Détournements de deniers publics à l’ARTP : une faillite de la régulation
dimanche 14 mars 2010
Faisant suite au rapport accablant de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) faisant état de graves manquements, la justice sénégalaise vient d’inculper l’ancien directeur général M. Daniel Goumalo Seck et l’ensemble des membres du conseil de régulation. M. Seck a été écroué suite à un mandat de dépôt et les autres membres du conseil, dont le professeur de droit Abdoulaye Sakho, ont consigné la somme qui leur est reprochée pour bénéficier d’une liberté provisoire.
Il est reproché à ces dirigeants de l’instance de régulation des télécoms d’avoir retiré des caisses de l’agence la somme correspondante à 2% des 90 milliards dont s’est acquitté Sudatel pour sa licence en 2007. Cette somme a été distribuée sous la forme d’une prime exceptionnelle à l’ensemble des employés de l’agence de régulation en commençant par ces dirigeants. M. Seck, Directeur général, a perçu pas moins de 135 millions de FCFA, le président du conseil de régulation le Professeur Sakho, 60 millions de Fcfa. Les autres membres du conseil de régulation ont chacun obtenu 53 millions de FCFA. Le reste du personnel a reçu des sommes allant de 5 à 25 millions de Fcfa.
Le directeur général et le conseil de régulation se sont basé sur un décret présidentiel attribuant à l’ARTP 2% de la vente de toute licence de télécommunication, le décret dit bien que cette somme doit aller dans le budget de l’ARTP et doit être destiné à son fonctionnement et à ses missions. Les dirigeants de l’ARTP ayant tardés à recevoir ces 2% du trésor public, ont décider d’anticiper cette entrée d’argent en puisant dans les caisses de l’agence et ont aussi élaboré les régles de ce partage. Il se trouve que le trésor public n’a jamais et n’a vraisemblablement pas l’intention de mettre ces 2% à la disposition de l’ARTP.
Tout ceci relève de faits divers. Ce qui est le plus inquiétant dans cette histoire, c’est de découvrir la nature et la trempe des individus qui ont eu à « gérer » et qui gèrent toujours la régulation des télécommunications au Sénégal. Ces hommes de droit et ces techniciens qui étaient censés réglementer ce secteur si important passaient vraisemblablement plus de temps à s’enrichir qu’à autre chose. Ceux qui connaissent bien M. Seck et les membres du comité de régulation ne sauraient être surpris par cette série d’inculpations. Le rapport de l’IGE a mis à nu l’ensemble des abus constatés dans la gestion de cette agence. Rappellons que l’ARTP a aussi été épinglé par l’ARMP, l’instance chargée de la surveillance des passation de marchés publiques), à travers des contrats de gré à gré passés avec plusieurs cabinets de consultance étrangers. De plus, depuis 2005, les agents de l’ARTP ne cessent de se former (en Europe, Usa et ailleurs) et l’agence ne cesse aussi de solliciter l’appui de consultants étrangers. Au même moment, le niveau de compétence général des agents de l’ARTP reste largement inférieur à celui que l’on retrouve chez les autres acteurs du secteur, notamment chez les opérateurs que l’agence est censé contrôlé. Tant que le recrutement des agents et des dirigeants de l’ARTP se fera par piston (pour ne pas dire en fonction de la couleur politique), nous aurons toujours ce genre de faits divers.
La nature du changement apporté à la tête de l’ARTP n’est guère rassurante lorsqu’on se fit aux propos de M. Ndongo DIAO, nouveau DG, de l’ARTP, propos tenu lors du lancement de l’Association Contre le Pillage des Economies Africaines (ACPEA). Le directeur général de l’ARTP s’est exprimé en ces termes en parlant de l’affaire « Etat du Sénégal/Millicom » : « Ce serait mieux que Sentel s’en aille ». Au lieu de tenir ce genre de propos pour plaire aux gouvernants qui l’ont mis à cette place, M. DIAO devrait plutôt s’occuper de ce secteur des télécoms toujours dominé de manière insolente par l’opérateur historique. Notez au passage que depuis son lancement en janvier 2009, Expresso Sénégal n’a recruté que 203 000 abonnés mobiles, au moment où pour la même période Orange a recruté plus d’un million de clients supplémentaires. Comme pour dire que l’entrée d’Expresso sur le marché de la téléphonie mobile n’a pas eu comme effet d’accroître la concurrence, au contraire les deux premiers opérateurs ont consolidé leur position de dominance. Voila le résultat d‘avoir, au moment de l’attribution de la licence, privilégier le cachet au meilleur dossier au bénéfice du consommateur sénégalais.
Le vrai drame est que ceci ne sert pas de leçon au nouveau directeur général de l’ARTP qui est entrain de se disperser en sponsorisant à tout va des secteurs qui n’ont rien à voir avec sa mission, notamment la lutte et le football. Il n’y a sans doute aucun pays au monde où le régulateur des télécoms joue des coudes avec les opérateurs de télécommunications, les banques pour la sponsoring d’événements sportifs. Pour illustrer le degré d’égarement du DG de l’ARTP dans sa mission qui est avant tout de réguler le secteur des télécoms, figurez vous qu’il vient de lancer une campagne dénommée « Un Mbeur (lutteur) - Un Ordinateur » visant, dit il, à doter chaque lutteur de l’arène sénégalaise d’un micro-ordinateur. Les étudiants et écoliers apprécieront...
Il est grand temps que l’ARTP se concentre sur sa mission initiale qui est essentiellement de rendre le marché sénégalais des télécommunications concurrentiel. Pour ça, il lui faudra avoir une vision à moyen et long terme sur les leviers qu’elle devra activer pour permettre au consommateur sénégalais d’avoir les meilleurs services de télécommunications aux coûts les plus justes. Cela ne pourra se faire sans un grand nettoyage de tous ces magistrats à la retraite confortablement logés au sein du conseil de la régulation, sans un DG spécialiste de la régulation (à quand un grand économiste à ce poste ?), et sans une procédure de recrutement transparente basée sur le mérite et l’expérience.
Le Modou-modou des télécoms.
(Source : L’Afrique des télécoms, 14 mars 2010)