El Hadji Malick Bâ (Responsable des cadres de la Sonatel) : « Global voice n’a vendu que du vent au gouvernement »
lundi 26 juillet 2010
Ils se sont toujours levés pour s’ériger en bouclier pour défendre la survie de leur entreprise. Les cadres de la Sonatel (Acson) viennent d’enfiler à nouveau la tenue de combat pour barrer la route à Global Voice Group qui vient de signer un contrat avec l’Etat pour la gestion du trafic des communications internationales. Le secrétaire général de l’Amicale des cadres de la Sonatel, El Hadji Malick Bâ revient ici en détail sur les enjeux de ce contrat qui selon lui ‘remet en cause la survie du secteur des télécommunications’.
Wal Fadjri : Pourquoi l’Amicale des cadres de la Sonatel dénonce le décret que l’Etat du Sénégal vient de signer au profit de Global Voice Group (Gvg), afin de lui confier la gestion des communications internationales entrant ?
El Hadji Malick BA : Aujourd’hui, l’affaire est très simple. Global Voice Group (Gvg) était venu au Sénégal et dans quelques pays africains en temps que ‘Carrier’, c’est-à-dire un prestataire de services télécoms qui achète des volumes de communications téléphoniques qu’il transforme en cartes de crédit et qu’il revend aux clients pour y gagner de l’argent. Il peut aussi négocier à l’étranger des volumes de trafics avec d’autres opérateurs qu’il revend et Sonatel lui paie des commissions. C’est comme cela que Global Voice Group avait démarré ses activités et il a même travaillé avec Sonatel de 2003 à 2009 dans le cadre de cette activité. Maintenant, voyant qu’il y avait beaucoup d’argent dans le secteur des télécoms, Gvg s’est dit qu’entre les opérateurs télécoms, les marges bénéficiaires sont assez importantes et qu’il pourrait écrémer de l’argent à ce niveau-là, afin de faire de plus grands bénéfices plus rapidement. Il a donc réorienté ses activités pour proposer des solutions dans la supervision du trafic international et la gestion de l’interconnexion entre les opérateurs. Ce qui le positionne comme concurrent vis-à-vis des autres opérateurs. Mais, au lieu d’acheter une licence et de se battre loyalement dans ce secteur concurrentiel, sa stratégie a consisté à aller directement vers les gouvernants, leur dire qu’il y a beaucoup d’argent qui est partagé entre les opérateurs sur le trafic international et leur proposer de récupérer une partie de cet argent sans que cela n’impacte sur les abonnés sénégalais.
Sachant que l’Etat du Sénégal a besoin de ressources financières, si vous lui faites la proposition de prélever sur la marge bénéficiaire des opérateurs étrangers un montant qui peut lui rapporter plusieurs milliards par année, il est tout de suite preneur. C’est ainsi que Gvg a vendu le projet à l’Etat du Sénégal en lui promettant d’installer des équipements modernes de contrôle du trafic international entrant, afin de garantir de manière exhaustive le volume de trafic qui rentre réellement au Sénégal. Contrairement aux 90 millions de minutes déclarées par Sonatel annuellement, l’Artp a même estimé le volume du trafic international entrant à plus de 100 millions de minutes par an, sur une base dont elle seule a le secret. Ainsi, il promet que sa solution permettra d’une part, de déceler et de bloquer les appels internationaux entrants frauduleux non facturés, et d’autre part, d’empêcher aux opérateurs locaux comme Sonatel de faire de fausses déclarations. Elle a également convaincu l’Etat que les opérateurs locaux y trouveront leur compte, car la solution permettra de lutter efficacement contre la fraude. C’est ce modèle qui a été vendu à l’Etat du Sénégal par le biais de l’Artp, mais dont l’argumentaire est truffé de contrevérités.
Est-ce que ce contrat ne remet pas en cause la gestion par Sonatel des appels internationaux ?
Non. Il ne s’agit nullement d’une remise en cause de la gestion du trafic international par Sonatel qui a toujours lutté contre les fraudeurs. Si l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) remet en cause la véracité des déclarations de Sonatel, une société cotée en bourse et régulièrement auditée par des cabinets internationaux, elle a le pouvoir de lui adresser des mises en demeure ainsi qu’à tout autre exploitant qui ne respecterait pas les obligations à sa charge et prononcer, le cas échéant, des sanctions pécuniaires. Cette démarche me semble plus responsable que de vouloir justifier un business plan mal ficelé, en insinuant des accusations de fraude à peine voilées envers la Sonatel qui a une crédibilité et une réputation à préserver sur le plan international. Sonatel essaie, autant que faire se peut, de lutter contre les fraudeurs ; surtout ceux qui contournent ses réseaux en dérivant des appels internationaux entrants vers des réseaux locaux afin que Sonatel les voie comme des communications locales.
Que reprochez-vous exactement à Global Voice Group ?
Nous lui reprochons plusieurs contrevérités dans ses promesses faites à l’Etat su Sénégal. D’abord, sur la lutte contre la fraude, Gvg promet d’installer un équipement moderne de contrôle des appels internationaux entrant au Sénégal, afin de déceler, de bloquer et de dissuader les appels frauduleux. En fait, contrairement à ses promesses, à la place d’une infrastructure d’interconnexion fiable, l’outil utilisé par Gvg ne peut pas garantir le contrôle de l’exhaustivité du trafic international entrant. Car Gvg utilise un boîtier placé au bord du réseau de chaque opérateur, afin de faciliter la collecte des fichiers qui contiennent les données de facturation (Cdr). Or, cette solution n’est pas efficace contre certains opérateurs bypass qui font des terminaisons d’appels internationaux sans passer par les passerelles d’interconnexion des opérateurs locaux.
Donc, elle ne donne pas une visibilité complète sur le trafic international entrant que ces opérateurs bypass peuvent acheminer en contournant les passerelles de Sonatel. Cela explique qu’avec ce système, Gvg est dans l’impossibilité de garantir l’exhaustivité du trafic international entrant. Ensuite, ne faisant pas beaucoup d’investissement pour apporter une valeur ajoutée dans la lutte contre la fraude, Gvg est dépendant du système de collecte des données, utilisé par Sonatel. De ce fait, nous sommes convaincus qu’il ne fera pas mieux qu’elle ; d’autant plus que sa solution n’a pas fait ses preuves dans les pays africains où elle est mise en œuvre (Guinée, Côte d’Ivoire, Gabon, Congo, etc). Les opérateurs locaux étant les premières victimes de la fraude, Sonatel a tout intérêt à la combattre pour accroître les recettes recouvrables sur le trafic international.
Quant à l’idée de vérifier la véracité des déclarations de Sonatel sur le volume du trafic international qui passe par son réseau, l’Artp aurait plus de crédibilité si elle remplissait ses missions avec plus de responsabilité ; en utilisant à bon escient les moyens mis à sa disposition par l’Etat du Sénégal et en usant intelligemment des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.
Qu’est ce qui vous fait dire que Gvg ne va pas investir dans les équipements sophistiqués pour éradiquer la fraude ?
Nous connaissons les solutions qu’il propose et qu’il a déjà installées dans certains pays africains, notamment en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale. Cela ne va même pas lui coûter un milliard de francs Cfa. Il a fait croire à l’Etat qu’il peut y gagner chaque année jusqu’à 60 milliards de francs Cfa. Et puisque les revenus additionnels seront partagés avec l’Artp, ses quote-parts encaissées en quelques mois lui permettront de récupérer son investissement. En Côte d’ivoire, CT Telecom l’avait appliqué en instituant une surtaxe de 20 francs Cfa/minute sur le trafic téléphonique international entrant. La taxe était exigée avec effet rétroactif à compter du 1er juillet 2009. Et en novembre 2009, l’Etat Ivoirien a été obligé de suspendre cette mesure.
Mais Global Voice Group avait déjà engrangé beaucoup de milliards. Au Gabon, les opérateurs gabonais ont transmis, en décembre 2009, une notification d’augmentation du tarif international entrant, pour application à compter du 1er janvier 2010. Un mois après (le 4 février 2010), cette mesure a été annulée purement et simplement. En Guinée où Gvg a signé directement avec le ministère des Postes et des Télécommunications, la fraude a pris des proportions extraordinaires. Le trafic international entrant de Sotelgui a pratiquement disparu, ce qui fait que cet Opérateur est obligé de proposer des prix plus bas que celui imposé par l’Etat pour garantir sa survie. Sotelgui est pratiquement en faillite. Donc si nous disons que Gvg ne va pas beaucoup investir, c’est parce que nous connaissons les équipements qu’il utilise. Sa solution n’est pas efficace pour lutter contre la fraude à l’échelle internationale. Les promesses que Gvg et l’Artp ont faites au gouvernement, ce sont des promesses de récupération d’argent facile et sur le court terme. Mais ils ont vendu au gouvernement du vent, puisque cet argent frais ne sera disponible que les premiers mois et en plus, c’est tout le secteur des télécoms qui va en pâtir.
Pourtant ce contrat va générer des revenus additionnels pour l’Etat sur les appels internationaux entrants...
Concrètement, la Sonatel reçoit environ 90 millions de minutes téléphoniques par mois, venant des opérateurs étrangers qui utilisent son réseau. En instaurant la surtaxe sur le trafic international entrant, l’Etat augmente les tarifs de la terminaison à destination du Sénégal vers les réseaux fixes et mobiles à 141 francs Cfa. Les tarifs actuels sont de 65,59 francs Cfa pour le fixe et 91,83 francs Cfa pour le mobile. Donc, l’Etat augmente ces tarifs de 75,44 francs Cfa pour le fixe et 49,20 francs Cfa pour le mobile. Ce qui, selon Gvg, lui permettrait de gagner entre 45 et 60 milliards de francs Cfa par an. Pis, au lieu de se faire payer sur les revenus de la lutte contre la fraude, le décret prévoit un partage des revenus de la surtaxe avec une quote-part versée à Gvg qui va s’enrichir sur le dos des opérateurs locaux, sans avoir de mérite dans la modernisation et le développement du secteur des télécoms, et sans prendre de risques financiers liés à des investissements conséquents.
Est-ce que cela affectera les consommateurs sénégalais ?
Global Voice Group a dit à l’Etat que cette surtaxe est seulement appliquée au trafic international entrant et que cela n’affectera pas le consommateur sénégalais. Mais, il omet de préciser que les opérateurs étrangers concernés vont appliquer la réciprocité systématiquement. De ce fait, le coût du trafic départ facturé à l’abonné Sénégalais sera renchéri et pénalisé. Donc la hausse des tarifs, liée au décret, concerne directement ou indirectement tous les trafics internationaux entrants et sortants des opérateurs sénégalais, et donc tous les consommateurs sénégalais et de la Diaspora. Voilà une autre contre-vérité qui s’apparente à de l’arnaque. L’Etat croyant que cette surtaxe ne va pas impacter sur les consommateurs sénégalais, il va, tout de suite, déchanter puisque ceux-ci vont en subir les conséquences, alors qu’aujourd’hui la tendance est à la baisse du prix des communications.
Quel sera le manque à gagner pour Sonatel ?
La hausse des tarifs sur les trafics internationaux entrants et sortants, qui sera répercutée sur le prix facturé aux abonnés sénégalais et de la diaspora, va remettre en cause la compétitivité de Sonatel qui pratique les prix les plus bas sur le continent africain. Non seulement, le volume va baisser parce qu’il y a des solutions de contournement qui vont être utilisées et que cela va favoriser la fraude à grande échelle, mais il faut savoir que tout le trafic qui rentre au Sénégal n’est pas seulement à destination du Sénégal. Il y a une partie qui constitue le trafic de transit international. Or, beaucoup d’opérateurs internationaux font transiter leurs communications internationales par Sonatel qui a un réseau performant et les prix les plus bas. Si Sonatel, qui facturait le trafic entrant à 65 francs Cfa les facture maintenant à 140 francs, il ne sera plus compétitif. Et ces opérateurs vont passer par d’autres opérateurs plus compétitifs. Ce volume est très important dans notre trafic international entrant et sa baisse constituera un manque à gagner non négligeable. Notre chiffre d’affaires pourrait chuter d’au moins 30 %. Par ailleurs, la fixation de prix minimal (plancher) est antinomique à la logique économique du monde des télécoms qui milite pour une baisse des tarifs. Elle est donc une mesure contre-productive. De plus, le décret viole les règles les plus élémentaires de l’économie libérale et de la libre concurrence prônée par les organismes internationaux tels que l’Omc, l’Uit et la Cedeao.
‘Il y a beaucoup de faits successifs et d’actes posés par l’Etat, volontairement ou involontairement, qui vont dans le sens de la liquidation de Sonatel’
D’aucuns vous accusent de ne réagir que lorsque vos intérêts personnels sont menacés ?
Bien qu’il soit légitime de réagir lorsque ses intérêts sont menacés, pour ce cas-ci, il sera difficile de démontrer que c’est pour nos intérêts que nous agissons. Ce contrat avec Gvg risque de freiner le secteur des télécoms et de créer des problèmes à l’économie du pays. En effet, Sonatel est considéré comme le fleuron de l’économie nationale. Elle participe de 6 à 7 % du produit intérieur brut du Sénégal, fournit également 12,7 % des recettes budgétaires de l’Etat, 45 milliards de francs Cfa sur les dividendes et 80 milliards sur les taxes et impôts. Donc, en 2009, Sonatel a rapporté à l’Etat 125 milliards de francs Cfa. Mieux, Sonatel fournit plus de 2 000 personnes en emploi direct et plus de 40 mille emplois indirectement, notamment dans son réseau de distribution et la vente indirecte. Une société aussi stable, qui est cotée en bourse, qui a une réputation et une crédibilité notoires sur le plan international, qui participe à la modernisation du réseau national pour une meilleur compétitivité du pays, si son avenir est menacé et que ses travailleurs s’insurgent, je pense qu’on ne doit pas dire que les travailleurs réagissent pour leurs intérêts propres.
L’année dernière, vous aviez proposé à l’Etat une alternative à la vente de ses parts à France télécoms. Que lui proposez-vous cette fois-ci pour dépasser cette situation ?
D’abord ce que nous demandons, c’est que l’Etat ouvre des concertations. Parce que, chaque fois qu’il y a eu des problèmes dans le secteur des télécoms, on a pu les dépasser en privilégiant la concertation avec tous les acteurs afin de trouver des solutions viables. Et pour le décret qui est en cause, l’Etat y a travaillé seul avec l’Artp et Global Voice Group. Nous rappelons que Gvg a gagné tous ses marchés en Afrique par le biais des contrats de gré à gré. Et il ne s’est jamais aventuré à proposer cette solution ailleurs qu’en Afrique. Donc, si l’Etat ouvre les concertations, nous allons le sensibiliser sur les inconvénients de ce modèle qui n’est pas bon, car il est basé sur une stratégie très ‘court-termiste’ qui va permettre à Gvg et à l’Etat d’engranger vite des milliards, mais qui va fragiliser le secteur des télécoms au Sénégal. Nous pourrons ensuite proposer à l’Etat d’autres moyens de trouver de l’argent sans remettre en cause l’économie du pays. Par exemple, la baisse qui avait été appliquée sur l’impôt aux entreprises pour favoriser l’investissement peut être revue au niveau du secteur des télécoms. Ce secteur étant rentable et ne comportant pas beaucoup de risques, nous aurions préféré lui dire de discriminer ce secteur et de ne pas y appliquer cette baisse. Ce qui lui permettrait de récupérer près de 15 milliards de francs Cfa, rien qu’avec Sonatel.
Lors de vos précédentes sorties, vous avez dit que Sonatel est attaquée sur tous les fronts avec la hausse des taxes, le blocage de l’extension de votre licence 3G+ et actuellement le retrait de la gestion du trafic international. Assimilez-vous tout cela à une volonté de liquidation de Sonatel ?
Nous ne le pensons pas seulement, nous le disons clairement. On le dit parce qu’il y a beaucoup de faits successifs et d’actes posés par l’Etat, volontairement ou involontairement, qui vont dans le sens de la liquidation de Sonatel. Pour l’affaire de la licence 3G+, on ne peut pas comprendre que Sonatel qui essaie de faire des efforts pour se développer et être une entreprise performante, travaille sur cette nouvelle technologie, la teste avec succès et soit bloquée par l’Etat qui retarde son exploitation. Il nous a demandé de payer le ticket d’entrée pour commercialiser les services 3G+ et nous étions d’accord. L’Artp avait donné son quitus, ainsi que le ministère des Finances qui avait négocié le montant à verser.
Mais, il reste un décret du président pour finaliser le processus. Donc, nous avons fait tout ce qu’il fallait pour que ce décret soit signé. Et paradoxalement, lorsque nous avions soulevé la question, on nous a expliqué que le décret est perdu dans les méandres administratifs de la présidence. On a refait le même travail et le même parcours du combattant sans suite. Un beau jour, nous voyons un concurrent mettre sur le marché les services 3G+. Et c’est le président de la République en personne, invité pour inaugurer la manifestation, qui annonce aux Sénégalais que ce concurrent apporte des services innovants qui n’existent pas en Afrique et sont en expérimentation en Chine. Pis, il invite les Sénégalais à l’acheter et à l’utiliser. Il a même proposé un nom commercial, Jokko, pour contextualiser ce service. On s’est dit qu’il y a problème quelque part et qu’on nous a bloqué volontairement pour permettre à d’autres de se préparer, de faire leurs tests, de lancer le produit et de commercialiser les services 3G+ avant nous.
Quelle est la conséquence de ces actes posés par l’Etat du Sénégal ?
Hormis le blocage sur l’extension de sa licence 3G+ pour la commercialisation de nouvelles offres innovantes, la Sonatel est attaquée sur les autres leviers qui soutiennent la croissance de son chiffre d’affaire : le blocage dans sa croissance externe, l’ajout et la hausse progressive des taxes (Rutel), la remise en cause de sa compétitivité sur les tarifs du trafic international à travers l’Afrique et le monde, etc. Donc, si elle est privée des moyens qui lui permettent d’agir sur les leviers fondamentaux qui soutiennent sa croissance, la Sonatel ne sera plus maître de son destin et elle risque la faillite dans 5 an maximum. Ce que nous ne pouvons pas accepter les bras croisés. Toutefois, Nous restons ouverts au dialogue et à la concertation avec l’Etat, afin de trouver les meilleures solutions dans l’intérêt du secteur, de notre entreprise et du Sénégal.
Propos recueillis Par Seyni Diop
(Source : Wal Fadjri, 26 juillet 2010)