Seuls la Côte d’Ivoire et le Nigeria en Afrique participent aux réflexions préalables à la définition des règles pour ces échanges numériques qui défient le temps et l’espace.
A Buenos Aires en Argentine, où elle a tenu sa onzième réunion ministérielle, du 10 au 13 décembre 2017, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a confirmé son projet d’établir des règles sur le commerce électronique. Cette rencontre s’est achevée sur une décision ministérielle qui impactera : « Nous convenons de poursuivre les travaux menés dans le cadre du Programme de travail sur le commerce électronique ». Selon l’OMC, « le Programme de travail sur le commerce électronique couvre toutes les questions liées au commerce électronique dans le monde, telles que la protection de la vie privée et de la morale publique, la répression de la fraude, l’accès et le recours aux réseaux et services publics de transport des télécommunications… ».
« Nous convenons de maintenir la pratique actuelle consistant à ne pas imposer de droits de douane sur les transmissions électroniques jusqu’à notre prochaine session, que nous avons décidé de tenir en 2019 », peut-on lire dans une des conclusions de la réunion ministérielle de Buenos Aires. Le moratoire suggéré par l’OMC sera très utile aux pays africains qui hésitent à participer aux réflexions sur le commerce électronique. Seuls la Côte d’Ivoire et le Nigeria ont décidé d’y prendre part.
La ZLEC et le commerce électronique
Cette prudence est perceptible dans les négociations qui ont abouti à la naissance à la Zone de libre-échange économique continentale (ZLEC). Elles ont porté sur le commerce des marchandises et des services. La deuxième phase de ces discussions portera sur la concurrence, l’investissement, la propriété intellectuelle et le mouvement des personnes physiques (personnes en voyage d’affaires). « De façon explicite, le commerce électronique n’a pas été inclus comme domaine de négociations au niveau de la ZLEC », indique le ministre sénégalais du Commerce, Alioune Sarr.
« Les pays africains ne veulent pas s’engager dans des règles internationales sur un secteur qu’ils ont peine à règlementer sur le plan national », confie Léopold Ismaël Samba, ambassadeur de la République centrafricaine et coordinateur des pays les moins avancés accrédités auprès de l’OMC. En effet, de nombreux pays n’ont même pas encore légiférer sur les communications numériques, a fortiori sur le commerce électronique. Des ONG (Organisations non gouvernementales) plaident pour cette réticence africaine au regard, selon elles, des risques encourus si tous les contours des nouvelles règles ne sont pas maîtrisés. « La matière première dans le commerce électronique, ce sont les données personnelles. Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, auxquels on peut ajouter Alibaba) ont presque fait le plein des data personnelles en Occident et en Asie. Il leur reste l’Afrique. Elle ne doit pas aller aux négociations sur le commerce électronique tant qu’elle n’est pas outillée pour faire face aux GAFAM », conseille Christina Colclough, directrice Digitalisation et Commerce chez UNI Global Union, rencontrée dans les couloirs de l’OMC.
La bancarisation, accélérateur du commerce
D’autres voix s’élèvent pour inviter l’Afrique à ne pas laisser passer l’opportunité de faire entendre sa voix au moment de l’adoption des règles qui vont, quoi qu’il arrive, s’imposer à elle. Mais pour cela, le continent Noir doit lever de nombreuses barrières qui se dressent sur son chemin. « Parmi les obstacles auxquels les pays en développement sont confrontés pour pouvoir participer pleinement au commerce électronique, il faut citer les coûts élevés des infrastructures numériques, le non-respect des obligations juridiques et fiscales des marchés électroniques étrangers, le sous-développement des systèmes financiers et de paiement et la méfiance des consommateurs », indiquait le directeur général de l’OMC, Roberto Azevêdo, en juillet 2016.
Ces contraintes ne freinent pour autant pas l’essor du commerce électronique en Afrique. Un pays comme le Sénégal dispose d’une soixante de sites de e-commerce et des moyens de paiement électronique qui vont avec. Au Cameroun, le leader de ce secteur, la plateforme de vente en ligne Jumia, revendique 2,5 millions de visiteurs seulement entre septembre et novembre 2017 pour un pays qui compte moins de 4 millions de comptes Facebook. Selon la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), les champions du commerce électronique en Afrique sont l’Egypte (3,90 milliards de dollars US), l’Afrique du Sud (1,20 milliards de dollars US), le Ghana (0,09 milliards de dollars US) et l’Ethiopie (0,06 milliards de dollars US).
De quoi donner raison à Roberto Azevêdo, qui regarde le commerce électronique comme une formidable opportunité pour les pays en développement. « En réduisant les coûts du commerce liés aux distances physiques, il permet aux entreprises d’avoir accès au marché mondial, d’atteindre un réseau d’acheteurs plus vaste et de prendre part aux échanges internationaux. La large diffusion de ces technologies fait que les possibilités commerciales créées par le commerce électronique s’offrent aussi aux entreprises des pays en développement », a-t-il affirmé au cours d’un séminaire à l’OMC, il y a deux ans.
(Source : Afrique Expansion, 30 juillet 2018)