Digital au Sénégal : C’est quoi la souveraineté numérique ? Quelle place pour le Sénégal et l’Afrique ?
vendredi 8 novembre 2019
Nous sommes de retour cette semaine avec un article qui rentre dans notre logique de sensibilisation et d’information. Après avoir parlé de la place de l’éthique dans la technologie, nous allons cette fois-ci parler de la question de la souveraineté numérique du Sénégal et de l’Afrique. Il est important aujourd’hui de définir et expliquer aux utilisateurs simples, les enjeux qui se cachent derrière la question de la souveraineté numérique.
Comme d’habitude, les mots énoncés dans cet article ne représentent pas une vérité générale mais symbolisent plutôt l’opinion de l’auteur.
C’est quoi la souveraineté numérique ?
Le dictionnaire Le Larousse définit la souveraineté comme étant : “Le pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe). La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ”. Les synonymes de la souveraineté sont l’autonomie et l’indépendance.
Ainsi, on peut définir la souveraineté numérique comme étant un prolongement des principes de la souveraineté au sein du cyberespace. Le cyberespace étant connu comme l’espace virtuel dans lequel nous naviguons à travers internet ou les réseaux informatiques.
D’une manière simple, on peut résumer la souveraineté numérique comme la capacité des États et des peuples a exercé ce que de droit dans le cyberespace ou dans l’espace numérique…
Le Numérique, un nouveau paradigme – La technologie, l’outil de démocratisation et vulgarisation du numérique
Dans notre premier billet de blog publié le 07 Aout 2016, intitulé c’est quoi le digital, nous avions défini le numérique comme étant un traitement de l’information via des appareils électroniques (Ordinateurs, Tablettes, Smartphone, Smart TV etc…)
Pour introduire la techno-éthique, nous avions dit que la technologie était un outil qui était là pour résoudre un problème bien spécifique d’un utilisateur et que l’utilisation dépendait du problème qu’essaie de résoudre cet utilisateur. De 2016 à 2019, beaucoup de choses ont évolué.
Aujourd’hui, le numérique et la transformation numérique sont considérés comme une idéologie, un nouveau paradigme et une culture. Le numérique fait partie de notre quotidien. Il intervient dans le secteur du commerce, de la santé, de la ressource humaine, de la gouvernance etc… Il occupe une place stratégique et importante au coeur des politiques de développement des états. Il a bouleversé plusieurs acquis amenant beaucoup de secteurs à connaître une mutation. C’est le cas de la gouvernance et de la démocratie. Introduits dans les années 90, les concepts de E-gouvernance et E-démocratie occupent le coeur du débat public avec les grandes entreprises tech comme Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft comme éléments principaux de ces bouleversements. Plusieurs scandales d’ingérences et de manipulations ont été constatés lors d’élection présidentielle de grandes puissances mondiales. On a accusé les russes d’être impliqués lors de l’élection de Trump. L’épisode Cambridge Analytica, où plusieurs élections majeures comme le Brexit, Trinidad Tobago etc… ont été manipulées. Au Sénégal, plus de 500 faux comptes ont été supprimés par Facebook juste après l’élection présidentielle de 2019. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nier la place qu’occupe ces grandes entreprises tech dans le processus décisionnel en période électorale. “Fake News”, “Deep Fake”, “hacking de compte email”, “misinformations”, “campagnes digitales ciblées”, sont des exemples de stratégie utilisés pour manipuler l’opinion publique et leur retirer leur libre arbitre à travers certaines plateformes.
Le dernier débat en date concerne la publicité politique payante sur le web. Si Twitter à travers son directeur a annoncé l’arrêt de diffusion de publicités politiques payantes, Facebook fait semer le doute. La polémique autour des publicités politiques payantes réside dans le fait de légaliser et de promouvoir à la grande échelle des publications fausses qui peuvent toucher beaucoup de monde sur les réseaux sociaux. Ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes dans le choix de vote en période électorale et surtout la manipulation du libre arbitre. Tous ces faits expliqués dans ce paragraphe ont pour but de montrer le nouveau paradigme qu’est le numérique et les bouleversements qu’il apporte.
La donnée personnelle, l’or noir 2.0 : La force des entreprises tech
Aujourd’hui, si les entreprises tech règnent sur le toit du monde c’est parce qu’ils détiennent les données personnelles de leurs utilisateurs. Ces plateformes ont des milliards d’utilisateurs actifs et différents types de segments de données sur ces utilisateurs. Avec l’arrivée des technologies comme la big data, la reconnaissance faciale, l’intelligence artificielle, les objets connectés etc… ces entreprises ont de quoi collecter, traiter et analyser des masses de données volumineuses sur les individus. On dit que le coût d’une donnée personnelle équivaut à un prix de baril de pétrole.
Pendant des années, ces entreprises ont utilisé ces données personnelles dans leur stratégie de croissance et de rentabilité. Récemment, les États ont décidé de mettre en place des politiques publiques de réglementation de l’utilisation des données personnelles. Le Règlement Général de Protection des Donnée Personnelles (RGPD) est un exemple de politique publique de réglementation mis en place pour réguler et protéger les données personnelles des citoyens. Les grandes puissances occidentales ne se sont pas arrêtées là, après certains scandales, on a vu le congrès américain convoquer Marc Zuckerberg, le fondateur de Facebook, pour qu’il réponde par rapport à l’implication de Facebook dans le scandale de Cambridge Analytica. La parlement européen a fait la même chose en convoquant le top Management de Cambridge Analytica. Récemment, Google a dû payer une grosse somme d’argent au fisc du parlement européen. Il y a quelques mois aussi, le président Français, Emmanuel Macron disait dans un discours, les mots suivants :
“Pendant trop longtemps, nous avons joué divisé sur ce sujet. Il est indispensable de retrouver cette souveraineté. Si on veut demain, continuer à avoir une vraie souveraineté sur ces sujets, continuer à produire nos centrales, nos services climatiques environnementaux, nos avions et nos technologies de défense et toute notre industrie. C’est indispensable. Et dans cette stratégie-là, je mets évidemment la souveraineté technologique qu’il nous faut poursuivre.
Sur la 5G, quel est notre choix ? Choisir entre une technologie américaine ou chinoise ? Je pense très profondément que nous devons défendre une vraie souveraineté européenne sur ce point sans stigmatiser qui que ce soit. C’est ce que nous avons décidé au niveau français par des choix que le Premier ministre a fait avec les ministres, pour pouvoir décider que dans certains secteurs technologiques les plus sensibles, il nous fallait maîtriser les composants et pour éviter qu’il y ait une trop grande dépendance de nos opérateurs de télécommunications à certaines technologies”
Le président américain Donald Trump a demandé à Google d’arrêter de fournir à Huawei (une marque chinoise) son système d’exploitation Android pour smartphones. Certains disent que c’est une bataille commerciale avec la Chine tandis que d’autres affirment que c’est une bataille technologique sur la question de la souveraineté numérique.
La souveraineté numérique est un sujet global et les grandes puissances veulent montrer dans un premier temps qu’elles sont plus souveraines que les entreprises tech et dans un second temps elles montrent que c’est également une question stratégique de géopolitique.
Quand est il de l’Afrique ?
Comme énoncé dans les paragraphes précédents, on constate un positionnement stratégique des grandes puissances sur la question de la souveraineté numérique. Chacune d’elle essaie de mettre en place des politiques publiques et des programmes de développement pour être le plus souverain possible dans le cyberespace. Les plus grandes menaces sont d’ordre “cyber”, on parle aujourd’hui de “cyber guerre”, de “cyber espionnage” ou “shadow war”. Cependant, on constate un grand absent des débats par rapport à ces questions. Il s’agit du continent Africain et plus particulièrement les gouvernements et institutions africains.
Il est clair que, vu que c’est un sujet global, aucun État africain tout seul peut s’approprier la question de souveraineté numérique. Il faut des solutions africaines et surtout des politiques publiques fortes. L’Union Africaine et la CEDEAO sont des exemples de parties prenantes qui devraient être au coeur même de la gouvernance numérique. Comme on l’a dit, nous ne sentons pas trop leur présence. Nous avions interpellé l’Union Africaine et la réponse reçue était très surprenante. Elle l’a dit qu’avant de se positionner, elle a besoin de faits et qu’elle ne peut pas se baser que sur des spéculations provenant de la société civile. Cette réponse confirme certaines inquiétudes notées par la société civile, L’UA n’est pas encore consciente des enjeux et risque de louper le train. La conséquence majeure sera qu’encore une fois, l’Afrique sera un suiveur alors que pour cette question, l’Afrique a besoin d’avoir son propre cadre, ses propres politiques publiques, ses propres politiques de développement numérique et surtout ses propres infrastructures. C’est un tournant qui permettra dans une logique futuriste au continent africain d’être plus autonome et plus indépendant. Il y a 1 Milliard d’africains dans le continent et la population va continuer à grandir au fil des années. Un rapport du cabinet Mc Kinsey en 2017 estimait 350.000 millions d’abonnés internet et une forte croissance du taux de pénétration de l’internet mobile. L’Afrique est un continent en pleine croissance et offre beaucoup de potentiels, surtout en terme de business numérique. Aujourd’hui, les grandes compagnies tech occupent ce marché avec une forte collecte de données des africains stockées dans des serveurs qui sont hors du continent. La majeure partie des solutions et services numériques proposés en Afrique vient des compagnies tech occidentales. Les GAFAM sont présents sur le continent et sont un peu adulés oubliant le fait que nous sommes plus souverains que ces entreprises tech.
Compétitivité numérique et Cadre économique autour des données, approche régionale, Leadership politique et campagnes de plaidoyer
Aujourd’hui, il est important de se positionner maintenant sur cette question. L’Afrique a raté beaucoup d’occasions d’avoir son destin en main. Nous avons raté la révolution industrielle, nous avons manqué la gestion de nos propres ressources naturelles et là si nous ne faisons pas attention nous risquons de faire face à un néocolonialisme 2.0.
Contrairement aux années passées, cette fois-ci nous sommes conscients des enjeux mais aussi nous avons les ressources humaines et la compétence pour mettre en place un cadre légal et compétitif afin d’avoir nos propres politiques publiques et stratégies de développement sur la question de la souveraineté et gouvernance numérique.
Il nous faut avoir nos propres infrastructures où nous allons stocker les données des africains. Il nous faut aussi un cadre pour mettre en place un commerce autour des données pour booster l’économie numérique africaine sous le contrôle d’une entité transparente pour une régulation et un contrôle afin de protéger les données des citoyens africains. Il faut mettre les fonds qu’il faut et avoir la volonté et la vision qui vont avec pour une efficacité dans le plan d’action à court et long terme. Comment protéger les données publiques de nos États en l’absence de cadre, d’infrastructure et de politique publiques africains.
Aujourd’hui, dans le secteur public, on parle d’identifiant unique et identité numérique, on parle de données militaires, on parle de gouvernement ouvert etc… Par rapport à toutes les menaces mentionnées (cyberespionnage et cyberguerre) dans les paragraphes précédents, comment se protéger contre ces menaces si nos données sont stockées sur des serveurs étrangers avec aucun droit de regard et aucun contrôle possible ? Comment protéger les données militaires de nos pays si nous utilisons les technologies des occidentaux alors qu’on pourrait créer nos propres technologies ? Nos politiques publiques en Afrique sont elles suffisamment fortes pour convoquer les responsables des GAFAM lorsqu’ils seront soupçonnés d’ingérence dans la politique nationale ou dans des élections en Afrique ?
Il est important de faire des campagnes de plaidoyers pour que les entreprises tech occidentales sachent que l’Afrique a son mot à dire dans le débat public sur la question de la souveraineté numérique. Tant que le continent africain gardera le silence, ces géants feront ce qu’ils veulent car ne subissant aucun contrôle ou régulation de la part de nos États. L’un des premiers pas à faire serait un communiqué des chefs d’État africains à travers l’Union Africaine pour notifier à ces entreprises tech, la nouvelle position de l’Afrique par rapport à la souveraineté numérique des pays africains.
Le Sénégal, des politiques publiques pour réguler les citoyens…
Le Sénégal est suffisamment outillé en terme de cadre et plateforme technique pour prendre le lead sur cette question dans une logique d’approche régionale.
Nous avons au Sénégal des lois sur les transactions électroniques, sur la cybercriminalité, sur la protection des données personnelles et sur la communication électronique. Nous avons aussi un ministère de l’économie numérique dédié aux questions autour du numérique au Sénégal. Nous avons également l’Agence de l’Informatique De l’État (’ADIE) et la Commission de Protection des Données à Caractère Personnel (CDP). Il y a aussi Conseil National du Numérique composé de personnes qui ont une expérience et une notoriété à propos du numérique. Il y a des structures externes comme Saytu, Asutic et ISOC qui s’intéressent à la question de la souveraineté numérique.
Aujourd’hui, nous devons comprendre qu’il faut un leadership politique et une vision venant de l’État et du pouvoir public pour propulser et promouvoir la souveraineté et la gouvernance numériques. On sent plus une logique de régulation et de contrôle de l’utilisation du numérique et d’internet des citoyens qu’une politique claire sur la souveraineté numérique.
Nous rentrerons dans les détails dans un prochain article, celui-ci est déjà long et ce n’est pas l’objectif de ce billet de blog. Pour éviter des amalgames, nous ne parlerons pas de ce qui ne marche pas mais plutôt nous insistons sur le fait que c’est un tournant que nous ne devons pas rater.
Nous essayerons de faire un plaidoyer dans ce sens dans les semaines à venir pour informer et sensibiliser afin que les inquiétudes sur la question de la souveraineté numérique arrivent à qui de droit.
Nous sommes arrivés à la fin de cet article qui est assez long, nous espérons dans les prochains mois voir un communiqué de la présidence du Sénégal sur la question de la souveraineté numérique qui serait un immense progrès et un bon début en terme de positionnement stratégique sur cette question primordiale…
Merci de votre attention…
@Nattyseydi – Un utilisateur d’internet
(Source : http://nattyseydi.com/, 8 novembre 2019)