On assistera en 2017 à une accélération des déploiements des technologies de haut débit, qu’il s’agisse de backbones nationaux ou de réseaux 4G, la quasi-totalité des pays du continent Africain verront en 2017 le début de ces réalisations. Mais le déploiement de la 4G présente encore de nombreuses interrogations tant le modèle économique n’est pas stabilisé.
Lorsque Salvador Dali quittait son atelier de Port Ligat pour rejoindre chaque année, par la gare de Perpignan, sa suite de l’hôtel Meurice à Paris où il passerait l’hiver à assurer la promotion de ses toiles, il avait coutume d’indiquer « décembre commence à décembrer, Noël arrive ». Dans le secteur des télécommunications, aussi, « décembre commence à décembrer » et on sent bien, à la multiplication des opérations promotionnelles lancées par les opérateurs, que Noël arrive. Chacun y va de son nouveau forfait, du subventionnement des terminaux pour faire le plein d’usagers avant le début de l’année 2017. Il s’agit effectivement d’un tournant clé, annonciateur d’évolutions importantes au cours de l’année prochaine.
La principale accélération attendue de 2017 est bien la migration d’usages de services téléphoniques de voix de base vers des usages à plus fortes valeurs ajoutées, d’accès à internet. On assistera en 2017 à une accélération des déploiements des technologies de haut débit, qu’il s’agisse de backbones nationaux ou de réseaux 4G, la quasi-totalité des pays du continent Africain verront en 2017 le début de ces réalisations. Le déploiement de la fibre optique passe définitivement par des modes de financements publics soit au travers de financements exports chinois (Eximbank ou Chinese Development Bank) soit de financements directs nationaux (comme au Gabon ou au Congo-Brazzaville). Le déploiement de la 4G présente encore de nombreuses interrogations tant le modèle économique n’est pas stabilisé. La plupart des pays ont donné ou sont prêts à attribuer aux opérateurs des fréquences 4G sur le même modèle que celui qui a prévalu pour la 2G ou la 3G. On assiste pourtant à une frilosité nouvelle des opérateurs à consentir les investissements importants pour le déploiement de cette technologie. Cela peut conduire à des modèles originaux, comme au Mexique ou au Rwanda, où l’on tente de rassembler l’effort de l’ensemble des acteurs dans un seul réseau 4G dont les capacités sont mises à disposition des opérateurs selon un principe d’accès ouvert : non thésaurisation et non spéculation sur les capacités.
2017, année de la fibre ?
Reste que la question clé demeure le haut débit : Pour quoi faire ? Jusqu’à présent la nature du service fourni, à l’exception de quelques réseaux sociaux, n’a pas eu l’heur de plaire aux consommateurs africains. Les expériences de C-Discount et de Jumia en matière de commerce en ligne restent prometteurs mais dans un avenir calendaire hésitant. Il y a donc nécessité en 2017 de prendre des initiatives qui contribuent à l’émergence d’un écosystème permettant des usages en ligne. Les applications d’e-gouvernement sont aujourd’hui disponibles et adaptées aux besoins des Etats de la sous-région : recensement des fonctionnaires permettant des économies substantielles liées à la disparition des « fonctionnaires fantômes », recensement électoral, mode de paie en ligne, mode de versement des impôts en ligne, versement direct des rémunérations des entreprises nationales d’électricité ou d’eau, dématérialisation des permis de construire... Les applications sont nombreuses, et elles peuvent, à l’initiative des gouvernements les plus diligents, amener les consommateurs à un début d’usage en ligne.
Les acteurs seront-ils prêts ? En l’état, la réponse est négative et il faudrait des progrès spectaculaires en 2017 pour parvenir à un résultat probant. Il s’agit d’abord de faire accéder le haut-débit jusque chez l’habitant : les progrès spectaculaires de Liquid laissent augurer le déploiement de réseaux de fibre jusque chez l’abonné (FTTH) sur le reste du continent et notamment en Afrique de l’Ouest. On peut effectivement s’attendre au cours de l’année 2017 à voir émerger de nombreux projets de FTTH car le continent africain présente une particularité, du fait de son histoire : les principaux centres urbains d’un grand nombre de pays sont situés au bord de l’océan et jouxtent précisément les stations d’atterrissement des câbles sous-marins internationaux. Une partie significative des populations urbaines peut être couverte par un réseau en fibre optique de bout en bout et disposer d’un accès à très haut débit dans des conditions susceptibles de dépasser très rapidement celles auxquelles la population européenne en dispose.
Economie de subsistance contre start-up
La migration de la diffusion de la télévision d’un mode analogique à un mode numérique relève du principe de l’optimisation de l’usage des fréquences : en particulier, la bande des 800 mégahertz qui est largement utilisée pour diffuser la télévision en mode analogique, est précisément celle la plus utile pour le déploiement de réseaux 4G. Ces « fréquences en or » auraient dû, selon l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), faire l’objet d’une libération au cours de l’été 2015. Las, les difficultés techniques et les enjeux financiers du passage de la télévision analogique au numérique ont rendu impossible le respect de cette date butoir par une majorité d’Etats africains. L’UIT a fixé une nouvelle date butoir au 17 juin prochain. Cette date sera-t-elle cette fois-ci honorée ? Il n’est évidemment pas question de mettre un terme à l’accès de toute la population à la télévision analogique sans lui permettre de disposer d’un accès au moins égal à la télévision cette fois-ci en mode numérique. Or, le déploiement de réseaux de télédiffusion terrestre numérique nécessite des investissements significatifs pour des états le plus souvent impécunieux.
Il s’agit de déployer des stations terrestres d’émissions dans la plupart des centres de population et de procéder par l’acheminement du signal par voie satellitaire pour alimenter les têtes de réseaux en province et dans les zones rurales. On a pu un moment espérer que le numérique permette l’émergence de la télévision payante sur le continent africain au travers de multiplexes dont l’accès est soumis au versement d’un abonnement. Or l’expérience montre que l’arrivée tardive de la TNT sur le continent africain a rendu cette équation plus délicate que prévue : en effet, la partie de la population disposant de revenus lui permettant de payer un abonnement à la télévision payante se trouvant précisément plutôt dans les grands centres urbains, le déploiement de la TNT, en lui offrant un service triple play d’accès à la fois aux services de téléphonie, d’internet et de télévision, pourrait bien court-circuiter les modèles économiques de la TNT payante. Enfin, on ne peut que s’inquiéter de la confirmation en 2017 du phénomène tout juste débutant d’exode rural massif qui s’annonce sur l’ensemble du continent africain.
Les institutions internationales qui se réjouissent d’un tel phénomène en rappelant qu’historiquement aucun progrès économique significatif n’a été mené sans une urbanisation accélérée font assez rapidement l’impasse sur les défis structurels présentés à court terme par un tel phénomène : habitat, transport, éducation, santé, énergie... de nombreux gouvernements africains se sentent déjà désemparés par l’ampleur des défis présentés par l’arrivée massive de nouvelles populations en zones urbaines et sur le gigantisme des investissements nécessaires à réaliser en infrastructure. Le déploiement de solutions numériques sur l’ensemble du territoire présente à cet égard à la fois un défi et une solution. Le défi est celui de facturer un peu plus la société africaine entre une population déjà largement défavorisée vivant en zone rurale dans un mode préindustriel et une population plus aisée, mieux éduquée et dont le mode de vie urbain s’apparente déjà au comportement post-numérique. Economie de subsistance contre start-up, lorsque de tels écarts s’approfondissent, les risques de troubles sociaux, politiques et sécuritaires ne sont pas loin. Le numérique présente au contraire l’opportunité d’acheminer le savoir, les services publics et certains loisirs dans les parties les plus reculées des zones rurales comme jamais cela a pu être effectué auparavant. Faisant fi des carences encore considérables en réseaux routiers et en modes de transport, le numérique pourrait permettre au contraire de consolider le sentiment d’appartenance nationale et de limiter les divergences en matière de niveaux d’éducation et de modes de vie. Tous nos vœux accompagnent l’Afrique et les africains pour que 2017 voit plutôt cette deuxième voie l’emporter.
Rémy Fekete, avocat associé du cabinet Jones Day en charge des pratiques Afrique et Télécoms, Médias & Technologies
(Source : La Tribune Afrique, 10 janvier 2017)