Diagnostic indépendant et sans complaisance d’un observateur de la stratégie du groupe Wal Fadjri
lundi 9 janvier 2012
Le paysage audiovisuel sénégalais est marqué, ces derniers temps, par une concurrence accrue du fait de la guerre sans merci - des duels devrait-on dire - que se livrent les quatre chaînes de télévision les plus en vue (Rts - 2sTv et Walf-Tfm (débauchage tout azimut sans aucun formalisme, course à l’exclusivité, combats de lutte, dénigrement de la concurrence ...).
Le groupe Wal Fadjri fait aujourd’hui partie d’un des plus grands groupes de presse du pays pour avoir été le premier groupe à posséder les trois média que sont la presse écrite avec trois journaux, trois fréquences de radio et une télévision. J’ai eu l’honneur d’avoir eu déjà une discussion intéressante à ce propos avec son Pdg lors d’un voyage où je lui disais qu’il n’ait point besoin d’un sondage pour savoir que le groupe possède encore la plus forte notoriété spontanée parmi tous ses concurrents.
Toutefois, l’émergence, ces dernières années, d’autres groupes de presse privée a eu comme conséquence immédiate une érosion de cette notoriété et a entraîné des départs massifs dont le point culminant a été atteint au cours de l’année qui vient de s’écouler avec pas moins de sept agents qui sont allés vers d’autres prairies (en fait vers la concurrence). Le dernier en date, celui du présentateur de l’émission hebdomadaire de lutte a frappé tous les esprits de par son incongruité (préavis de 48 h) et par la façon pernicieuse dont il s’est déroulé. Quel téléspectateur n’a, en effet, pas été choqué de voir le même présentateur en l’espace de moins d’une semaine (Dimanche à Samedi) ressasser son expression favorite ’FI LA MBOUROU BI TANGUE’ dans chacun des deux média. Que dire du patron du groupe Futurs Média qui se signale, depuis l’obtention de sa fréquence télé, par des pratiques qui frisent vraiment le ridicule et l’absence totale d’éthique (mais devrait-on s’en étonner venant d’hommes d’affaires qui n’entrent dans ce milieu que pour se faire du pognon comme on dit).
Comment, en effet, concevoir que l’on puisse demander à quelqu’un de quitter une chaîne de télévision avec l’émission précédemment animée en conservant de surcroît le même titre. Les derniers exemples en date (Njeguemar et Lamb ji) ont dû émouvoir tous les téléspectateurs sénégalais avertis. L’on pourrait se poser la question de l’urgence à réguler ce secteur (par, par exemple, la conclusion d’un code déontologique entre les différents patrons de presse), sous la supervision du Cnra, sinon, le secteur continuera d’être une vraie jungle où les plus forts (ce que semble en tout cas démontrer aujourd’hui le groupe Futurs média) continueront de dicter leurs lois de déstabilisation sans savoir que l’on ne construit pas un groupe en détruisant ce que les autres ont construit en plus d’une décennie ou essayé tant bien que mal de construire (exemple du contentieux avec Zik Fm). Si le débauchage ne peut être interdit en soi, des règles élémentaires d’éthique devraient être respectées (respect d’un délai minimal de préavis, l’interdiction absolue d’utiliser les mêmes thèmes d’émission même si ces derniers ne sont pas, à tort, protégés au niveau du Bsda, le respect du secret professionnel ...).
Le positionnement stratégique adopté par le groupe Walf Fadjri souffre, à notre avis, de plusieurs maux que l’on pourrait résumer en huit points principaux :
1. Absence d’un dispositif de défense des intérêts du groupe (à l’image d’une amicale du personnel ou d’un syndicat comme celui de la Rts) et d’un Directeur délégué qui servirait d’interlocuteur direct et au-delà de paravent (au Pdg) vis-à-vis aussi bien du personnel que des personnes externes qui veulent nuire au groupe (selon les termes même de son Pdg), 2. Plages très prépondérantes occupées par la musique à la télévision (il arrive même que des émissions très intéressantes comme ‘Fatwa’ soient écourtées de 10 à 15 mn avant le temps normalement imparti pour faire place à la musique en attendant l’heure du point d’information),
3. Trop grande liberté d’expression et de ton donnée aux présentateurs (Yékini disait, à juste titre, du présentateur de l’émission Lamb ji qu’il avait tendance à oublier que des téléspectateurs le regardaient quand il faisait ses envolées lyriques dont il pensait certainement que c’était apprécié des téléspectateurs),
4. Trop fréquents changements d’horaires des émissions, en particulier celles qui constituent les références phares de la chaîne (‘Ataya’ et ‘Sortie’) qui finissent par désabuser le téléspectateur,
5. Quasi absence de productions internes. Ce point est, il est vrai, commun à toutes les chaînes de télévision y compris à la Rts (qui dispose pourtant de moyens considérables). Sur toute la semaine et à l’heure considérée comme de grande écoute (après le journal télévisé), aucune des chaînes de télévision n’a jusqu’ici réussi à établir un programme intéressant, précis et standard (retenu par les téléspectateurs) couvrant toute la semaine (Walf n’en a que deux : ‘Diine ak jamono’ et ‘Ataya’ ; l’émission ‘Noko Dunde’ ayant été supprimé sans préavis et sans justification), Tfm ne faisant quasiment le soir que des rediffusions d’émissions (‘Wareef’, ‘Faram facce’...). Or, des idées d’émission ne manquent pas :
– des films qui ne heurtent pas les sensibilités des plus jeunes (films classiques de cinéma mais aussi films religieux sur la vie des prophètes par exemple...),
– des productions spécifiques portant sur des débats entre islamologues (sur des sujets précis qui suscitent aujourd’hui des contradictions entre les quatre Majahib (imam malick, imam shafii et autres) ou sur l’itinéraire de nos grandes figures religieuses pour les servir d’exemple à la population (Cheikhoul Khadim, El Hadj Malick Sy, Baye Niass, Cheikh al Khalifa Niasse, Mame Limamoulaye, El hadj Omar Tall...) auraient pu être imaginées en une séance hebdomadaire (mercredi ou vendredi soir par exemple avant ‘Ataya’). A ce sujet, il est important de souligner la tendance des patrons de chaîne à penser que seules les séries télévisuelles étrangères peuvent intéresser les sponsors. Or, une émission même religieuse bien imaginée et mise en scène peut intéresser ces sponsors en particulier si l’on met à profit le présentateur vedette dans le démarchage de la clientèle,
– une émission hebdomadaire sur des sujets de société avec des micro-trottoirs et l’intervention d’experts (sociologues, juristes, experts métiers ...) ou sur l’actualité de la semaine diagnostiquée par des experts de chaque domaine concerné,
6) La ligne éditoriale du groupe (avec le choix d’être, semble-t-il, la télévision du peuple) en dénonçant les maux de la société peut engendrer quelque part une désaffection de la clientèle entreprise (celle-là qui donne la publicité). Les reportages sur des manifestations (brassards rouges) où certaines entreprises privées ou des entités de l’Etat sont brocardées, s’ils peuvent être salués, ont ceci de pernicieux qu’ils peuvent braquer les entreprises objet de ces quolibets (en particulier si le débat n’est pas contradictoire (avec le recueil de l’avis des responsables de l’entreprise concernée)). A ce propos, le fait de faire suivre au journal en français, le journal en wolof ne me paraît pas en soi une bonne idée en particulier, si les mêmes thèmes sont développés dans les deux versions. L’on pourrait comprendre cela, si le journal en wolof se concentrait sur ce qui se passe dans les régions et les villages du Sénégal (généralement des revendications sur le manque d’infrastructures, d’eau, de postes de santé ...) tandis que le journal en français serait articulé autour de l’actualité officielle (politique, économique ...),
7) L’absence de ressources financières suffisantes, conséquence du volume réduit des recettes publicitaires affectées au secteur audiovisuel qui, de surcroît, sont mal réparties (les plus agressifs en terme commercial accaparant l’essentiel). A ce niveau, le groupe Wal Fadjri a encore beaucoup d’efforts à faire :
– d’une part, il devrait se doter d’un vrai service commercial et marketing ou au besoin s’attacher les services de professionnels du secteur sous forme de contrat de prestations avec des commissions sur tout marché de publicité apporté,
– d’autre part, faire de ses agents (du moins les plus en vue comme Sa Ndiougou) de vrais Vrp (comme le fait du reste Boub’s au groupe Futurs média) pour les émissions qu’ils animent,
– Enfin, les tarifs publicitaires sembleraient, de l’avis de témoignages recueillis, assez élevés et mériteraient le cas échéant une modulation par rapport à ce que fait la concurrence,
8) Enfin, le sentiment d’appartenance (culture d’entreprise) qui a pendant longtemps fait le secret de la réussite du groupe (‘radio de la jeunesse’) doit être promu de nouveau avec beaucoup plus d’acuité. Il est vrai que les derniers contentieux dans lesquels le groupe s’est emmêlé (Bsda, Artp, Cnra...) ne constituent pas toujours une meilleure façon de développer ce sentiment face à la perception d’un ‘groupe de presse à problèmes’ que cela peut développer dans l’esprit du public. Concluons en disant qu’à propos d’un agent impliqué, Maurice Tévenet disait que, ‘on est impliqué dans la mesure où l’image que l’on se fait de son succès personnel passe par le succès de l’institution dans laquelle on est’.
Cheikh Mamadou Lo, Expert financier
Chmam07@yahoo.fr
(Source : Wal Fadjrdi, 9 janvier 2012)