Des députés en atelier avec la Sonatel à Saly : La démocratie sénégalaise à l’épreuve du lobby des télécoms
lundi 5 mars 2018
La presse Sénégalaise nous apprend que les députés de la commission « Culture et communication » de l’Assemblée nationale sont à Saly (Mbour) dans le cadre d’un atelier de partage sur la contribution de la Société nationale des télécommunications (SONATEL) dans la stratégie numérique 2016-2025 du gouvernement du Sénégal.
Ses résultats net, anormalement élevés, en baisse continus depuis 2 ans (202 et 216 milliards respectivement en 2017 et 2016 contre 221 et 218 milliards en 2015 et 2014), rien de surprenant que la Sonatel qui a toujours utilisé les augmentations de tarifs comme principal levier de croissance, cherche encore du soutien politique plutôt que de miser sur l’innovation et la compétitivité. Cette fois ci du côté des députés sénégalais de la 13ème législature.
Le marché des télécoms du Sénégal, un oligopole dominé par la Sonatel, en réalité un monopole de fait. Il est caractérisé par les abus de position dominante, les ententes abusives, le manque de transparence, les offres alignées, opaques et peu avantageuses. Un marché dans lequel un acteur, seul détermine les règles du marché : la Sonatel. Cela a pour effet d’annihiler toute possibilité de développement du secteur par le jeu de la concurrence. Le secteur souffre encore d’une absence totale de concurrence entre les trois opérateurs, état de fait qui limite son développement et pénalise fortement les utilisateurs.
Le Gouvernement du Sénégal, censé être au service de l’intérêt général n’a jamais véritablement travaillé pour casser cet oligopole afin de créer les conditions d’une concurrence saine et loyale entre les opérateurs. Tout au plus, il fait semblant d’une volonté d’ouverture du marché par des décisions dont la mise en œuvre laisse à désirer (FAI et MVNO) ou bien on traine les pieds pour le faire (Décret n° 2016-1987 relatif aux opérateurs d’infrastructures et le décret n° 2016-1988 relatif au partage d’infrastructures signés depuis le 14 décembre 2016.).
Aucun acte allant dans le sens de l’application de ces décrets n’est connu tout comme sur le dégroupage de la boucle locale dont l’ARTP parle depuis plus de 10 ans. Tout ceci, sans compter avec la mauvaise mise en œuvre par l’ARTP, à dessein, des projets de portabilité et de « free roaming », qui ont permis à la Sonatel d’augmenter ses tarifs.
En outre, il y a eu le favoritisme manifeste en faveur de Sonatel sur l’attribuant des fréquences 4G. A ce jour, le seul opérateur, depuis 2016 à commercialiser la 4G. Une discrimination des opérateurs Expresso et Tigo opérée par l’ARTP à l’issue d’un processus de gré à gré opaque.
Enfin, l’élaboration par le Ministère de la Communication, des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique d’un projet de loi portant « Code de Communications Électroniques » qui pérennise et consolide le monopole de fait de la Sonatel.
Au regard de ce constat, il résulte que la démarche constante des autorités est la protection de la Sonatel de la concurrence pour préserver les intérêts à très court terme du Gouvernement liés aux taxes et dividendes au détriment de l’intérêt national. Toute, la politique gouvernementale du secteur est alignée sur les objectifs de la Sonatel qui donnent le cap à suivre.
Ainsi, après avoir réussi la soumission des autorités gouvernementales à ses intérêts exclusifs, la Sonatel déploie son artillerie lourde vers les députés membres de la Commission Culture et Communication. Son objectif, obtenir le vote sans aucune remise en cause de tous les projets de loi du secteur et en particulier le nouveau projet de code des télécoms.
Et pour compléter la stratégie, le Ministère est présent à l’atelier, comme pour dire aux députés « vous voyez le gouvernement est en phase avec la Sonatel ». Voir le Ministère, s’afficher avec la Sonatel dans une telle opération au mépris de l’équidistance qu’il faut envers tous les acteurs du secteur pose un sérieux problème de gouvernance.
Ainsi pour atteindre l’objectif, rien n’est laissé au hasard pour faire croire aux bailleurs que ce code a été adopté consensuellement par le peuple sénégalais : du simulacre de consultation publique au vernis démocratique.
En démocratie, les citoyens disposent du suffrage universel, les grandes entreprises du lobbying. Le lobbying est une démarche visant à influencer la décision publique pour capturer et détourner la volonté des citoyens au profit d’intérêts privés. L’opacité, les conflits d’intérêts, le trafic d’influence et la corruption sont ses alliés puissants. Aussi, on ne soulignera jamais assez la nécessité vitale de la lutte contre les lobbies, menace permanente et absolue contre la démocratie et l’intérêt général.
L’arme fatale est la transparence. Tout ce qui favorise la transparence, favorise aussi la démocratie. Dans ce sens, une plus grande transparence dans les relations entre les parlementaires et les sociétés privées doit être recherchée dès lors qu’un mandat électif est un contrat passé avec les Sénégalais, exercé avec l’argent du contribuable.
La transparence parlementaire, contre les stratégies d’influence conduisant à la capture de la prise de décision publique par des intérêts privés, est d’autant plus nécessaire que l’opinion publique a des députés du Sénégal une perception négative.
Cette image persiste encore assez largement malgré la volonté de rupture proclamée au lendemain de chaque nouvelle législature. En effet, le Sénégalais lambda considère que ses députés sont payés à ne rien faire, travaillent très peu, absentéisme, faible participation aux travaux des commissions ou encore peu de propositions de loi.
La cassure profonde, entre députés et citoyens, résulte de l’opacité de la vie parlementaire et d’un manque d’informations des citoyens sur les activités des députés et sur le budget de l’assemblée nationale au cours des législatures successives depuis l’indépendance du Sénégal jusqu’à nos jours.
Les citoyens ont pourtant le droit de connaître les d’activité de ceux qu’ils rémunèrent et qu’ils ont élu. Par conséquent, les citoyens, base de la légitimité politique, doivent demander ce qui leur est dû : la communication de ce qui les concerne directement dont le suivi et la publication n’est préjudiciable à personne.
En réponse, à cette exigence citoyenne de transparence parlementaire, l’Observatoire Citoyen de l’Assemblée Nationale du Sénégal a été créé par l’Association Sénégalaise des Utilisateurs des TIC (ASUTIC). L’objectif est de combler le déficit d’accès à l’information parlementaire à travers un accès privilégié aux travaux parlementaires. Aussi, dans le cadre des activités de ce projet, le travail des députés sera suivi, analysé et publié en ligne sur : www.pencumrewmi.sn
Cet atelier des députés membres de la Commission Culture et Communication et la Sonatel soulève la suspicion, des questions d’ordre éthique et tendrait à nuire davantage à l’image des parlementaires. Aussi, par devoir d’équité, cette commission doit consulter de manière équilibrée tous les acteurs du secteur, en particulier les concurrents directs de Sontatel que sont Tigo et Expresso mais aussi la société civile afin de bénéficier d’informations et de points de vues pluriels, voire contradictoires. C’est la condition pour fonder leur décision en fonction de l’intérêt général.
Les sénégalais seront édifiés par le rapport de cette commission sur le projet de loi portant « Code de communications électroniques » qui, non seulement est truffé d’articles problématiques, de manquements mais pire encore, il s’attaque à la liberté des sénégalais. Il sera décortiqué par l’ASUTIC et les sénégalais seront informés du travail parlementaire sur ce projet de loi.
La rencontre entre des parlementaires sénégalais et des représentants d’intérêt privés doit être encadré et régulé pour éviter des décisions répondant plus à des intérêts particuliers privés qu’à l’intérêt général. Il faut créer le cadre nécessaire à la restauration de la confiance des citoyens dans la décision parlementaire.
L’objectif est donc d’assurer les conditions d’indépendance nécessaires au bon exercice des fonctions de députés, et ainsi garantir la primauté de l’intérêt général quant aux tentatives de corruption et de capture des députés par des lobbies. Au cas contraire, il en résultera un écroulement de la confiance déjà très fragile des citoyens sénégalais envers leur démocratie. L’encadrement des relations entre députés et représentants d’intérêts privés, pour la redevabilité de l’élu et de la traçabilité de sa décision, constitue donc un enjeu démocratique de taille.
L’Association Sénégalaise des Utilisateurs des TIC (ASUTIC) recommande :
- La constitutionnalisation du Droit d’Accès à l’information publique ;
- L’Obligation pour les députés de faire une déclaration de patrimoine à l’Ofnac ;
- Publier sur le site web de l’Assemblée Nationale l’agenda des rencontres entre les commissions et représentants d’intérêts privés ;
- L’Obligation pour les députés de rédiger un compte-rendu des réunions formelles et informelles consenties à des représentants d’intérêts privés ;
- Rendre obligatoire la publication par chacune des commissions de l’Assemblée nationale d’un rapport à l’issue de chaque session, faisant notamment état de l’ensemble des représentants d’intérêts privés rencontrés lors de l’examen des textes législatifs et les positions, arguments et autres éléments d’information reçus ;
- Accroître la transparence des réseaux parlementaires par une obligation d’information sur leurs activités et leurs sources de financement.
Fait à Dakar, le 05 Mars 2018
Le Président Ndiaga Guèye
(Source : ASUTIC, 5 mars 2018)