Elisabeth Moreno, PCA de Ring Africa : « Les investisseurs étrangers ont encore beaucoup de préjugés, de biais, de stéréotypes en ce qui concerne le marché africain. »
jeudi 7 mars 2024
Fraichement nommée Présidente du Conseil d’administration du tout nouveau fonds que Ring Capital dédie aux startups de l’Afrique francophone, Elisabeth Moreno se confie en exclusivité au « Tech Observateur ». L’ancienne Ministre déléguée en charge de l’égalité femmes-hommes sous Emmanuel Macron, en France, est très enthousiaste à l’idée de « retourner sur le continent » même si elle rappelle ne l’avoir jamais vraiment quitté. A 53 ans, c’est un défi tout autre qu’elle devra relever : financer davantage les startups de l’Afrique francophone souvent oubliées des investisseurs à cause de nombreux biais réels ou fantasmés qu’elle souhaite contribuer à réparer.
Entrepreneure dès l’âge de 20 ans, l’ancienne Directrice générale et vice-présidente de HP Afrique estime que cette nouvelle mission est une continuité dans sa belle carrière internationale. Le dynamisme de la tech africaine est également un précieux atout, sur un continent où la démographie est plus que jamais favorable aux yeux de la native de Tarrafal, au Cap-Vert.
Le Tech Observateur : Peut-on dire que c’est une nomination comme PCA du fonds dédié à l’Afrique francophone acte votre retour dans le numérique, à l’échelle du continent ?
Elisabeth Moreno : Cette nomination acte mon retour sur le continent certes -continent que je n’ai jamais véritablement quitté par le cœur-, mais il n’acte pas uniquement mon retour vers le numérique ; le fait d’aller chercher des capitaux pour accompagner le développement économique et financier des startups, c’est un acte d’investissement avant tout et surtout un acte d’entrepreneuriat.
Le Tech Observateur : Pour la première fois, dans votre carrière, vous allez vous intéresser au financement des startups en « early stage ». Avec quel état d’esprit vous préparez-vous à cette nouvelle perspective ?
Elisabeth Moreno : J’ai fait beaucoup de choses pour la première fois dans ma carrière. J’ai été entrepreneure pour la première fois à l’âge de 20 ans. J’ai été dirigeante de grands groupes technologiques pour la première fois quand j’ai rejoint Orange. J’ai été juge consulaire pour la première fois quand je me suis lancée dans la magistrature. J’ai été ministre pour la première fois. Et aujourd’hui, je me lance dans le capital investissement pour la première fois. La nouveauté ne me fait pas peur, bien au contraire. Elle me permet d’apprendre et de découvrir, tout en apportant mes expériences dans les environnements divers et variés dans lesquels j’ai évolué. Je connais déjà le tissu entrepreneurial du l’Afrique puisque, j’ai été vice-présidente du groupe Hewlett-Packard pour ce beau continent. Et donc, ça n’est que la continuité de toute une vie d’entrepreneuriat et de leadership.
Le Tech Observateur : On sait que sur le continent, les startups francophones sont les moins pourvues en matière de financements. Comment Ring Capital va contribuer à inverser la tendance ?
Elisabeth Moreno : C’est bien parce que nous savons que sur le continent les startups francophones sont les moins pourvues en matière de financement que nous avons décidé de lancer Ring Africa, avec cette idée qu’il faut attirer de nouveaux capitaux sur le continent si nous voulons le voir se développer correctement. L’argent est le nerf de la guerre. Les investisseurs étrangers ont encore beaucoup de préjugés et de stéréotypes en ce qui concerne le marché africain.C’est pour ça qu’il est important que nous puissions à la fois les motiver et aussi les rassurer, en leur faisant comprendre que le continent est l’un des plus dynamiques en termes de croissance sur cette dernière décennie et qu’il regorge d’opportunités. Et que si nous voulons tous voir le continent se développer comme je l’entends partout, il est important que nous puissions investir concrètement sur son développement. Les bonnes intentions ne suffisent plus. Il faut agir de concert pour que les choses bougent durablement et sensiblement.
Et puis, je dois dire aussi que je rêve de voir les Africains de la diaspora aux côtés de ceux du continent, investir différemment sur le continent. Moi, en tant qu’africaine, j’envoie de l’argent au pays, pour aider ma famille et j’ai construire un bien pour m’accueillir quand je retourne là-bas. Mais je crois qu’il est aussi important d’investir au delà sur des projets plus larges et plus collectifs. Et ça, on ne parviendra à le faire que si on accompagne les startups, pas seulement dans le domaine du numérique évidemment, mais dans tous les autres secteurs comme la santé, l’éducation, l’agriculture, les énergies renouvelables, la gestion des déchets… bref, tous les pans de la société sont concernés.
Et c’est pour cela que j’ai décidé de rejoindre Nicolas Celier et Geoffroy Bragadir chez Ring Capital car ils ont une expérience et un savoir-faire éprouvés en Europe que nous allons étendre en Afrique de l’Ouest en investissant dans un écosystème de startups que je trouve extrêmement dynamique. Vous le savez bien, créer une startup aujourd’hui, c’est créer des emplois , c’est permettre à des femmes de passer de l’économie informelle à l’économie formelle, c’est permettre à des jeunes de rêver de vivre de leur travail, c’est nourrir une famille. Et j’espère que les startups dont nous favoriserons l’essor aujourd’hui deviendront les grands groupes du continent demain.
Le Tech Observateur : Globalement, comment envisagez-vous ce retour dans la tech ?
Elisabeth Moreno : Je suis extrêmement heureuse de revenir dans le secteur de la tech. On se connaît depuis longtemps vous et moi et vous savez que j’aime l’action et j’aime voir le fruit de mon travail. Le numérique aujourd’hui est présent dans tous les domaines de nos vies, que ce soit personnel ou professionnel. D’ailleurs, les femmes en sont encore largement éloignées, ce qui leur fait perdre beaucoup d’opportunités.
Et l’une de mes premières motivations dans le lancement de Ring Africa, avec l’écosystème sur lequel nous allons capitaliser, dont M-Studio qui est basé aujourd’hui en Côte d’Ivoire et qui va nous permettre d’avoir une présence locale extrêmement ancrée, de nous appuyer sur les besoins du pays, l’expérience locale et les talents locaux. Cet écosystème va nous permettre d’aller toucher les femmes et les jeunes et de créer cet espoir entrepreneurial, au même titre que les hommes le font aujourd’hui.
Le développement d’une nation, le développement d’un continent repose beaucoup sur sa population.Et je suis extrêmement heureuse de revenir sur le continent et d’apporter ma pierre à l’édifice, au même titre que tous les Africains du continent et les Africains de la diaspora, pour faire en sorte que notre continent s’appuie sur toutes ses forces vives, où qu’elles se trouvent dans le monde. Et que non seulement le continent trouve sa place sur l’échiquier mondial comme il le mérite, mais aussi pour que les Africains, les Africaines ou les investisseurs qui doutent, puissent se dire qu’il y a un avenir en Afrique, qu’il y a un avenir professionnel, qu’il y a un avenir social, et qu’ensemble nous avons les solutions humaines, scientifiques et technologiques lutter contre tous les défis auxquels nous sommes confrontés.
(Source : Le Techobservateur, 6 mars 2024)