Don de matériels informatiques vérolés : La France a-t-elle besoin d’espionner le Sénégal ?
dimanche 27 janvier 2019
Le 25 janvier dernier, le site 01net.com, spécialisé dans les high-tech a repris par la plume de Gilbert Kallenborn, une information révélée la veille par Theintecept.com et selon laquelle les services de sécurité sénégalais auraient reçu depuis 2002 des équipements informatiques vérolés de la part de la DGSE française. Lesquels matériels composés d’ordinateurs et de télécopieurs couramment appelés Fax selon Henrik Moltke et Macah Lee, auteurs de l’article de Theintercept.com, auraient permis à la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) française d’espionner le Sénégal. Eu égard à sa gravité, l’information est aussitôt captée par les sites d’information dans l’espoir d’avoir une réaction des autorités sénégalaises qui se sont depuis, emmurées dans un silence inquiétant.
Pour être édifié, Dakaractu a saisi l’information au rebond et a câblé qui de droit. Ainsi, nous nous sommes rapproché du Bureau des relations publiques de la Police nationale. Mais à ce niveau, on a préféré jouer sur le caractère « vague » de l’information d’autant plus qu’il n’a nulle part été mentionné que c’est la police qui a reçu le matériel infecté. « On ne se sent pas concerné par cette affaire jusqu’à ce que la preuve soit fournie que la police est impliquée », a ajouté notre interlocuteur.
Quand Intellipedia, un wiki américain met à nu des pratiques peu catholiques de la France envers un allié
En effet, l’information qui provient en réalité d’Intellipedia, du nom de ce « wiki » des services de renseignement des États-Unis qui regroupe les 17 services secrets du pays de l’Oncle Sam, n’a pas précisé lesquels des services de sécurité sénégalais ont réceptionné ce matériel vérolé. La page Intellipedia qui sert de source aux auteurs de l’article de Theintercept a été d’ailleurs diffusée en même temps que celui-ci.
Mais il y a eu nuance dans l’interprétation du passage traitant de la pénétration des services français dans le système informatique de leurs homologue sénégalais à travers ce « cadeau empoisonné. » La page Intellipedia a également indiqué qu’à compter de 2002, la DGSE, l’agence de renseignement française, « a livré des ordinateurs et des équipements de télécopie aux services de sécurité du Sénégal et qu’en 2004, elle pouvait accéder à toutes les informations traitées par ces systèmes, selon une source coopérative à accès indirect », a écrit mot pour mot Intellipedia. Jusque-là, il n’est pas dit formellement que les services de sécurité sénégalais ont utilisé le matériel infecté.
La France n’a pas besoin d’espionner le Sénégal
C’est pour cette raison que le journaliste Mamadou Mouth Bane, spécialisé en sécurité, criminalité et lutte contre le terrorisme, invite à prendre les précautions d’usage dans le traitement de cette information. « Rien ne nous dit que ces matériels ont été utilisés », temporise-t-il dans un entretien accordé à Dakaractu sur le sujet. De toute façon, le Directeur de publication de DakarTimes est convaincu que les services sénégalais sont très prudents pour utiliser du matériel informatique provenant de l’étranger dans un contexte marqué par la montée et l’expansion de l’espionnage électronique. « Cela fait partie de leur formation en tant qu’agent de renseignement. Tous les outils utilisés dans le service doivent être contrôlés et certifiés d’abord pour éviter des incursions malveillantes », rassure Mouth Bane. Qui d’ailleurs, ne croit pas que la DGSE française ait besoin d’espionner le Sénégal.
Cette thèse est corroborée par une confidence faite par un ancien du renseignement sénégalais aux journalistes français Antoine Glaser et Thomas Hofnung dans leur ouvrage intitulé « Nos chers espions en Afrique ». « Ceux qui le disent ignorent que la DGSE a un « Point focal » à la Délégation Nationale du Renseignement (DNR) du Sénégal dirigée par l’Amiral Diène Faye. Ce « Point focal » est un agent de renseignement qui représente la France dans notre dispositif, renchérit Mouth Bane. Qui veut nous dire que les français sont tout simplement au cœur du renseignement sénégalais et que rien ne leur échappe. « Les français ont des renseignements de première main et sont souvent informés avant nous sur ce qui se passe chez nous », souffle un Général sénégalais aux journalistes français Glaser et Hofnung. Si les français ont minimisé l’alerte terroriste donnée par les Américains en décembre 2017, c’est parce qu’ils sont bien assis chez nous. Cette affaire a failli d’ailleurs provoquer un incident diplomatique entre les deux pays.
L’information livrée par Intellelipedia peut, sous ce rapport, être interprétée comme la prolongation de l’adversité cachée entre ces deux grandes puissances sous nos tropiques. Force est de constater que l’Afrique de l’Ouest fait l’objet d’une surveillance comme lait sur du feu par tous les services de renseignement occidentaux en raison des nouvelles menaces liées au terrorisme et à la criminalité organisée. Dans ce contexte, la France ne prendrait pas le risque de se laisser coiffer au poteau.
À cet effet, Mouth Bane n’écarte pas la possibilité de voir les Français épier leurs amis sénégalais. « Ils peuvent mettre en place un dispositif technique pour savoir ce que le Sénégal entretient avec leurs rivaux », confie le spécialiste des questions sécuritaires.
Dans cette « guerre », la France renforce sa présence, car en dehors de son centre d’écoute installé à Rufisque, le plus grand dans la région selon Glaser et Hofnung, ils ont construit une école pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité en Afrique.
(Source : Dakar Actu, 27 janvier 2019)