Dr Mouhamadou Lo, Président de la Cdp : « La Cdp peut aider les personnes victimes d’enregistrements clandestins pour la suppression de ces données »
dimanche 3 août 2014
Depuis 2013, la Commission des données personnelles abat un travail remarquable. Les opérateurs de téléphonie, les banques, les hôpitaux sont tous appelés à déclarer leurs données collectées auprès des citoyens. Dr Mouhamadou Lo, président de la Commission a abordé avec La Gazette des questions relatives aux données personnelles.
Quel est le rôle assigné à la Commission des données personnelles (Cdp) ?
La Cdp a été mise en place par une loi qui date du 25 janvier 2008. Elle a pour mission de veiller à ce que l’utilisation des données personnelles des Sénégalais se fasse conformément à la législation. Il s’agit de collecter les données personnelles des Sénégalais dans tous les secteurs d’activité que ce soit dans les opérations de télécommunications, dans les banques, dans les hôpitaux, dans l’administration, etc. partout. Dans chaque endroit où on passe, on vous demande de décliner votre identité. Parfois, on va jusqu’à collecter les données biométriques, vos empreintes digitales, les images des caméras de surveillance. Tout cela fait partie des données personnelles. Ce qui fait que les pouvoirs publics ont, en un moment donné, décidé de doter le Sénégal d’une loi permettant de sécuriser les données personnelles des citoyens. Et, notre rôle est de faire en sorte que toute personne détenant des données personnelles les utilise conformément à la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 instituant la Cdp.
Avez-vous les moyens techniques et financiers vous permettant de faire correctement votre travail ?
Tout à fait. Bien que les moyens ne suffisent jamais. On a toujours tendance à réclamer plus. Mais, avec la dotation budgétaire de l’Etat, nous avons les moyens de travailler. Une indépendance par rapport aux bailleurs de fonds. Un travail que nous avons commencé depuis décembre 2013, bien que la loi instituant la Cdp date de 2008. Mais, il a fallu entendre de recevoir les moyens en 2013 pour commencer le travail. Donc, aujourd’hui nous avons les moyens qui nous permettent d’exercer notre mission. L’Etat a fait des efforts, en mettent à notre disposition un budget, des locaux fonctionnels. Il a pris également des décisions en publiant une circulaire demandant à toutes les structures publiques de se rapprocher de la Cdp pour procéder à la déclaration de budget. Et du côté des privés, la loi s’applique.
Est-ce que le cadre législatif et réglementaire du pays dans ce domaine est adapté ?
A l’heure actuelle, le Sénégal dispose d’un cadre juridique adéquat et adapté à la protection des données personnelles. Au moment où on mettait en place le dispositif juridique, on avait instauré la loi accompagnée aussitôt de son décret d’application. Le troisième décret est celui portant nomination des membres. Donc, aujourd’hui, je peux dire que nous disposons de l’arsenal juridique complet pour effectuer le travail. Mais, il faut le reconnaitre, l’arsenal juridique est appelé à évoluer. De ce fait, on sait que d’ici quelque temps, il faudra qu’on fasse le bilan de nos actions et l’évaluation de la loi. S’il y a lieu, on proposera des modifications des textes existants.
Vous avez travaillé avec les opérateurs de téléphonie et des recommandations ont été faites pour corriger certaines anomalies ?
Quand on a défini notre programme d’activités en décembre, on s’est dit qu’on va s’attaquer, en premier, aux grands collecteurs des données personnelles des Sénégalais et nous avons ciblé les opérateurs. Presque un Sénégalais sur deux a un téléphone portable. Ce qui fait que son numéro de téléphone est d’abord une donnée personnelle. Donc, on avait constaté également des abus. Les abonnés recevaient des sms inutiles à n’importe quelle heure de la journée, sans leur consentement. Donc, on a demandé aux opérateurs de procéder à leurs déclarations et on a ouvert des phases contentieuses consistant à mettre fin à ces messages intempestifs et à l’arnaque. Les opérateurs à 80% sont en train de finaliser leurs dépôts de déclarations devant la Cdp. Et par rapport aux arnaques, à l’envoi des sms, nous avons tapé sur la table en mettant en demeure des opérateurs, en avertissant d’autres pour que cette pratique cesse. Aujourd’hui, tout le monde constate que cela a complètement chuté. On a même sorti une délibération leur invitant à se conformer à la loi, s’ils veulent solliciter les Sénégalais pour des promotions commerciales. La délibération a été notifiée à chaque opérateur et publiée dans la presse. Maintenant, toutes les sociétés qui travaillent sur les données personnelles sont informées de toutes les dispositions réglementaires.
Avez-vous des moyens de coercition pour obliger les contrevenants à respecter la loi ?
Oui. La loi nous donne des pouvoirs sanctions pécuniaires et administratives. Pour toute infraction la loi permet à la Cdp de prononcer une amende qui peut aller de 1 à 100 millions de F Cfa. Nous pouvons aussi demander la suspension et l’effacement d’une base de données. En outre, la loi nous donne pouvoir de saisir la procureur pour des sanctions pénales.
Comment comptez-vous faire respecter cette loi sur internet ?
La particularité sur internet est liée au fait que c’est la personne elle-même qui donne ses données. Les gens sont derrière leurs ordinateurs et parlent de leurs vies privées, de leurs familles, de leurs comptes bancaires etc… Ils se dévoilent eux-mêmes. Ce qui constitue une difficulté pour la Cdp, car, la loi dit de manière très claire, si c’est la personne elle-même qui délivre ses informations sans contraintes, elle est libre de le faire. Dans ce cas notre rôle est très limité. Nous, nous intervenons lorsque la personne est confrontée à des difficultés. Mais, quand il s’agit d’arnaque, de chantage, là cette personne peut venir solliciter notre aide. Dans ce cas, le rôle de la Cdp est de l’accompagner pour que l’information soit supprimée et l’assister à saisir la justice. Donc, sur internet notre rôle est très limité.
Dans une expansion de l’économie digitale, des sociétés achètent des données personnelles pour un ciblage de leur clientèle. Est-ce que vous luttez contre ces pratiques ?
Tout à fait. Cela nous interpelle. Sur internet, il y a plusieurs façons de collecter des données de manière frauduleuse. On peut vous voler votre carnet d’adresses, sur les réseaux sociaux il est également possible de collecter des données de manière frauduleuse.
Est-ce que le citoyen peut saisir la Cdp ?
Quand quelqu’un est saisi par n’importe quelle société, la personne peut se rapprocher de nous pour dire que cette société me dérange en m’envoyant des messages que je n’ai pas demandés. Nous avons reçu beaucoup de plaintes dans ce sens et notre rôle à ce niveau est de s’approcher de cette structure pour savoir d’où vient sa base de données. Et comme c’est interdit, on lui dit qu’il faut aussitôt supprimer cette base parce qu’elle n’est pas légale et on l’a fait avec beaucoup de structures. On a un grand rôle à jouer dès que cela porte sur une utilisation frauduleuse de données.
Dans certains pays, on a vu l’Etat surveiller les citoyens, comme en témoignent les révélations d’Edward Snowden sur NSA. Est-ce que le Sénégal est confronté à ce problème ?
Non, je ne pense pas car on n’est pas dans le même contexte. Aux Etats-Unis, cela a été fait dans des trucs très clairs comme la lutte contre le terrorisme. Dieu nous en garde, nous n’avons pas ce problème au Sénégal. C’est différent ici. Car, dans ces pays, l’espionnage a toujours existé entre les Etats. Mais, ce qui a changé dans l’espionnage, c’est qu’on ne se contente plus avec les nouvelles technologies d’espionner un Etat, mais les citoyens d’un Etat. C’est cela la nouveauté qui a été condamnée par tout le monde. Mais, l’espionnage a toujours existé pour des intérêts politiques, économiques. La nouveauté est le fait qu’un Etat se met à surveiller tout un pays. Et au Sénégal, on n’a pas ces moyens. Donc, les Sénégalais n’ont pas besoin d’avoir peur de leur Etat. Nous avons tous nos données au ministère de l’Intérieur. Il n’y a pas de raison pour l’Etat du Sénégal d’espionner tous ses citoyens.
En France, un grand opérateur a été épinglé dans des écoutes téléphones. Pensez-vous que cette pratique est en cours chez nous ?
L’expertise est là. Mais, je ne vois pas pour quel intérêt l’Etat le ferait-il. A l’heure actuelle, je ne vois pas l’Etat du Sénégal espionner une partie de sa population. Il n’a pas intérêt à le faire. Il y a des voies et moyens légaux pour écouter quelqu’un. Au Sénégal, on n’est pas dans cet esprit. Et on n’est pas dans un pays en guerre pour le faire. Par contre, dans le cadre d’une enquête judiciaire, les personnes concernées sont habilitées à écouter les présumés avec l’autorisation du juge d’instruction.
Que peut faire la Cdp pour lutter contre le phénomène des enregistrements et photographies clandestins qui se développe ?
Nous n’arrêtons pas de dire aux Sénégalais que quand ils sont confrontés à ces problèmes de venir auprès de nous et on les accompagnera jusqu’à aller porter plainte auprès du procureur. C’est un phénomène que nous condamnons. Cela relève de la malhonnêteté. Car, on ne doit pas enregistrer quelqu’un de manière clandestine. La Cdp sur cette question de l’enregistrement clandestin peut accompagner la personne concernée jusqu’à la suppression de l’élément en question. Nous avons des cas de plaintes de cette nature. Pas de vidéo, mais nous avons des cas qui portent sur des photos et nous avons réussi jusqu’à les faire enlever des sites. La victime peut porter plainte via notre site pour qu’on puisse se saisir de la question. Il y a plusieurs possibilités pour nous saisir. A part le site, il y a le numéro de téléphone, d’autres nous saisissent par écrit.
Pourtant, le grand public ne semble pas connaître les activités de la Cdp. Que faites- vous pour faire connaitre votre structure ?
Nous avons rencontré des organes de presse. Nous avons des moyens et des outils de communication pour nous faire connaitre. Le site web est très dynamique. On y a publié toutes nos informations. Mais, d’une part je suis d’accord avec vous, il nous reste un grand pas à faire et nous y réfléchissons. Il faut savoir aussi qu’on est là depuis six mois et que le choix était fait de s’occuper des traitements d’abord avant d’aller auprès des médias.
Baye Makébé Sarr
(Source : La Gazette, 3 août 2014 par )