Introduction
Le code des télécommunications du Sénégal définit le terme opérateur d’infrastructures comme « toute personne morale ou entité, société et/ou organisation enregistrée, établissant une infrastructure de télécommunications à des fins de location de capacités à destination de l’Etat, des opérateurs titulaires de licence et aux fournisseurs de service ».
Le développement du secteur des télécommunications et, partant, de l’économie numérique passera inéluctablement par la réalisation d’une infrastructure nationale, partagée, de très haute facture, offrant des capacités haut débit à tous les autres opérateurs, qu’ils soient de téléphonie fixes, mobiles, de services à valeur ajoutée, d’Internet, de radiocommunications, etc. Selon la Banque Mondiale il y a un très fort lien entre la pénétration haut débit et la croissance de PIB par tête (+10% de pénétration entraîne +1,38 de croissance du PIB par tête). En 2009, l’UIT estimait à 04% le taux de pénétration du large bande fixe dans les pays en développement.
Contexte et justifications
Le Sénégal a procédé depuis plus d’une dizaine d’années à une libéralisation de son secteur des télécommunications dominé essentiellement par un opérateur historique, la Sonatel qui a eu le privilège d’hériter de toute l’infrastructure nationale de télécommunications construite en plusieurs décennies et qui couvre une bonne partie du territoire national. Par l’ouverture du capital de Sonatel en 1996 et la création d’une filiale de téléphonie mobile, les pouvoirs publics voulaient attirer beaucoup plus d’investissements en vue de consolider l’infrastructure nationale, d’assurer une couverture complète et de qualité du territoire, pour en définitive faire jouer à « Sonatel fixe » le rôle d’opérateur d’infrastructures chargée d’offrir de manière transparente et équitable ses capacités nationales et internationales aux autres acteurs dont sa propre filiale « Sonatel mobiles ».
Pour sortir sur l’international, le Sénégal emprunte de manière relativement satisfaisante en termes de bande passante les câbles sous-marins SAT3, Atlantis 2 et ACE, sans oublier les liaisons satellitaires. Il est aussi traversé par d’autres câbles qui n’ont pas pour le moment de point d’atterrissage dans le pays (Glo 1 entre le Nigéria et le Royaume-Uni, WACS de Londres au Cap),.
Au niveau interne, la situation actuelle donne « libre cours » aux opérateurs et administrations d’implanter leurs équipements et de déployer leurs réseaux compte tenu de leurs impératifs de rentabilisation de leurs investissements, ce qui crée un déséquilibre criard pour ne pas dire une fracture numérique entre les différentes régions du pays. On constate essentiellement trois grands acteurs (SONATEL, ADIE, SENELEC) qui sont entrain de bâtir leurs réseaux en fibre optique, chacun disposant de sa propre feuille de route et ne tenant aucunement compte de la présence ou non des autres sur le même axe. Cette situation n’est pas sans accentuer le fossé numérique qui existe entre les différentes régions du pays. La réparation de ce gap numérique par l’extension des réseaux à toutes les parties du pays s’impose.
Ce souci de démocratisation de l’infrastructure et partant des services, revêt au moins trois dimensions essentielles : l’accessibilité géographique (rendre disponible un accès haut débit partout sur le territoire national), l’accessibilité des services et des contenus de qualité (la couverture de l’offre ne doit souffrir d’aucun ostracisme) et enfin l’accessibilité financière (les tarifs pratiqués doivent être en adéquation avec les niveaux de revenu des populations cibles).
Des trois dimensions la plus cruciale est la première, celle liée à l’infrastructure physique qui doit être un réseau à haut débit optimisé, car partagé, couvrant tout le territoire national et à moindres coûts. Les avancées technologiques actuelles autorisent de s’engager sereinement dans une telle direction avec l’assurance d’obtenir des résultats probants.
Au Sénégal, le Code des télécommunications en son article 32 stipule :
« Des personnes morales, entité, société et/ou organisation enregistrée peuvent bénéficier d’une autorisation d’opérateurs d’infrastructures en vue :
· d’améliorer la compétitivité des entreprises,
· d’aménager le territoire,
· de faciliter le développement d’infrastructures transfrontalières et
· de favoriser l’augmentation de l’offre de capacité et la connectivité locale, régionale et internationale.
Cette infrastructure ne doit pas permettre à son titulaire d’offrir des services de télécommunications au public ; elle est uniquement destinée à offrir des capacités à l’Etat, aux opérateurs titulaires de licence et aux fournisseurs de service.
L’autorisation d’opérateurs d’infrastructures est un droit attribué par décret portant approbation d’une convention de concession et d’un cahier des charges.
La convention de concession est signée entre l’opérateur d’infrastructures et l’Etat représenté par le Ministre en charge des Télécommunications et le Ministre en charge des Finances.
Le cahier des charges fixe les conditions de création, de propriété, de gestion, de financement et d’exploitation de l’infrastructure.
La demande d’autorisation est introduite auprès de l’autorité gouvernementale.
Elle est instruite par l’Autorité de Régulation. A cet effet elle met en place une commission composée notamment des représentants :
· de la Présidence de la République,
· de la Primature,
· du Ministère en charge des Finances,
· du Ministère en charge des Télécommunications. »
Comme on le voit, il apparait clairement que le souci du régulateur est d’ouvrir l’infrastructure pour permettre à ceux qui ne disposent pas de cœur de réseau et d’infrastructure, grâce à la loi de la concurrence, d’acheter en gros chez l’opérateur d’infrastructures et de se positionner sur le même segment de marché afin de proposer ses services. Les prix subiront une régulation naturelle imposée par les lois du marché en matière de concurrence et souci de compétitivité des différents opérateurs et autres fournisseurs de services.
Ainsi se développeront, sur le segment du mobile, ce qu’on appelle les MVNO ou Mobile Virtual Network Operator (Opérateur de réseau mobile virtuel). Il s’agira, en d’autres termes, de permettre à des personnes d’accéder à des infrastructures partagées pour soumettre une offre de téléphonie mobile sans pour autant disposer d’une licence pour déployer ses propres infrastructures ou bâtir son propre cœur de réseau.
Bâtir une infrastructure nationale haut débit
Aujourd’hui notre réflexion est portée sur la pertinence de construire une infrastructure nationale haut débit de télécommunications et le rôle que celle-ci pourrait jouer pour améliorer les accès aux technologies de l’information et de la communication à l’ensemble de la population et sur l’étendue du territoire. L’idée est de voir dans quelle mesure cela pourrait contribuer au développement économique et social de la Nation en boostant la croissance économique, en améliorant la qualité de la vie des citoyens, en aidant les autorités à atteindre les objectifs du Sommet mondial sur la société de l’information et les Objectifs du Millénaire pour le développement énoncés par les Nations Unies. Cela passe par l’installation et la promotion d’un ou de plusieurs opérateurs d’infrastructures.
Il s’agit de la mise en place d’une infrastructure nationale mutualisée, support du développement des Télécommunications et des TICS, ouverte à tous les acteurs du secteur, et équidistante des opérateurs de réseaux ouverts au public, des fournisseurs d’accès Internet, des fournisseurs d’applications et des réseaux indépendants titulaires d’une autorisation
A ce titre il importe de préciser qu’il y a à distinguer deux grandes catégories d’opérateurs : ceux qui disposent d’un cœur de réseau mais pas d’infrastructures et ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre. Un cœur de réseau étant l’ensemble des équipements (BTS, BSC, MSC) qui tout d’abord permettent de délimiter une frontière entre un réseau opérateur et celui d’un autre, de gérer les appels intra réseau ou on-net (même opérateur) et de router les appels sortants vers un autre réseau (off-net), mais aussi d’assurer la portabilité des numéros d’un opérateur donné à un autre tout sécurisant les données en transit et en assurant une facturation adéquate. Aussi appelé dorsale ou backbone, le cœur de réseau supporte le gros du trafic réseau, en utilisant les technologies les plus rapides et une grande bande passante sur des distances importantes.
Quant aux infrastructures, elles adressent les tranchées creusées un peu partout dans les territoires pour abriter des fourreaux et leurs câbles support du transport de la voix et des données.
La première catégorie est constituée des opérateurs qui possèdent une plateforme d’équipements techniques et les ressources humaines nécessaires dotées de toutes les compétences techniques pour les administrer, les rendre compatibles et interopérables avec d’autres systèmes. Quant à la seconde, elle est constituée des opérateurs dits virtuels ou « switch less resseller », ils s’appuient sur le cœur de réseau et les infrastructures des opérateurs en achetant en marque blanche les liens mais aussi les services basés sur le cœur de réseau de ceux-ci.
L’avènement des technologies NGN (New Generation Network) ou nouvelle génération de réseau, qui permettent de se passer de l’achat d’équipements lourds et coûteux de cœur de réseau en gérant toutes les fonctionnalités de celui-ci par le biais de simples logiciels installés sur des serveurs, ouvre la boite à pandores et autorisent ainsi une prolifération de MVNO. Ces opérateurs alternatifs pourront ainsi rendre les mêmes services que les grands avec un niveau de qualité élevé. La vraie question tient dès lors plus à la pérennité de l’opérateur qu’à sa capacité à bâtir ses propres infrastructures et à construire son propre cœur de réseau.
L’enjeu est dans le partage d’infrastructures pour optimiser les investissements et booster le développement de contenus et l’offre de services, gages de l’instauration d’une véritable concurrence régulée.
Partager les infrastructures pour booster les accès
Au Sénégal et dans les pays en développement en particulier, le taux de pénétration de la téléphonie mobile est des plus élevés au monde, ce qui fait jouer à ce secteur un rôle crucial pour le développement économique et social grâce aux services à forte valeur ajoutée qui ne cessent d’être implémentés. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour résorber le fossé numérique et assurer l’accroissement de la pénétration des services mobiles, en particulier dans les zones rurales. Le principal facteur bloquant est le coût des investissements nécessaires pour bâtir des infrastructures adéquates rendant le retour sur investissement dans des délais raisonnables hypothétique. Cette situation amène souvent les opérateurs à rechigner sur le développement de leur réseau ou à pratiquer des tarifs inaccessibles aux populations souvent démunies.
Le partage des infrastructures de services mobiles est une réponse appropriée à ce problème puisqu’il permet, outre l’optimisation des ressources nationales investies dans la réalisation de celles-ci, la réduction des coûts de développement et d’offre de services à des tarifs accessibles dans les zones défavorisées ou sur les marchés marginaux. Ce partage permet également de stimuler et d’encourager la migration vers de nouvelles technologies et le déploiement du large bande mobile. La concurrence ne s’en portera que mieux et permettra ainsi de baisser les prix pratiqués par les différents opérateurs, surtout si les bons leviers de régulation sont mis à contribution pour accompagner le système. Il importe de noter qu’à ce niveau il existe deux types de partages
L’ingénierie dans la planification de l’utilisation spatiale du spectre permet de déterminer les positions géographiques optimales d’implantation des équipements de télécommunications (points hauts, bâtiments, shelters, tranchées et fourreaux, etc.). Ces sites sont des emplacements stratégiques dont il faut permettre le partage dans le souci d’un aménagement numérique planifié. Ce type de partage est appelé partage passif par opposition au partage actif qui implique le partage des éléments intelligents du cœur de réseau qui constituent sa couche active (antennes, stations de base, BTS, BSC, etc.). C’est ce type de partage offre la possibilité à un opérateur d’utiliser le réseau d’un autre opérateur dans une zone où il ne dispose d’aucune couverture ou d’infrastructure réseau qui lui soit propre ; c’est ce qu’on appelle itinérance mobile ou roaming national.
Conclusion
Le développement territoire des infrastructures et accès dans un pays comme le Sénégal est un important levier de développement économique et social qui est générateur d’économies en devises pour nos pays, et un grand créateur d’emplois dans le secteur des TICS, domaine dans lequel notre pays a une belle carte à jouer. Il permettra de développer l’interconnexion des réseaux, le télétravail, la convergence des technologies informatiques et de télécommunication. Au vu de l’importance des infrastructures sur la croissance économique des Etats, des coûts de déploiement qui en découlent, des importants besoins en couverture, de l’existence des réseaux privés qui traversent de vastes zones rurales et dont le maillage dépasse parfois celui des réseaux ouverts au public, le partage des infrastructures constitue un levier de régulation incontournable pour l’aménagement numérique des territoires qui leur assure un développement intégré par le biais de la démocratisation des infrastructures et des accès. La tendance, pour un développement équilibré des réseaux nationaux des télécommunications, devra être inversée afin de s’orienter vers une concurrence basée sur les services plutôt qu’une concurrence basée sur les infrastructures. Il s’agira de bâtir une infrastructure nationale haut débit partagée qui permettra aux différents opérateurs de fournir des services à haute valeur ajoutée à toutes les populations, sans exclusion, dans un cadre concurrentiel propice entièrement régulé.
L’enjeu est de passer d’une concurrence axée sur les services plutôt qu’une concurrence axée sur les infrastructures.
Mor Ndiaye Mbaye
(Source : Leral, 7 janvier 2015)