La vitesse à laquelle le numérique, ainsi que les technologies de l’information et de la communication se sont de nos jours répandus a surpris et a dépassé les attentes projetées lors des réunions des Sommets mondiaux sur la société de l’information tenu à Genève en 2003 et à Tunis en 2005. Plus de la moitié des habitants de la planète ont maintenant accès à ces technologies, et plus spécialement à la téléphonie mobile. De plus, les applications mobiles sont devenues plus que des outils de communication : dans certains pays de nouvelles formes d’applications mobiles, notamment dans le secteur bancaire, ont vu le jour.
Cependant, du chemin reste encore à parcourir, spécialement en Afrique afin de réduire le fossé numérique et bâtir une société de l’information pour tous. En 2003, les participants au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), ont unanimement reconnu l’existence de ce fossé numérique. En effet, l’Afrique accusait un important retard en matière d’accès au numérique et à Internet.
Une décennie plus tard, on peut se rendre à l’évidence des progrès accomplis sur la base de l’implication des différents acteurs. En 2010, les chefs d’État et de gouvernement africains ont consacré la 14e Assemblée générale de l’Union africaine tenue à Addis-Abeba en Éthiopie aux TIC avec pour thème : les défis et perspectives des technologies de l’information et de la communication pour le développement. Elle a réaffirmé que les TIC sont essentielles pour le développement et la compétitivité économique du continent, et constitue un facteur déterminant dans l’atteinte de la vision de l’Union africaine et des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
Quant à la participation du secteur privé, les nombreux projets en cours donnent la preuve que le continent a adopté les TIC : plus de 2,6 milliards de dollars (1,95 milliard d’euros) ont été investis, essentiellement par des opérateurs privés de télécommunications. Une dizaine de câbles sous-marins relient aujourd’hui l’Afrique au monde entier ; des réussites telles que le transfert d’argent par le téléphone mobile font des pays comme le Kenya des pionniers mondiaux avec le M-Pesa qui a transformé le secteur bancaire au profit des plus pauvres ; un projet de e-santé initié par les Indiens au profit de l’Afrique augure de bonnes perspectives ; au Ghana, MPedigree permet, grâce à un code et une application sur téléphone portable, de vérifier l’authenticité d’un médicament. Des projets de mise en place de « points d’échanges Internet » et de développement des contenus locaux sont la preuve qu’il est crucial de démocratiser les accès et de créer des services à valeur ajoutée.
Certains pays africains ont développé des stratégies de e-gouvernement, tandis que des pans entiers de l’administration et des affaires ne peuvent plus se concevoir sans un recours aux TIC.
L’AFRIQUE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE : QUELLES PERSPECTIVES ?
Et pourtant, ces évolutions ne sauraient masquer certaines interrogations : le continent africain, crédité de l’un des taux de croissance les plus élevés pour les prochaines années, est-il préparé à assumer ses responsabilités vis-à-vis de toute sa population estimée à plus d’un milliard d’individus aujourd’hui ? Au-delà d’être une terre d’exportation de minerais et autres ressources naturelles, le continent peut-il également produire de la valeur ajoutée ? Peut-il durablement s’inscrire dans l’économie de la connaissance, tout en devenant également un producteur net des TIC ? Quelle est la stratégie inclusive à mettre en place pour que l’Afrique joue pleinement son rôle actif dans cette ère du numérique ?
En fait, l’Internet est devenu une partie intégrante des affaires, de la communication, de l’éducation, du développement communautaire et un outil essentiel pour la vie sociale ; cette réalité, inimaginable il y a une vingtaine d’années, s’impose de plus en plus. Ainsi, l’application tous azimuts des TIC à l’économie devenant de plus en plus inévitable, il s’avère aussi nécessaire de faire le point de l’état actuel du continent dans les secteurs spécifiques tels que celui de la connectivité et des infrastructures, de l’environnement des affaires, de l’environnement socio-culturel, de l’environnement légal, des politiques gouvernementales et des visions prospectives, de consommateurs et des usages.
Les pays sont ainsi mis au défi de stimuler de manière réelle l’usage des technologies par la grande majorité de leurs citoyens, les milieux d’affaires et les gouvernements afin de rester compétitifs.
Le développement et l’adoption des technologies numériques ont provoqué de profonds changements dans la manière dont les organisations publiques et privées fonctionnent et la façon dont les individus interagissent. À mesure que les technologies évoluent, ces changements pourraient devenir transformatifs et sources de distorsion pour les paradigmes actuels des affaires et de la société. Adopter l’économie numérique, c’est également encourager l’exploration critique de la manière dont collectivement et individuellement nous nous adaptons et tirons avantage de la mobilité et des média numériques. C’est donc une invitation à l’évaluation de nos capacités à innover en utilisant les technologies numériques, à bâtir des infrastructures adéquates, à développer une industrie viable des TIC. Il faut aussi réfléchir aux moyens de créer les avantages comparatifs du contenu africain sur la toile, de développer les aptitudes numériques, de promouvoir la recherche, le développement et l’innovation dans le secteur numérique et, enfin, de positionner l’Afrique au niveau mondial.
Il faut d’abord répondre à ces interrogations et définir les bases de la mise en œuvre des stratégies africaines pour une économie numérique dynamique. Cela permettra d’évaluer les avancées africaines en matière d’économie numérique, d’identifier les ingrédients nécessaires à une réelle prise en compte de cette économie dans les stratégies de développement économique et social pour un secteur numérique dynamique.
RÉDUIRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE
Beaucoup partagent la formule que la fracture numérique est le fossé qui existe entre « les bénéficiaires de la révolution numérique dans le secteur des TIC de ceux qui n’ont pas accès aux avantages des nouvelles technologies. » Quelles sont les causes de ce déséquilibre ?
La connectivité à Internet a connu ces dernières années une amélioration considérable grâce aux investissements massifs dans les infrastructures de télécommunications, particulièrement en termes de connectivité entre l’Afrique et les autres continents, surtout l’Europe, et aux « points d’échanges Internet » dans certains pays (Kenya, Nigeria) qui sont utilisés pour optimiser la bande passante et conserver le trafic local.
Cependant, cette situation n’a pas toujours permis d’améliorer les services Internet dont l’utilisateur final africain a besoin. Dans plusieurs pays africains, le développement des services Internet connaît un frein en raison de certaines contraintes, notamment la connectivité terrestre entre les câbles sous-marins, la difficulté à mettre en place des points d’échanges Internet et les défis auxquels font face les fournisseurs d’accès Internet qui doivent garantir un accès de qualité à l’utilisateur final africain.
Les accès Internet peuvent être divisés en trois composantes essentielles : la connectivité, qui met en jeu les câbles sous-marins et les points d’échanges Internet permettant aux réseaux domestiques d’échanger du trafic entre eux et le reste du monde ; la distribution, réelle et efficace ; l’accès, qui nécessite l’implication des fournisseurs dans le but de satisfaire l’utilisateur final.
Une vue sur le paysage actuel (infrastructure, accès et services à valeur ajoutée) confirme que les TIC contribuent au développement socio-économique du continent : beaucoup d’opportunités d’innovations technologiques avec la prolifération des technologies mobiles et l’impact des technologies émergentes sur l’homme.
La demande des services numériques a considérablement accru ces cinq dernières années, surtout avec l’essor des technologies sans fil et des technologies mobiles en général.
Au niveau des infrastructures, il faut d’abord constater que ces dernières années la technologie mobile a connu un succès jamais égalé par rapport à la communication téléphonique traditionnelle fixe. En 2009, le continent enregistrait près de 12 millions de lignes fixes avec une croissance de 3,8 % depuis 2005. Le boom des téléphones mobiles a eu un impact sur le développement des téléphones fixes, car une télédensité de 1,52 % pour 100 habitants est la preuve du faible niveau de couverture des infrastructures dans la plupart des pays africains.
Ensuite, pendant que la téléphonie mobile dans les pays développés a atteint un niveau de saturation avec 116 souscriptions pour 100 habitants, l’Afrique augmente sa part des souscriptions dans le mobile avec 35,5 % de croissance (87,7 millions en 2005 à 295,4 millions en 2009). Beaucoup de pays africains ont ainsi enregistré des taux de croissance à 2 chiffres. Selon les prévisions, en 2012 les souscriptions aux réseaux de téléphonie mobile en Afrique devaient atteindre le chiffre de 700 à 800 millions.
Enfin, malgré la rapide croissance de l’accès Internet sur le continent, l’Afrique demeure la région qui a le plus faible taux en termes de connectivité. Une série de facteurs expliquent cette situation : des prix prohibitifs comparés au niveau de vie, la bande passante internationale où l’Afrique n’utilise que 0,2 % en raison de la nature monopolistique du marché, la quasi inexistence de backbones (infrastructures permanentes à haut débit) nationaux pour fournir la capacité nécessaire afin d’atteindre les régions reculées (la densité moyenne de la population en Afrique est de 28 habitants par km2). Aussi, au niveau de la demande, l’accès à Internet est un défi dû au coût du matériel informatique qui constitue également une barrière majeure pour la majorité des Africains, en plus du niveau d’alphabétisation et l’absence de contenus locaux.
L’avenir de l’Internet en Afrique dépend principalement de trois facteurs : les tendances démographiques, le niveau de vie qui définit la demande et les progrès de la libéralisation dans ce secteur.
Quand on parle, dans ce contexte, des facteurs démographiques, il s’agit avant tout de la densité de la population et d’autres éléments qui ont un impact sur la demande et l’offre des services Internet. Ceux-ci échappent souvent au régulateur des télécommunications lors de la mise en place d’un cadre règlementaire qui constitue le cadre d’évaluation du niveau d’accès d’Internet afin de satisfaire la demande de l’utilisateur final.
L’environnement économique est ponctué par un ensemble d’indicateurs qui caractérisent le cadre dans lequel les services Internet sont disponibles, permettant ainsi de mettre en place des outils de régulation dans le but de réduire les barrières pour un accès Internet. Le développement rapide de la technologie mobile a été un vecteur de demande croissante, due à une activité économique substantielle qui conduit à des services efficaces ayant un effet sur la réforme des secteurs comme la libéralisation du marché du mobile, la déclinaison des coûts vers une économie de marché dans la production des équipements à prix abordables afin de fournir des services de qualité aux couches défavorisées de la société. À tort ou à raison, en dépit de la croissance constatée en Afrique, il y a un besoin énorme d’investissement afin d’exploiter et de profiter de la croissance exponentielle du secteur pour connecter toute la population africaine.
Les « indicateurs Internet » représentent l’accessibilité et la qualité des services en ligne. Ceux-ci évoluent par rapport à la démographie et l’environnement du marché et leur évaluation permet d’identifier les meilleures pratiques dans les pays africains avec de bons résultats suivis de recommandations pour une bonne mise en œuvre des projets dans ce secteur. Par exemple, le niveau de l’utilisation d’Internet par les populations est l’un des indicateurs fondamentaux pour évaluer son impact. L’augmentation de la pénétration des services Internet a tendance à être la conséquence de divers facteurs incluant le coût d’accès et la qualité de service. Le prix et la vitesse de connexion sont aussi lourdement influencés par de potentiels contraintes comme le coût de l’accès aux liaisons internationales.
FREINS ET LIMITES
Dans le domaine de la gestion du trafic, alors que la majorité du trafic africain était centralisée aux États-Unis aux premières heures de l’Internet, la plupart du trafic international africain, de nos jours, passe par l’Europe ; c’est la preuve de la diversité d’origine du trafic Internet. Par exemple, une vidéo You Tube peut être téléchargée en Californie, déplacée vers un serveur à Londres et enfin stockée dans un cache à Nairobi dans le but d’être accessible localement ou dans la région par le biais du point d’échanges Internet du Kenya.
En 1999, 70 % de la bande passante africaine était assurée par les États-Unis. Mais à partir de 2011, la situation change : 90 % de la bande est assurée par l’Europe. Cela ne veut pas dire que les africains ont commencé à se reposer exclusivement sur les contenus européens, mais que la plupart des contenus américains ont commencé à être sauvegardés sur des serveurs en Europe, car les fournisseurs de service mettaient en place leur propre réseau. Cela démontre comment l’orientation du trafic peut changer en réponse au coût de la bande passante et du cadre règlementaire, car l’Europe avait entrepris la libéralisation des réseaux de télécommunications et la mise en place des points d’échange Internet pour développer les contenus. Ceci est aussi une preuve que dans le futur, des changements du trafic pourraient localiser du trafic en Afrique, réduire les coûts et les délais de latence.
Même si le trafic est généré à partir des États-Unis et du Canada vers l’Europe, il y a une infime partie du trafic en Afrique. Conformément aux données de télégéographie, 570,92 Gbit/s représentant la bande passante Internet internationale qui dessert les pays africains. Bien que les points d’échanges Internet puissent faciliter le trafic local en Afrique, le coût des connections entre plusieurs pays est toujours très élevé, constituant ainsi un facteur bloquant l’émergence de ces points d’échanges Internet locaux et régionaux permettant d’assurer le trafic local, d’optimiser la bande passante et de générer du contenu. Cela appelle à une intensification des actions de régulation des flux frontaliers de l’information et des données entre pays africains, à la nécessité des licences globales au niveau des régions et sous-régions africaines et aussi, à une organisation de l’Afrique comme un marché de l’Internet à part entière.
Il n’existe en Afrique qu’une vingtaine de points d’échange Internet ou IXP (Internet Exchange Points) ; c’est une situation qui ne permet pas au continent de répondre aux enjeux du développement économique. En effet, les IXP permettent aux fournisseurs de services Internet de s’interconnecter entre eux et ainsi d’offrir de nombreux avantages techniques et économiques à la communauté Internet locale. La localisation du trafic intérieur permet d’éviter les liaisons internationales, de réaliser des économies substantielles, d’améliorer la performance des accès Internet locaux (en termes de bande passante et de latence). Sachant qu’Internet est une nécessité technologique avec des retombées économiques considérables, il existe aujourd’hui deux formes d’échanges de trafic entre opérateurs sur l’Internet. Il s’agit du peering (des opérateurs de même taille échangent un volume de trafic équivalent par l’interconnexion de leurs réseaux), et du transit (les gros opérateurs de service vendent un accès à l’Internet à des opérateurs plus petits).
Les deux grandes plaques économiques pour l’Internet sont l’Europe et les États-Unis qui fonctionnent principalement sur des accords de peering entre opérateurs. Mais en Afrique, les opérateurs nationaux, régionaux ou locaux sont de petite taille et génèrent un faible volume de trafic. Il est donc difficile pour eux de négocier des accords de peering, du coup s’imposent pour eux les accords de transit, dont les coûts qui sont proportionnels à la distance entre les deux points de l’interconnexion, présentent de nombreux défis : liaisons à faible débit, latence élevée, le trafic local transite systématiquement via des liaisons internationales. Les conséquences sont donc lourdes pour l’économie locale, car les coûts de ces accords de transit sont directement imputés aux clients et à l’utilisateur final. On assiste donc à une fuite des capitaux, car les acteurs économiques hébergent leurs applications et services Internet à l’étranger, ce qui rend faible la valeur ajoutée locale car peu de services TIC et numériques sont développés.
Au fur et à mesure que l’Internet se mondialise, l’interconnexion (entre les réseaux, les fournisseurs de contenu et les utilisateurs) devient de plus en plus primordiale au développement du « réseau de réseaux » qu’est l’Internet. Les IXPs ont déjà joué un rôle clé dans le développement d’un écosystème Internet de pointe en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. En 2012, dans le but de créer un système Internet africain, l’Union africaine, en partenariat avec ISOC (Internet Society), a lancé le projet African internet exchange system (AXIS) qui vise donc à créer une infrastructure continentale en construisant des points d’échanges Internet dans 30 pays. Cet investissement capital pour le développement et l’accès à l’Internet en Afrique, va permettre d’optimiser la qualité de service et surtout de diminuer les coûts.
L’exemple du Kenya et du Nigeria, deux pays pionniers, montre que les IXP contribuent à la croissance de l’écosystème Internet et aussi sont vecteur de développement socioéconomique. Dans l’ensemble, les IXPs ont eu pour effet direct de réduire les coûts d’exploitation des FAI locaux, tout en augmentant le trafic, et le cas échéant leurs recettes, avec des avantages supplémentaires pour les secteurs ayant intégré l’IXP dans leur prestation de services, notamment l’administration fiscale au Kenya, et les secteurs de l’éducation et de la banque au Nigeria. Enfin, on peut s’attendre à ce que, au fil du temps, avec la baisse des coûts de la bande passante internationale, les IXP permettent de réduire les tarifs d’accès à Internet et entraînent une augmentation de la pénétration et de l’utilisation de l’Internet.
Au total, au sein de leurs régions respectives, le Kenya et le Nigeria occupent une position forte en ce qui concerne l’accès et l’utilisation d’Internet, reflétant un certain nombre de variables interdépendantes : un environnement macro-économique positif, un environnement des télécoms libéralisé et dirigé par un organisme de contrôle largement respecté, une augmentation importante de la capacité internationale et un secteur de téléphonie mobile fort et concurrentiel.
En ce qui concerne la gestion des ressources critiques, les taux d’absorption des adresses IP (Internet Protocol ou Protocole Internet en français) restent encore faibles en Afrique. Le paysage actuel dans le secteur stratégique de nommage (système de noms de domaine ou DNS) reste assez décevant et certains se posent la question si l’Afrique n’est pas en train de manquer la révolution numérique… Le marché des noms de domaine est un marché que les pays africains ont laissé dans un esprit de gestion informel qui échappe à toute logique de sécurisation et de protection des utilisateurs, de moralisation du marché par un encadrement des prix. Les statistiques parlent d’elles- mêmes : sur plus de 950 registraires (revendeurs de noms de domaines, intermédiaires agréés qui ont la responsabilité de rendre les noms de domaine accessibles à l’utilisateur final selon une logique contractuelle) au monde, il n’en existe que 6 en Afrique pour une population proche du milliard d’habitants. Il existe sur le marché africain toutes sortes d’intermédiaires (marché très informel et soumis à des spéculations de tous genres), et les populations désabusées préfèrent ne pas acheter plutôt que de se faire arnaquer, d’où la très faible pénétration, qui n’est que de l’ordre de 2 %, des noms de domaine Internet en Afrique. Il s’y rajoute que les opérateurs mobiles qui sont les acteurs les plus en front dans les offres Internet ne sont pas encore intéressés par ce marché, faute d’expertise et de compréhension de ce business.
Les Country Code Top Level Domains (ccTLDs) africains ou points pays — codes composés de deux lettres, représentant le « drapeau » du pays sur Internet, par exemple, « .fr » pour la France — connaissent pour la plupart une gestion timorée et peinent à augmenter le nombre d’enregistrements au niveau national. Quelques chiffres : Sénégal, moins de 4 000, pour 12 millions d’habitants, Côte d’Ivoire, 2 000 pour 25 millions d’habitants, Niger, seulement 300 pour 13 millions d’habitants. Ces chiffres n’honorent pas les ambitions de développement des applications, des contenus pertinents et des sites Internet dans le Continent.
UNE STRATÉGIE DURABLE POUR UN SECTEUR NUMÉRIQUE AFRICAIN DYNAMIQUE
L’internet est un écosystème qui fonctionne en couches, il est quasi impossible d’offrir des applications et des contenus si la connectivité n’est pas réglée. Il est aussi impossible de pousser dans le développement des contenus s’il n’y a pas une masse critique d’utilisateurs qui peuvent être atteints par Internet.
Pendant les deux dernières décennies, le continent africain a vu se développer une forte pénétration du mobile et un développement sans précédent de la bande passante Internet et de la connectivité. L’initiative Connect Africa de l’Union internationale des télécommunications (UIT) avec le sommet des chefs d’État africains de Kigali, les initiatives d’Internet Society (ISOC), l’implication des fournisseurs de services Internet, ainsi que les opérateurs mobiles à travers leurs offres de connectivité Internet basées sur des technologies large bande, ont permis de répandre massivement l’usage de l’Internet, même dans les zones les plus reculées et les plus « hostiles ».
Cependant, cette pénétration n’obéit pas nécessairement à un développement de l’économie numérique. L’Afrique est encore restée à la couche 1 de la chaîne de valeur, car sans applications et sans développement de contenus générateur de revenus, l’Internet sera toujours vu comme un outil au service des élites ou un moyen de satisfaire les besoins purement ludiques ou d’évasion, mais pas comme un instrument au service du développement socioéconomique.
Une stratégie durable et holistique s’impose pour développer l’Internet en Afrique et un secteur dynamique numérique. Cette stratégie devra tenir compte des impératifs suivants :
- Construire une économie de la connaissance : les politiques de développement économique et social de l’Afrique se fondent en général sur la disponibilité des infrastructures, de l’énergie et des ressources humaines. Il conviendrait désormais d’inscrire ces politiques dans une approche de maîtrise de l’économie de la connaissance qui vise à optimiser les possibilités qu’offrent les technologies de l’information et de la communication pour transformer l’environnement et créer de la richesse et de la valeur ajoutée. Des indicateurs spécifiques de suivi et d’évaluation des contributions de ce nouveau secteur à la croissance et à l’économie nationale devraient être désormais établis afin de mieux profiter des apports des TICs dans tous leurs compartiments.
- Cette économie de la connaissance sera liée à l’innovation et à la mise en place d’industries au niveau national et régional. La promotion de l’entreprenariat des jeunes sera également un des principes clés de cette économie de la connaissance.
- Le rôle du secteur privé : réinventer les modèles économiques. Le secteur privé local des TIC demeure encore marginal dans sa contribution à l’économie nationale. Ce secteur est assez souvent détenu par des PME et PMI constituant les relais des grands groupes internationaux. Peu de ces PMI et PME ont directement contribué aux grands travaux d’infrastructures dans le domaine, notamment la pose des câbles sous-marins dont plus d’une dizaine ceinturent désormais le continent ; la mise en œuvre des programmes des dorsales nationales ou régionales ; l’établissement des réseaux nationaux de téléphonie mobile. On observe d’ailleurs que certaines de ces PMI et PME s’étant initialement spécialisées dans les services Internet, sont désormais la proie des grands opérateurs de téléphonie mobile. Une stratégie nationale d’accompagnement du secteur privé national dans le secteur pourrait accroître l’apport des opérateurs.
- Le renforcement des capacités : le problème des ressources humaines est assez aigu dans ce secteur. En effet, peu de pays ont mis en œuvre des programmes de formation de personnels spécialisés dans l’ingénierie des télécommunications, le génie logiciel ou les applications liées à l’Internet. De même, beaucoup d’acteurs du secteur ont besoin de bénéficier d’une veille technologique ; la mise en place de centres d’excellence, et de programmes d’incubateurs d’entreprises orientées vers les TIC devrait contribuer au renforcement des capacités dans ce domaine.
- Le renforcement du cadre réglementaire : la régulation du secteur a été marquée, ces quinze dernières années, par la mise en place d’autorités de régulation plus ou moins autonomes. Ces autorités ont dû faire face à l’ouverture du secteur à de nombreux autres acteurs. Mais l’impact de la régulation sur le développement du secteur reste encore marginal dans la plupart des pays, dans la mesure où les citoyens et usagers de l’Internet dénoncent encore le coût élevé des accès, et la pauvre qualité des services. De même, malgré les politiques de promotion de l’accès universel aux services et la mise en place de fonds d’accès universel dans certains pays, les vastes projets d’intégration des réseaux au niveau national de même que la couverture nationale en réseaux de télécommunications et d’accès à l’Internet se font encore de manière très limitée.
- Le développement des contenus locaux : l’économie numérique ne saurait se passer des contenus riches et diversifiées de l’Afrique. L’Afrique dispose de près de 2 000 langues nationales et des projets cibles de développement de contenus endogènes en langues locales devraient permettre d’inclure un grand nombre d’Africains dans l’économie numérique. La culture africaine elle-même, les sites touristiques de rêve dont la promotion devrait se faire en ligne, les applications répondant aux besoins locaux sont de bons augures pour le développement du contenu africain sur Internet. Les possibilités de l’e-gouvernement devant offrir de meilleurs services en ligne aux usagers, les promesses des données ouvertes sont autant d’atouts pour l’avènement d’une économie du numérique dynamique en Afrique.
- La promotion des investissements et des partenariats public- privé : le secteur des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication est un des plus importants contributeurs aux investissements directs étrangers (IDE) en Afrique. Il devient désormais également nécessaire de promouvoir les partenariats public-privé au niveau national pour lever les fonds nécessaires à la densification des réseaux nationaux, à la production des contenus et aux investissements au niveau des régions et communautés africaines.
La définition concrète, l’adoption et la mise en œuvre d’une telle stratégie permettront d’accélérer le développement de l’Internet et du secteur dynamique numérique en Afrique et de placer le continent au cœur de la révolution numérique.
Fabrice Koffi Djossou et Pierre Dandjinou
(source :Géopolituqe africine n° 48, octobre 2013)
Références bibliographiques
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