Dépolitisons le débat sur la Sonatel et réfléchissons !
vendredi 8 mai 2009
Le Sénégal est un pays remarquable du point de vue de la qualité des ressources humaines qu’il regorge. La Sonatel est un exemple concret qui permet de détecter rapidement cette image, notamment avec les hommes et femmes méritants qui y travaillent, ayant fait la preuve d’un talent extraordinaire, élément explicatif des bons résultats enregistrés par cette entreprise depuis sa création en 1985. Le dossier des actions de l’Etat à la Sonatel a, cependant, permis de réveiller à la fois toute la diversité politicienne, la confusion et le cafouillage qui règnent dans ce pays.
Les erreurs reconnues par l’Etat dans sa politique économique depuis 2001 et le cafouillage gouvernemental observé depuis 2004 ont instauré une crise de confiance historique entre l’opinion publique et les dirigeants de ce pays. Sur le socle de la déception populaire suscitée par l’alternance, les Sénégalais en sont arrivés à ne plus croire aussi bien à leurs dirigeants qu’à la classe politique en général. Il importe de souligner au passage que, devant ce constat, l’opposition doit d’ailleurs se détromper sur les résultats des élections locales du 22 mars dernier. L’issue de ce scrutin n’est rien d’autre que le signe d’un désarroi populaire. Le peuple et l’opinion avec lui ne croient plus aux hommes politiques ainsi qu’à tous ceux qui s’aventurent à corroborer leurs choix.
C’est pourquoi, dans le dossier Sonatel, toute déclaration arborant dans le sens de l’argumentaire de l’autorité publique est considérée comme nulle et non avenue et l’auteur de cette déclaration est classé parmi les soudoyés de l’Etat. C’est pour cette raison que des dignes Sénégalais, ayant un point de vue crucial, se sont abstenus de parler de ce dossier au moment où l’avis de chaque Sénégalais compte. Nul n’a le monopole de la vérité, il s’agit d’un débat d’idées, sur une question sensible, qui doit se dérouler dans le respect, la tolérance et la loyauté. Mais, un comportement gênant subsiste chez nos compatriotes : si un médecin leur administre une ordonnance, ils l’achètent docilement sans demander l’avis du cireur ou du mécanicien, mais dès que ça concerne les affaires publiques, on se refuse catégoriquement de se plier aux propositions des experts. C’est compréhensible du fait de l’origine de la crise de confiance dont j’ai parlé.
Comme, depuis 2000, des détournements d’objectifs ont porté sur des centaines de milliards de francs Cfa injectés là où il ne fallait pas, c’est normal que les Sénégalais requièrent que l’Etat leur dit en avance et clairement où est-ce qu’il compte injecter les fonds issus de la vente de ses actions Sonatel. L’argumentaire des travailleurs est également compréhensible. La détention étrangère de plus de 50 % de leur si grande et rentable entreprise, dépositaire de signes emblématiques et de souveraineté du Sénégal, les expose socialement devant une situation moins confortable. Mais selon cet angle de réflexion, leur situation est déjà inconfortable depuis 1997, quand en plus de ses 34 %, France Télécom a acquis encore 8 % des actions qui ont porté sa part à 42 %. Quelle que soit la part de France Télécom qui n’a aucun intérêt à couler ses avantages, la protection des salariés et la sauvegarde des intérêts nationaux incombent à l’encadrement institutionnel et réglementaire qui doit également contenir la fermeté dont parle ‘un économiste’ de la place.
Devant cette situation, la question de la souveraineté nationale et du patriotisme économique a aussi été évoquée. Mais il semble qu’il faut également évoquer l’honnêteté et la cohérence économiques, en reconnaissant d’abord les importants capitaux injectés par France Télécom aussi bien en termes infrastructurels que d’acquisitions des meilleures technologies en pointe. Le Sénégal a, par ailleurs, choisi la voie du libéralisme et de l’attraction des investissements étrangers, donc le profit privé est inévitable si on veut prospérer dans cette voie. En plus de se refuser de poser la question dans le sens global pour voir les retombées économiques potentielles de l’utilisation des 200 milliards engrangés, les Sénégalais semblent vouloir le beurre et l’argent du beurre. Cet ‘économiste’ a aussi cité l’exemple de la Malaisie pour justifier sa position, mais dans tous les pays du monde, la création d’un cadre incitatif de rentabilité des capitaux est un élément incontournable pour encourager les investissements nationaux et étrangers. Cheikh Thiam du ministère des Finances a eu raison d’appeler à la prudence dans l’utilisation des termes ‘souveraineté et patriotisme économique’.
Avec la crise économique actuelle et la raréfaction des ressources financières, l’aggravation du chômage ne pourra être jugulée sans une discipline économique qui fait la place aux investissements étrangers. Le secteur privé national est performant, il joue un rôle indispensable, mais il n’a aucunement la capacité d’endiguer, à lui seul, le chômage de masse qui sévit dans le pays. Donc attention, au nom de la postérité. La Sonatel peut d’ailleurs être brandie par le Sénégal comme un exemple salutaire de partenariat public-privé afin d’encourager les autres détenteurs de capitaux (étrangers ou nationaux) à effectuer des investissements dans notre pays. Ce qui est tout de même inacceptable, c’est l’exclusion du secteur privé national qui doit être, dorénavant, une cible prioritaire de l’Etat.
D’un autre côté, on assiste à une politisation progressive de l’affaire avec des déclarations d’hommes politiques aux côtés des syndicalistes. Il ne faut pas perdre de vue que certaines des personnalités politiques qui crient actuellement à la spoliation, sont celles-là qui ont piloté la privatisation de 1996. A cette date, 34 % de la Sonatel ont été cédés à 122 millions Us dollars, soit à l’époque 70 milliards de francs Cfa. Quelle que soit la formule d’actualisation et les acrobaties statistiques qu’on utilise, on verra qu’il y a un net avantage à vendre 9 % d’actions à 200 milliards en 2009 que de vendre 34 % d’actions à 70 milliards en 1996.
Par ailleurs, toutes les recherches empiriques sur la libéralisation ont établi qu’un Etat doit éviter de privatiser une entreprise rentable puisque c’est un manque à gagner en termes de recettes budgétaires. Les économistes ajoutent que si la participation privée s’impose, il faut choisir la formule de la concession privée et non la privatisation définitive. La concession apparaît comme un instrument moins critiquable que la privatisation dans la mesure où elle permet d’envisager le retour à la propriété publique. Elle présente ainsi l’avantage de permettre une privatisation de l’exploitation, sans transfert complet et définitif des droits de propriété au partenaire privé. Le recours à des formules contractuelles aurait permis à l’Etat de sauvegarder la propriété publique dans un cadre de respect de leurs missions de service public et d’accaparement d’une part suffisante des rentes via une juste et équitable régulation tarifaire. Cela renvoie encore au rôle de l’encadrement institutionnel. Donc l’erreur monumentale a été commise depuis 1996 puisque tous les observateurs reconnaissent que la Sonatel était bien rentable au moment de sa privatisation. Et en lieu et place d’une concession privée de 20 ou 25 ans, c’est la privatisation définitive qui a été effectuée.
La situation actuelle est donc, d’une certaine manière, le résultat d’un mauvais choix opéré avant l’alternance. On voit bien que le pays est pris en otage par une politique à la sénégalaise qui est dépourvue de langages de vérité. On a le vœu des syndicalistes de la Sonatel, le vœu des syndicalistes d’Air Sénégal intéressés à ce que l’Etat utilise une partie des 200 milliards pour sauver leur entreprise, le vœu des fournisseurs de l’Etat victimes de l’insolvabilité de celui-ci, le vœu des politiciens visiblement intéressés par l’affaiblissement de l’appareil d’Etat. Entre tous ces vœux, il y a une incohérence puisque la somme des rationalités individuelles est irrationnelle, disait Condorcet. L’Etat est donc tenu de jouer à dépolitiser le débat et à renforcer son argumentaire par un amendement de sa communication.
Dr Elhadji Mounirou Ndiaye,
Professeur d’Economie à l’IAM (Dakar)
elhmounir@hotmail.com
(Source : Wal Fadjri, 8 mai 2009)