidentaux n’abdiqueront que lorsqu’ils regarderont derrière tout en voyant une Afrique unie comme un poignet de main ».Ce jour là, ils s’auront que leurs magouilles et leurs complots sont terminés, et le triomphe de l’Afrique et de ses dignes fils verra le jour quand les traitres fuiront pour de bon…
A suivre…
Babacar Touré
(Source : Enquête, 17 septembre 2015)