Et revoilà relancé encore une fois le fameux débat sur les appels téléphoniques internationaux entrants avec le contentieux en cours entre Sonatel, opérateur historique par ailleurs acteur majeur sur les marchés national et sous régional des télécommunications, et Hayo, dernier né et quatrième opérateur du marché national. Un quatrième opérateur qui a juste le rang d’opérateur régional puisque son « marché » se réduit à quelques villages isolés de la région de Matam : ce qui a fait titrer dans la presse « combat de David contre Goliath »... Un opérateur régional qui dispose néanmoins d’une licence comme les autres pour exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public, en d’autres termes une concession du service public.
Cette politique dite de licence de Service Universel a été initiée par la puissance publique avec comme principal objectif de réduire la fracture numérique entre les zones rurales et les zones urbaines. Zones rurales pénalisées du fait de leur isolement et que les grands opérateurs ont tendance à délaisser du fait d’un chiffre d’affaires par client trop faible par rapport aux charges d’exploitation induites par le déploiement des infrastructures nécessaires à leur desserte. C’est dire donc une politique faite pour démocratiser les TIC. Et à cet effet la licence accordée confère l’autorisation de signer des conventions d’interconnexion à l’international, un segment juteux s’il en est du marché des télécommunications. Et c’est là que l’agneau s’est trouvé pris dans la ...meute.
Il y a cinq ans, l’Etat avait trouvé le moyen d’apporter des ressources supplémentaires au budget national en instituant ce que les adversaires de la mesure avaient alors appelé « surtaxe » sur les appels entrants. Cette dite surtaxe était en fait une quote-part que l’Etat s’était aménagée sur la quote-part négociée par notre opérateur historique à l’international : seul le bénéfice net, astronomique pour ne pas dire hors normes, de l’entreprise, - qui a de moins en moins des airs de société nationale -, pouvait être impacté par la mesure dans des proportions qui ne mettaient pas en péril sa survie comme beaucoup d’« experts » tentaient de le démontrer. Cet épisode aura connu l’épilogue que l’on connaît...
Avant toute signature d’une convention d’interconnexion à l’international, un opérateur national négocie aussi ce qui constitue un tarif de terminaison des appels entrants sur le reseau national appelé quote-part. C’est une part du tarif payé par le client de l’opérateur étranger, tarif qui rémunère le réseau étranger, le réseau international et le réseau sénégalais. Il importe de noter que cette quote-part est défiscalisée et payée en devises dans la monnaie choisie par l’opérateur sénégalais. Ceci ressemble d’ailleurs beaucoup plus à une survivance coloniale du fait qu’après l’indépendance, l’exploitation du réseau international comme dans d’autres ex-colonies était restée entre les mains d’une filiale de France Télécom. C’est essentiellement cette quote-part, pour faire court, qui a assuré le financement des investissements consacrés pendant une décennie à la modernisation du réseau national de télécommunications...
Outre ce problème de défiscalisation qui interpelle plutôt l’administration fiscale et incidemment peut-être la représentation nationale qui devra examiner le renouvellement du compagnonnage (décrié ?) avec Orange, cette quote-part pose un autre problème qui est celui soulevé dans le contentieux Hayo/Sonatel par le premier nommé. Elle introduit une sérieuse distorsion dans le dispositif tarifaire mis en place sous la férule de l’Artp, le régulateur du marché des télécommunications. Et ce problème là interpelle le régulateur qui en l’espèce s’est curieusement « bouché les oreilles et a fermé les yeux » pour reprendre une autre formule imagée de la presse au grand dam des règles de concurrence du marché.
Hayo dit avoir négocié un tarif d’interconnexion inférieur à celui que Sonatel a conclu par ailleurs ; tarif plus cher donc que Sonatel lui applique néanmoins pour terminer les appels internationaux entrants sur son réseau avec la TVA en sus qu’elle ne paie pas. Un litige qui avait déjà opposé Sonatel à Sudatel quand cet opérateur a lancé l’exploitation de sa licence pour dire que la jurisprudence est là et que l’incompétence ne saurait être invoquée.
Ce qui transparaît en filigrane ici, c’est surtout un opérateur historique qui n’a plus le monopole du réseau international et qui, semble-t-il, a du mal à quitter des réflexes dont elle doit se défaire avec un régulateur qui n’y aide pas. Ce qui a conduit Hayo en désespoir de cause à une saisine adressée au ...ministère des finances qui risque de ne pas prospérer alors que la loi fait obligation à l’Artp de « trancher les litiges liés à l’interconnexion ».
La régulation, exercice tout nouveau dans nos marchés nationaux qui s’ouvrent avec la libéralisation à plusieurs opérateurs, est beaucoup plus une « tradition » importée de l’exploitation du réseau international dont les règles s’apparentent bien à celles de la ...diplomatie : l’objectif visé est de ne jamais arriver au contentieux synonyme de ...guerre avec comme ici interruption du service public concédé. Comme à la guerre, les principales victimes en sont toujours les populations.
Momar Gassama
Ingénieur des télécommunications
(Source :Leral, 10 décembre 2015)