Malgré un côté très pratique avec les technologies de l’information et de la communication, participer à une e-tontine suscite encore d’énormes appréhensions chez les Sénégalaises.
‘‘Nat Internet ? Khalatoumako’’ (Tontine sur les réseaux sociaux ? Je n’y pense même pas). La réponse de Rokhaya fuse. Pour la vendeuse de légumes au marché Grand-Yoff, l’objection est double : inconcevable de confier son argent à une inconnue ; inimaginable, quand c’est virtuel, de surcroit. Vêtue d’une tenue quelconque qui s’adapte bien à son rythme de travail, Rokhaya répond fréquemment aux sollicitations des clients dans un brouhaha indescriptible. ‘‘Je préfère connaitre l’organisatrice et les participantes. Au marché, nous avons une mutuelle de ce genre et cela marche parfaitement. Je crois que c’est plus intéressant que ce qui se fait en ligne’’.
D’une corpulence moyenne, le teint noir, la jeune dame arrange, de temps en temps son étal, pour mieux épater la clientèle. Son manège ne l’empêche en rien, cependant, de se prononcer sur le sujet. Et même de lâcher des anecdotes : ‘‘J’ai une copine qui habite les Parcelles. Elle avait initié une tontine dont la mise était une parure en or. Les participantes devaient cotiser 25 mille par mois. Malheureusement, trois d’entre elles ont arrêté de cotiser, après avoir reçu la parure. Finalement, les choses ont mal tourné et elle se débrouille, depuis lors, pour recouvrer l’argent.’’
Comme Rokhaya, nombreuses sont les Sénégalaises qui se méfient des tontines sur la toile, communément appelées ‘’e-tontines’’.
Le mot tontine renvoie à plusieurs définitions. Dans ‘’l’Encyclopédie Libre de Wikipédia’’, le terme est défini comme ‘’association collective d’épargne, qui réunit des épargnants pour investir en commun dans un actif financier ou dans un bien dont la propriété revient à une partie seulement des souscripteurs’’. Jadis organisée dans les quartiers entre les membres d’une même association, cette pratique tend, de plus en plus, à la modernité.
Aujourd’hui, les tontines s’adaptent aux technologies de l’information et de la communication pour devenir virtuelles. Le modus operandi est assez simple. Les initiatrices publient des annonces sur Facebook ou sur des statuts WhatsApp pour informer du lancement d’une tontine financière ou matérielle. C’est selon. Des intéressés se signalent et un groupe WhatsApp est créé pour la circonstance, pour mieux centraliser les informations et gérer les cotisations.
Mais tout ne se passe pas forcément comme prévu. Après ces publications d’annonces, suivent souvent celles des dénonciations. Et les plaintes sont devenues tellement récurrentes que le phénomène tend à être banalisé dans les groupes de femmes.
Si certaines ont choisi le net pour adhérer à ces tontines et gagner plus de temps, d’autres, plus méfiantes, préfèrent la voie classique. C’est le cas de Rama, trouvée entre les rayons d’un supermarché, à Castor. Habillée d’un ensemble tailleur rouge-blanc, la tête recouverte d’un foulard, la jeune mère de famille répond automatiquement par la négative avec un hochement de tête, à la question de savoir si elle participe à une tontine en ligne. Elle considère, d’ailleurs, que celles qui témoignent de la bonne gestion de ces tontines sont le plus souvent complices pour attirer d’éventuelles adhérentes. ‘’Je préfère rester avec les femmes de mon quartier ou des connaissances’’, avance-t-elle.
Absa, de teint clair, a tenté l’aventure, mais a été déçue, au bout du compte. En effet, la jeune fille au tissage longue, moulue dans un body noir sur un jean bleu ne souhaite plus tenter l’expérience à nouveau. ‘’On a intégré, avec une copine, pour gagner des wax woodin, mais la qualité n’était pas au rendez-vous et finalement j’ai été obligée de prendre un sac et d’autres affaires’’, explique la jeune fille rencontrée au rond-point de Liberté 6.
Sonia : ‘’Actuellement, je suis dans plusieurs tontines en ligne d’argent ou de matériel’’
Si la modernité a apporté des innovations nouvelles à cette forme d’épargne solidaire, rien ne vaut la méthode de Sonia pour parer à toute éventualité : user de ces technologies, mais avec les bonnes vieilles connaissances. La jeune commerçante a elle aussi eu une mésaventure avec le e-tontine. Elle a toujours en travers de la gorge la mauvaise qualité du micro-ondes qu’elle a reçu chez une célèbre vendeuse en ligne. Ce qui ne l’a pas empêchée de continuer à participer à des tontines, et parfois chez des inconnues. ‘‘Je prends toujours les devants. Quand je ne suis pas rassurée par la gérante, je m’impose. Actuellement, je suis dans plusieurs tontines en ligne d’argent ou de matériel. Mais c’est un monde très complexe et il faut être prudent’’, conseille-t-elle.
Rama est une gérante de multiservice qui commence à être assidue dans les tontines en ligne, avec bientôt trois années d’expérience. Elle assure cependant qu’elle n’a jamais été victime d’escroquerie. ‘’Tout se déroule normalement. On nous transfert les sommes à temps avec même les frais’’, fait-elle savoir. Cependant, elle invite les participantes à ne pas souscrire chez des inconnues. Un conseil qui sera peut-être utile…
Habibatou Traoré
(Source : Enquête, 11 août 2020)