Le retour à l’école de nos enfants, en cette période où règne en maître le SARS-COV 2, hante le sommeil de tous les parents. Et pourtant, aucune hésitation n’est notée dans la prise de décision des autorités, restée depuis le début, fonction des avis de la communauté scientifique.
L’inquiétude des parents d’élèves naît de l’inadaptation et de l’insuffisance des réceptifs, mais aussi d’un manque de matériels adaptés à des situations d’apprentissage en mode « suspension de scolarisation ». Nous avons tous constaté la disponibilité et l’engagement du personnel enseignant. Leur courage et leur implication ne souffrent d’aucune ambiguïté. Certes, beaucoup ont regagné leur famille, mais aucun n’a voulu rompre le cordon pédagogique qui le reliait à ses potaches. Et dans cette sorte de départ forcé, tous ont fait confiance en l’existence des technologies de communication pour maintenir sous perfusion pédagogique les élèves. Malheureusement, le numérique n’a pas pu tenir ses promesses d’empêcher le décrochage de beaucoup d’apprenants. Cela n’est-il pas dû à l’incapacité non avouée du numérique dans sa version « enseignement à distance » à gérer de bout en bout les problèmes de l’école ?
L’un des aspects fondamentaux de la prise en charge des enseignements en tout temps et en tous lieux a toujours été négligé. Il s’agit des réceptifs susceptibles d’accueillir les populations scolaires. Le modèle d’école de notre temps exige un certain nombre de modalités préalables à toute activité pédagogique. Est-ce à dire que les Etats pauvres en général et le Sénégal en particulier, ont raté le coche ? En tout cas, tout porte à croire que la création d’écoles intelligentes aurait pu permettre de juguler efficacement les risques de rupture pédagogique. Mais qu’est-ce donc une école intelligente ? C’est un établissement qui fait l’option de s’arrimer de façon substantielle à l’intelligence artificielle. Il s’agit, dans une école de ce type, de démocratiser l’usage d’internet et de l’outil informatique, plutôt que de le laisser à l’unique usage de l’enseignant. Dès lors, dans un tel établissement scolaire, on aurait pu avoir une gestion intelligente d’internet, les cours par vidéo conférence, la surveillance des moments de récréation par vidéo, l’aménagement des cours et terrains de jeu tenant compte de leur accessibilité, du droit à la mobilité facile de tous et à « l’égalité du droit d’accès à l’éducation ».
Bien évidemment, cette innovation majeure en harmonie avec la modernité, ne peut être exempte de critiques. Et d’ici, nous entendons toutes ces voix se faisant l’écho d’un constat de manque de vision et d’ambition souvent fruit d’une sous-estime de soi et d’une volonté ininterrompue à toujours suivre les autres. Qu’à cela ne tienne, face à cette formidable mutation, à laquelle nous invite le côté positif de cette crise, nous devons juste nous préparer à surmonter la question des moyens financiers. Cela a un coût, c’est sûr ! Cela représentera un investissement colossal, mais la crise scolaire due à la pandémie du Coronavirus permettra aux décideurs de comprendre que leur placement représenterait, en réalité, une économie considérable, au regard du coût social de l’échec scolaire. Mais, puis qu’avec l’éducation et la formation nous sommes forcément dans le domaine du « qui paye, commande », efforçons-nous au moins de choisir les instruments avec lesquels nous déciderons de marcher avec les yeux d’autrui. Cela est d’autant plus faisable que l’offre d’accompagnement éducatif est aujourd’hui diverse et variée dans le cadre de la coopération internationale.
L’école sénégalaise est en train de souffrir atrocement de la rupture pédagogique et d’un profond sentiment de décrochage chez la plupart des apprenants. Cette situation est due en grande partie à l’incapacité des outils numériques dominant notre espace, à instruire le plus grand nombre. Tout ce que nous propose le numérique est de l’ordre de l’individuel, et contribue par conséquent à accroître le fossé entre les apprenants issus de familles précarisées et les autres appartenant aux classes aisées. Les premiers n’ont certainement pas d’outils individuels ni de parents disponibles et prompts à les tutorer pédagogiquement ni de bibliothèques, encore moins de chambre d’enfants spacieuse et individuelle. Les seconds rendront des devoirs bien faits et à temps, et n’ont pas eu le temps de considérer à tort, que la fermeture des écoles n’était pas synonyme de vacances.
Le plus grand défi du numérique (et c’est peu) était de faciliter et de maintenir le contact pédagogique entre le plus grand nombre d’élèves et les maîtres ou les professeurs de façon régulière et groupée en fonction des besoins spécifiques des apprenants. Malheureusement, ce schéma semble ignorer l’égalité au droit d’accès à l’éducation, surtout pour les élèves issus de familles défavorisées et qui n’ont pas accès au numérique. Où est donc passée l’égalité des chances promise par l’institution ? Là encore, un flop magistral. Le numérique n’a-t-il pas, par inadvertance, sombré dans la promotion de l’indifférence aux différences ?
Le rendez-vous manqué par le numérique a produit chez certains enseignants, au demeurant très volontaristes, une mauvaise compréhension du maintien de la pression et de l’activité pédagogique avec l’apprenant. La poursuite de l’activité ou la continuité pédagogique ne peut se résumer à des séances, via un groupe WhatsApp ou Messenger, de distribution d’exercices individuels. La continuité pédagogique que le numérique a manqué de nous offrir intègre des échanges intellectuels féconds soutenus entre apprenant et enseignant.
Le meilleur exemple que nous sommes en droit de citer est la qualité des enseignements/apprentissages proposés par certaines télévisions. Pas toutes, car nous nous souvenons encore avec beaucoup de regret, en mi-mars, de ce jeune professeur de mathématiques en direct dans une émission télé, dont la leçon portait sur le thème : « développement et factorisation ». Nous n’avons pas retenu ce passage télévisuel pour l’erreur monumentale commise par l’enseignant dans la résolution de l’opération de développement, mais plutôt pour le non respect de la règle de distanciation sociale. Le cours se déroulait en présence d’une bonne dizaine d’élèves dans un petit studio télé. Par ailleurs, c’est l’occasion de féliciter sans les nommer, les initiateurs de l’émission « Salle des profs ».
Depuis le lundi 02 mars, date de l’enregistrement du premier cas de COVID 19 au Sénégal, une bonne flopée de textes a été produite dans la grande presse, et des réflexions aussi brillantes les unes que les autres ont été formulées, mais très peu traitent de la question scolaire et éducative. Or, le constat d’une nécessité de changement de paradigme est dans tous les esprits. Nous devons donc arrêter de dire « après la crise, il faudra changer les comportements », comme si nous n’étions tous que de grands garçons. Le Sénégal de demain ne pourra se comporter différemment que si et seulement si, on investit vraiment dans l’École dans l’unique but de lui permettre de prendre sa part dans la construction du futur de notre pays. Autrement, rien ne changera ni dans les comportements ni dans le vécu des sénégalais.
Lamine Aysa FALL
Expert et Consultant en Education et Formation
Militant de l’Alliance Pour la République (APR)
Citoyen de Thiès-Ville
(Source : Enquête, 16 mai 2020)