« Aucune société organisée ne peut accepter ce qui se passe aujourd’hui chez nous. Nous allons y mettre un terme d’une façon ou d’une autre », avait déclaré le Président Macky Sall qui faisait face aux organisations syndicales, le 3 mai 2022, pour fustiger la façon dont l’internet et les réseaux sociaux sont utilisés au Sénégal. Considérant ces canaux (les réseaux sociaux) comme un « cancer des sociétés modernes » et une « peste mondiale », le Chef de l’Etat avait précisé que « la régulation du secteur tiendrait compte de ses discussions avec les acteurs et des conclusions des prochaines assises de la presse sénégalaise ».
Cette position affichée par le Président Sall, recoupe, dans une certaine mesure, celle d’Umberto Eco, pour qui, « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel ». Ceci est d’autant plus vrai que les réseaux sociaux ont tendance à abolir la différence entre les faits, les sentiments et les opinions. Ils sont basés sur une communication de l’immédiateté et de la réaction dans laquelle seul, ce qui est pensé sur le moment, ressenti et exprimé sur le moment compte.
Peu importe la teneur du propos, le danger et les risques qu’il peut charrier. Ici, on peut dire tout et n’importe quoi. D’où les dérives et écarts, très souvent relevés, faisant du tort à d’honnêtes citoyens.
Cette tendance mène droit à une pensée unique qui fait que toute personne ayant une opinion divergente est lynchée et traitée de tous les péchés d’Israël sur la toile par des anonymes revendiquant leur appartenance à telle ou telle organisation politique, sociale, religieuse et même ethnique quelquefois. Ces utilisateurs, de façon générale, croient que toute opinion devient légitime et qu’ils sont libres de l’exprimer sans filtre.
Même s’il n’existe pas encore spécifiquement de législation sur les publications à travers l’internet et les réseaux sociaux, ils restent naturellement un espace public. Par conséquent, le droit à l’image, le droit d’auteur ou encore les limites de la liberté d’expression doivent s’y appliquer.
La loi sur cette même liberté d’expression est claire et sans équivoque : « Sont considérés comme illicites tous les propos qui portent atteinte à l’honneur, à la vie privée ou à la réputation, les injures ciblées, la diffamation ainsi que les propos qui incitent à la haine raciale, à la xénophobie ou qui font l’apologie des crimes contre l’humanité ».
Les dispositions qui garantissent la liberté d’expression, d’opinion, de presse et le droit à l’information précisent qu’elles doivent s’appliquer dans un cadre réglementaire et législatif. Ces mêmes dispositions régissant la société réelle qui semble s’opposer à la société virtuelle pour ne pas dire le web, doivent être étendues sur celui-ci afin d’y faire régner l’ordre public et ainsi préserver l’intérêt général. Il est d’ailleurs important que les usagers du net et des réseaux sociaux en particulier, comprennent que la loi ne peut pas s’arrêter là où commence le web.
Au contraire, elle continue de s’appliquer et de produire ses effets. Ce qui implique que les infractions susceptibles d’être commises dans la société réelle peuvent l’être aussi sur internet avec les mêmes effets. D’où la pertinence des lois sur la protection des données à caractère personnel et sur la cybercriminalité qui visent à prendre en compte les risques d’atteintes aux droits et libertés des uns et des autres au travers du numérique. Toutes choses qui fondent à croire que les réseaux sociaux ne doivent pas être un espace de non droit comme beaucoup peuvent le penser.
Ceci est d’ailleurs tellement inquiétant qu’il interpelle le Juge Demba Kandji, actuel médiateur de la République du Sénégal. A l’en croire, « Si aujourd’hui notre société est menacée, c’est parce que la violence est en train de prendre le pas sur la réflexion, l’échange, le dialogue et le respect mutuel. Je ne suis pas très optimiste. Car la violence verbale et physique qui s’installe dans le commerce entre nous et nos autres citoyens à cause des réseaux sociaux risque de dégrader l’État de droit ».
Le haut Magistrat a bien raison d’avoir des craintes, surtout en ce qui concerne les médias sociaux, où l’actualité est constamment marquée par une forte adversité et des violences verbales. Une cyberintimidation se manifestant ainsi par des agrsessions et abus pouvant porter atteinte à la réputation de la personne. Elle induit, en outre, un sentiment d’humiliation, de peur, de désespoir fondé sur des messages et textes blessants, des rumeurs, des fake news, des photos compromettantes…
Etant donné que les réseaux électroniques permettent, avec une extrême rapidité, de diffuser à l’échelle mondiale des idées, des sentiments, des opinions de toutes sortes, les nombreux forums de discussion des sites d’information sont devenus un terreau fertile aux messages illicites ou attentatoires à l’honneur et à la dignité.
Un équilibre entre la réglementation et l’exercice des droits et libertés fondamentaux doit par conséquent être opéré, d’autant que dans un État démocratique, la régulation a pour finalité de concilier la sécurité et la liberté. L’État doit assurer la sécurité de ses citoyens par la répression des infractions sans pour autant restreindre la liberté des individus, y compris des utilisateurs de réseaux internet.
(Source : Dakar Actu, 17 octobre 2022)
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