Dégroupage : l’éternel conflit entre Maroc Telecom et les deux autres opérateurs
mercredi 13 mars 2019
Le problème du partage d’infrastructures des télécommunications refait l’actualité avec la récente publication au BO de la loi 12.121 modifiant et complétant la loi n° 24.96 relative à la poste et télécommunications, en attendant sa version consolidée. Ce problème date de plus de dix ans ; c’est-à-dire après que Méditel, rebaptisé Orange, et Wana (Inwi) ont obtenu leur licence d’opérateurs respectivement en 2005 et 2009. Maroc Telecom, alors opérateur public qui a hérité de l’infrastructure de l’ONPT (Office national des postes et télécommunications), a le monopole (99,9% du marché de l’ADSL, aujourd’hui). Après sa privatisation puis l’entrée de l’émirati Etisalat dans son capital, il continue de bénéficier de ses infrastructures et de déployer son réseau ADSL. Laissés à l’écart de ce créneau très lucratif, Orange et Inwi se sont rabattus sur la fibre optique, jugée comme étant l’avenir d’internet surtout en milieu professionnel. « Rendu obligatoire par les pouvoirs publics il y a 10 ans, le dégroupage devient essentiel pour généraliser rapidement l’accès à Internet et éviter au Maroc un sous-développement numérique. Maroc Telecom avait même reçu un avertissement de la part de l’ANRT en 2016 à cause du retard pris sur le dégroupage », commente un expert. Inwi a même déposé plainte auprès de la justice et réclame des dommages et intérêts de 5,7 milliards de DH. L’affaire étant toujours en justice. C’est certainement pour cette raison que l’ANRT et les opérateurs se sont abstenus de répondre à nos questions. D’après un expert, il existe aujourd’hui deux millions de foyers déjà équipés ne bénéficiant pas encore du service internet haut débit ADSL.
Selon Ahmed Elazrak, directeur général de G-Tel Dev, opérateur d’ingénierie télécoms, le partage d’infrastructures ne changera rien à la position de l’opérateur historique. Les autres opérateurs ne seront pas compétitifs à cause du prix prohibitif de la redevance pour l’utilisation de la dernière boucle locale de cuivre qui connecte l’abonné au réseau (last mile) et du coût d’exploitation. « Dans l’Hexagone, France Telecom loue la boucle locale à 6 DH/mois/client, un prix calculé sur la base des coûts et non des règles de marché. Au Maroc, le tarif facturé est de 120 DH mensuellement par client. Cela coûte trois fois plus cher que de l’installer soi-même. Ce coût de la redevance devrait être répercuté sur le prix de l’ADSL. Les prix étant prohibitifs, les deux opérateurs n’ont jamais pu louer un last mile pour un client », remarque Karl Stanzick, directeur général de MTDS, entreprise de solutions de télécommunications. C’est la raison pour laquelle les deux opérateurs se rabattent sur d’autres produits, la fibre optique principalement.
Plusieurs détails techniques à régler par la loi, y compris le tarif
La loi 12.121 oblige les opérateurs à publier une offre de partage technique et tarifaire de leurs infrastructures et la mise en place d’une base de données de ses infrastructures. Mais rien n’est dit sur les tarifs en vigueur. « Plusieurs détails techniques ne sont pas réglés par la loi y compris le tarif. Cela est du ressort de l’opérateur et n’est pas contrôlable par l’ANRT. Nous aurons donc besoin d’arbitrage et de médiation », explique M. Elazrak. Sans dégroupage, un opérateur désirant offrir des services alternatifs devra installer ses propres équipements pour fournir internet à ses clients.
Pour résoudre définitivement le problème du dégroupage, l’Etat français, par exemple, a fait appel à des entreprises locales de gestion qui louent pour son compte ses infrastructures aux entreprises qui en font la demande. Pendant ce temps, au Maroc, on multiplie les travaux de génie civil pour servir les clients. « Au lieu d’avoir un pylône de télécommunication pour trois opérateurs, chacun doit installer le sien. En plus d’être coûteux, ce n’est pas esthétique. Dans le génie civil, les travaux sont multipliés par trois. C’est aberrant, d’autant plus que le Maroc n’est pas un pays riche », dit M. Stanzick qui propose lui-même une offre ADSL à 49 DH/mois soir et week-end, non rentable certes mais qu’il considère comme un produit d’appel. « Si l’ADSL permet une consommation de 20 Go/mois en illimité, la fibre optique peut offrir jusqu’à 500 Go/mois. La tendance de consommation actuelle est exponentielle vu l’utilisation de Netflix (télévision par internet) et autres objets connectés dans l’avenir. La consommation augmentera mais les opérateurs de télécommunications finiront par la plafonner comme ce qui se passe aux Etats-Unis », poursuit-il.
En attendant, divers zones rurales, où la population n’est pas dense, sont encore dépourvus d’accès à internet. On n’y retrouve ni connection internet 3G ni 4G ni ADSL, encore moins la fibre.
Wiam Markhouss
(Source : La Vie Eco, 13 mars 2019)