Délocalisation des Centres d’’Appel : Des économistes français minimisent l’ampleur du phénomène
vendredi 3 décembre 2004
Auteurs du rapport « Désindustrialisation, délocalisations » publié, le 18 novembre dernier, par le Conseil d’analyse économique, instance de réflexion du Premier ministre français, Lionel Fontagné, professeur à Paris I, et Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Paris-Dauphine, dédramatisent l’ampleur des pertes d’emploi dans l’industrie provoquées par les délocalisations d’entreprises. Selon eux, les délocalisations sont responsables de moins de 5 % des destructions totales de postes en Europe.
Le Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, qui a assuré son homologue sénégalais, Macky Sall, qu’il n’a jamais été question d’inquiéter les centres d’appel français délocalisés au Sénégalais, avait-il au préalable pris en compte le rapport de son instance de réflexion ? Tout porte à le croire, d’autant plus que les deux économistes du Conseil d’analyse économique s’inquiètent plutôt d’une perte de substance industrielle, « résultat de politiques inadaptées, qui menace notre niveau de vie ». Cette perte de substance, Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi l’observent notamment dans le recul des positions françaises sur les produits de haute technologie et les destructions nettes d’emplois de recherche dans ces activités.
Un argument partagé par la directrice générale de l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix). « L’analyse des problèmes de compétitivité et de délocalisation en France et les autres pays doit se faire avec sérénité, conseille Mme Aminata Niane. Cela nous rassure que d’importantes autorités françaises aient compris que les vraies questions ne sont pas des questions de »délocalisations« de services.Ces services ne sont pas des métiers essentiels des entreprises qui sont concernées. Le vrai problème de la compétitivité française était dû à une compétitivité industrielle ». Selon la Dg de l’Apix, le transfert à d’autres entreprises françaises ou étrangères des services qui ne sont pas le métier de base renforce plutôt la compétitivité des entreprises françaises dans le secteur industriel et sauve l’emploi. « C’est cet argument que nous avons développé lorsque nous étions en mission en France pour rencontrer les autorités françaises. Notre politique de communication sera aussi renforcée dans ce sens pour expliquer au public français que le Sénégal et les autres pays qui accueillent des centres d’appel sauvent l’emploi réel en France. Il est heureux que de hautes personnalités politiques et économiques françaises aient compris cela avec nous », se réjouit Mme Niane. Répondant au secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, le président Abdou Diouf, qui s’inquiète aussi du projet d’arrêté du gouvernement français faisant obligation aux opérateurs des centres d’appel d’indiquer aux consommateurs le lieu où ils se trouvent, l’ancien ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie écrivait le 28 octobre dernier : « Je comprends bien sûr les appréhensions de certains pays francophones qui craignent les conséquences que pourrait avoir le projet d’arrêté sur l’installation de centres d’appel chez eux, et je suis conscient de l’intérêt de toute la communauté internationale de favoriser le développement des pays les moins riches, spécialement des pays francophones d’Afrique. »
Pour éviter le naufrage, les professeurs Fontagné et Lorenzi suggèrent au gouvernement français de remettre au goût du jour la politique industrielle. « Faute de quoi, le retard qu’enregistre déjà la France dans la compétition technologique ne pourra que s’aggraver. Après avoir raté, par le passé, le virage des semi-conducteurs, l’industrie française est à la fois en train de perdre pied sur les marchés émergents, et les secteurs clé comme les biotechnologies. » Le duo économiste indique que la France doit donc « renouveler son avantage technologique pour compenser les départs de savoir-faire. »
Si la France reste mieux placée que sa voisine allemande, la position française sur le marché mondial de la haute technologie a reculé de 8 % en moyenne par an depuis 1995. Pour les auteurs du rapport (voir Les Echos et La Tribune du vendredi 19 novembre 2004), les délocalisations sont donc l’inévitable conséquence de la réorganisation globale des groupes. Ils modèrent leur ampleur mais préviennent le gouvernement français que « le film s’accélère » du seul fait du poids croissant de l’économie chinoise ou indienne. Face à la mondialisation, les entreprises sont engagées dans un processus de réorganisation sur une base pouvant entraîner des départs importants d’entreprises vers des marchés en forte croissance.
Présenté au Conseil des ministres, le 22 septembre dernier, par l’ancien locataire de Bercy, Nicolas Sarkozy, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit un arsenal de dispositifs pour lutter contre les délocalisations. Le gouvernement français a engagé, dans le cadre de la préparation du budget, une démarche volontariste face aux délocalisations d’entreprises françaises. « C’est une priorité absolue. Il n’y a pas de fatalité à la suppression d’emploi et aux délocalisations » avait indiqué le ministre de l’Economie lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2005. Dans le but de freiner le déplacement à l’étranger d’entreprises françaises, le projet de loi de finances pour 2005 a retenu « différentes mesures spécifiques pour lutter contre les délocalisations, des encouragements à la constitution de pôles de compétitivité afin de renforcer au niveau local les synergies ».
Johnson MBENGUE
(Source : Wal Fadjri, 3 décembre 2004)