Déclaration du Caucus sur le Genre. Conférence préparatoire régionale africaine du Sommet mondial sur la Société de l’Information (Bamako, 25-30 mai 2002)
vendredi 31 mai 2002
Nous, membres du Caucus sur le Genre réuni à Bamako (Mali) à l’occasion de la Conférence Préparatoire Régionale Africaine du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), exprimons et confirmons notre plein intérêt pour le SMSI. Nous attirons ici l’attention de la communauté africaine et internationale engagée dans la préparation du SMSI, sur l’urgente nécessité d’entreprendre une action efficace et immédiate pour réduire les disparités de genre comme composante de la fracture numérique dont souffre l’Afrique. Considérant le role fondamental joué par les femmes dans toutes les sociétés, et la contribution qu’elles peuvent apporter à l’instauration de la Société de l’Information, nous exhortons :
1. Le système et les agences des Nations Unies, et en particulier l’UIT, l’ UNIFEM, le PNUD, la CEA et l’UNESCO :
– A mettre en place, par la formation et le renforcement des compétences, des programmes de sensibilisation aux relations de genre dans la Société de l’Information et identifier les stratégies favorisant une participation juste et équitable des hommes et des femmes d’Afrique ; A assurer que l’analyse de genre soit prise en compte dans la mise en oeuvre des politiques et stratégies nationales, régionales et mondiales ; A mettre au point des indicateurs désagregés par sexe sur la participation des femmes à la société de l’information, et à mener des recherches pour identifier les conséquenses de l’exclusion et les voies vers une meilleure participation ; A renforcer la coopération entre les agences des Nations Unies actives sur les questions de genre et de TIC, y compris en favorisant les relations de travail établies entre le PNUD, l’UNIFEM, l’UIT et laz CEA ; et
– A poursuivre ses actions pour que soient ratifiés les traités et protocoles qui attestent des droits personnels des femmes - y compris le droit à la communication - et à prévoir les modalités d’appui à leur mise en oeuvre au niveau national dans tous les programmes d’action, en particulier ceux qui seront formulés à l’issue du processus du SMSI.
2. Les organisations africaines régionales et sous régionales d’Afrique, et en particulier la CEA, la BAD, l’UAT et l’OUA/UA
– A assurer la participation des organisations africaines de plaidoyer pour la promotion des femmes à la conception, le développement et la mise en oeuvre des politiques de TIC, des cadres réglementaires et des plans nationaux, sous-régionaux et mondiaux ; A travailler avec les communautés économiques régionales pour que la dimension genre soit prise en compte et intégrée dans tous les programmes et stratégies politiques, réglementaires et d’action relatives aux TIC et au développement et à l’industrie des TIC ; A assurer que le développement et la mise en oeuvre de l’initiative du NEPAD reconnaisse et traîte des disparités de genre en Afrique, y compris en termes numériques ; et
– A assurer plus d’efficacité et de synergie entre les institutions africaines et leurs partenaires en renforçant efficacement leur coordination, leur coopération et leur collaboration dans toutes les activités relatives aux TIC et au développement.
3. Les gouvernements nationaux et les institutions du secteur public, et en particulier les autorités chargées de la définition des politiques et réglementations nationales chargées du secteur des TIC et du développement durable
– A s’engager à soutenir pleinement la démocratisation des processus politiques dans le secteur des TIC - y compris en utilisant les TIC à l’appui de ces processus - et la formulation et la mise en oeuvre de politiques de TIC sur la base de principes d’ouverture et de la pleine et légitime participation de l’ensemble des parties interessées, y compris la société civile ; A mettre en oeuvre les politiques de TIC selon des processus pleinement transparents et socialement responsables ;
– A oeuvrer et assurer, par des règles et dispositions à l’endroit des structures d’activités, et dans la composition des mécanismes de gouvernance, la participation équitable des femmes à tous les niveaux de l’industrie des TIC en particulier du fait que les structures de marché évoluent vers la privatisation ;
– A accroître les facilités d’accès aux TIC par des dispositions en faveur du service universel et la définition d’objectifs spécifiques en matière d’accès des femmes aux TIC ; A mettre au point des indicateurs mesurables pour contribuer à l’évaluation des politiques de TIC en termes de renforcement du statut des femmes ;
– A promouvoir la diversité culturelle dans la mise en oeuvre des stratégies nationales de TIC, y compris par l’utilisation active des langues africaines et l’information sur les stratégies des médias, et notamment des radios communautaires et des médias non électroniques ; A assurer l’équité de genre dans l’éducation, en renforçant notamment les possibilités d’alphabétisation des filles et en instaurant une participation juste et équitable dans l’éducation et la formation aux sciences et aux technologies, à tous les niveaux ;
– A favoriser l’utilisation des TIC pour promouvoir le statut des femmes, y compris par des applications de TIC dans les domaines de la santé, de l’éducation, du commerce, de l’emploi, et autres domaines de préoccupation des femmes ;
– A mettre en oeuvre la CEDAW/CEDEF et autres conventions qui reconnaissent les droits personnels des femmes, le droit à la communication et les droits économiques, et à mettre en oeuvre des politiques et programmes de TIC conformes à ces engagements ; et
– A reconnaître, ratifier, promouvoir et mettre en oeuvre la Charte Africaine sur la Radiodiffusion 2001.
4. Le secteur privé d’Afrique et de la diaspora
– A appuyer et encourager les pratiques d’emploi justes et équitables, y compris en termes d’égalité de genre dans les rémunérations, d’accès aux promotions et aux responsabilités ;
– A assumer leurs responsabilités sociales dans la mise en oeuvre et le développement de leurs activités ;
– A accroître les possibilités d’accès aux financements pour la mise en oeuvre de projets de TIC, y compris au travers de partenariats actifs avec UNIFEM et les organisations de femmes, et notamment en milieu rural ;
– A participer aux programmes de tutorat, d’échanges d’information et autres programmes à l’appui du développement des initiatives du secteur privé dans la Société Africaine de l’Information ; et
– A fournir les infrastructures, les services et les applications répondant aux besoins spécifiques des femmes, en particulier en zone rurale.
5. La société civile africaine
– A reconnaitre que l’équité de genre constitue un principe transversal et à utiliser une approche sensible au genre dans toutes leurs activités, y compris en termes de planification, de mise en oeuvre, de contrôle et d’évaluation, et au sein de leurs propres structures institutionnelles ;
– A s’engager pour une participation active et continue dans les processus politiques nationaux, sous-régionaux et mondiaux dans le secteur des TIC ;
– A rechercher quels mécanismes mettre en place pour améliorer l’efficacité de la participation de la société civile dans la conception et la mise en oeuvre des politiques, y compris en termes de mécanismes de coordination et de partage de l’information ;
– A s’engager à former des coalitions horizontales sur les questions posées par la Société de l’Information, pour partager des idées et développer en commun des stratégies communes à divers groupes d’intérêts ; et
– A utiliser les TIC comme outil stratégique additionnel pour l’action, dont le potentiel renforce l’élargissement des processus de communication.
6. La communauté africaine de la recherche et de l’université
– A contribuer au développement d’une vision et d’une compréhension commune et partagée de la contribution de la Société Mondiale de l’Information à la réalisation des objectifs de développement humain durable en Afrique et dans le monde ;
– A utiliser des approches interdisciplinaires d’étude de la Société et de la Culture de l’Information et de la Communication, et de son influence sur le développement de l’Afrique ;
– A allouer des ressources adéquates à la recherche et à l’enseignement sur les dimensions de genre dans la Société de l’Information ;
– A accroître le recours à l’analyse de genre pour la production des données et des résultats de recherches désagrégées par genre sur l’impact des TIC sur les femmes et les hommes ;
– A encourager et promouvoir une participation accrue des femmes universitaires dans la recherche et l’analyse des TIC, par une approche pro-active visant à favoriser l’implication et la mobilité des femmes dans ces domaines ;
– A insérer l’alphabétisation numérique et la sensibilisation aux TIC aux curriculums, à tous les niveaux des programmes d’éducation et de formation formelle et informelle ; et
– A partager et diffuser largement les résultats de la recherche académique.
7. Les médias publics, privés et communautaires
– A promouvoir la convergence des technologies - radio, internet, messagerie électronique, vidéo, téléphone, fax, etc - qui peuvent faciliter la communication et l’accès à l’information, et à prendre les mesures nécessaires pour travailler avec une large gamme de médias et selon une approche multi-média ;
– A développer le potentiel des médias pour transformer la société, par la promotion du débat et de l’information - et en particulier du fait de leur capacité à traîter des inégales relations de genre et de pouvoir dans la société et dans les médias eux-mêmes ;
– A promouvoir et soutenir la fonction particulièrement centrale des médias communautaires en termes de démocratisation de la communication et de justice de genre ;
– A assumer particulièrement leurs responsabilités pour founir un accès égal aux médias, sans exclusion en termes de genre ou autres ; et celle de rendre compte à leurs audiences des progrès accomplis en termes de réduction des inégalités de genre ;
– A promouvoir les langues africaines et les contenus locaux, pour assurer la large participation et association des femmes ; et
– A assurer que le savoir local - y compris le savoir local en termes de genre - est suffisamment mis en valeur dans les contenus de médias, et de prendre des mesures pour établir des normes de diffusion rendant compte de la dimension de genre.
8. Le mouvement et les organisations de femmes africaines
– A s’engager à donner une place centrale au plaidoyer sur les questions de TIC dans leurs programmes, projets et activités de promotion des droits des femmes ;
– A participer aux processus de politiques de TIC, à tous les niveaux, y compris par le partage de l’information, la mise en visibilité des préoccupations des femmes, et l’insersion de l’expertise en analyse de genre dans la formulation et la recherche sur les politiques ; et
– A utiliser les TIC pour diffuser l’information et organiser des campagnes, y compris sur les processus politiques nationaux, sous-régionaux et mondiaux.
9. Les partenaires et investisseurs internationaux
– A reconnaître la nécessité d’intégrer la multiplication de l’accès aux TIC dans les programmes de lutte contre la pauvreté et de renforcement du statut des femmes ;
– A inclure l’obligation, pour tous les projets de TIC et de développement, de comporter une dimension de genre et des activités visant particulièrement à développer l’accès des femmes aux facilités et applications des TIC et leur participation au secteur des TIC ;
– A définir des indicateurs de performance mesurables pour identifier l’impact des projets bénéficiant de financement sur la vie des femmes et des filles ; et
– A assurer la prise en compte et l’inclusion de la dimension de genre dans la gouvernance mondiale des TIC.
10. L’ensemble des parties
– A s’engager à travailler en partenariat, assurer la coordination, la coopération et la collaboration pour formuler une vision et une compréhension commune et partagée d’une Société Mondiale de l’Information qui contribue au développement des hommes et des femmes, et fondée sur des principes communs reconnaissant les droits des femmes et le droit à la communication ;
– A s’engager à réduire les disparités existantes en termes d’accès et de participation à la Société de l’Information, et notamment en ce qui concerne l’élargissement du fossé numérique en termes de genre ;
– A encourager activement, à faciliter et à appuyer la participation active des femmes à la Société Mondiale de l’Information ;
– A faire en sorte que les TIC soient utilisées comme un outil efficace pour des buts communs :
o L’égalité de genre et le renforcement du statut des femmes
o L’éradication de l’extreme pauvreté et de la faim
o L’éducation universelle
o La réduction de la mortalité maternelle et infantile
o La réduction de la violence de genre et de la violence contre les enfants
o L’amélioration de l’accès aux soins de santé, et en particulier à la santé reproductive et à la réduction de la mortalité infantile
o La lutte contre le paludisme, le Sida et autres épidémies
o L’instauration de la paix, de la sécurité et de la stabilité
o La promotion de la liberté et de la bonne gouvernance, et le renforcement de la participation démocratique protégeant les intérêts nationaux, régionaux et mondiaux légitimes ;
– A assurer que l’ensemble des programmes de formation et de renforcement des compétences proposés pour appuyer la participation effective des pays en développement au SMSI - y compris les programmes de l’UNITAR - tiennent compte des dimensions de genre et assurent la pleine participation des femmes ;
– A integrer le développement du programme du Sommet Mondial sur la Société de l’Information dans les préparations régionales et mondiales de la Conférence Mondiale sur les Femmes (Beijing+10) et les autres initiatives pour le développement durable, en particulier le Sommet Mondial sur le Développement Social ;
– A mettre en place un vaste programme de diffusion de l’information, intégrant les médias radiophoniques traditionnels et autres applications « à faible composante technologique » pour diffuser largement les résultats des débats et engager une large participation à la formulation d’une compréhension et d’une vision commune et partagée ;
– A transmettre les recommandations présentées dans le présent document au-dela de Bamako 2002, en particulier à toutes les phases du processus préparatoire du SMSI 2003 et 2005 ;
– A organiser des possibilités particulières de discussion et d’approfondissement des points soulevés et des recommandations formulées pour les inclure dans le programme des activités prévues pour Genève 2003 et Tunis 2005 ; et
– A s’engager activement dans la mobilisation des ressources humaines et financières nécessaires pour intégrer les actions visant à réduire le fossé numérique en termes de genre dans le programme d’action emergeant du Sommet Mondial sur la Société de l’Information.
Position des femmes africaines sur les questions de TIC
1. Pour de nombreuses femmes en Afrique, le défi est de faire face à un double obstacle en termes de marginalisation. La marginalisation de l’Afrique tient à une pauvreté croissante, l’absence d’infrastructures, les conflits, l’élargissement des disparités entre le monde rural et le monde urbain, et un fort taux d’analphabétisme. Le fardeau des femmes est aggravé, dans tous ces cas, du fait qu’elles représentent la majorité des pauvres et des illettrés. Le coût relativement élevé de l’accès aux facilités aux équipements de TIC contribue à ces pesanteurs, ainsi que le manque d’accès au financement et au crédit. De plus, l’absence de technologies conçues pour les contextes africains exacerbent les les difficultés d’accès et de participation des femmes aux TIC et à la Société de l’Information. Les discriminations de genre excluent la majorite des femmes des avantages apportés par les TIC comme outil et catalyseur du développement et de toutes les potentialités humaines.
2. Le secteur des TIC est dominé par des valeurs qui privilégient le profit plutôt que le bien-être des personnes. L’absence de préoccupations pour les objectifs en termes de développement humain est de bien mauvais augure pour les femmes en Afrique. Dans le secteur privé, les marches et les institutions, par lesquels les TIC sont diffusées, les relations de pouvoir ne contribuent pas au renforcement du statut des femmes, et les actions des quelques groupes actifs pour la promotion de l’égalité de genre et de la promotion des personnes dans les processus politiques sont marginalisés. Ces groupes sont considérés comme de faible statut, et de peu de pertinence. De plus, les femmes sont sous-représentées dans tous les aspects de la prise de décision relatives aux projets, aux politiques et à la réglementation. Si cette culture dominante et les pratiques qui en découlent ne sont pas modifiées, la rapide difusion des TIC ne contribuera pas de manière significative à l’égalité de genre et au développement humain pour la majorite de la population mondiale.
3. Ne pas réussir à instaurer davantage d’équité de genre dans l’accès à la Société de l’Information aggrave le risque de voir le continent africain et les femmes de cette région rester davantage en arrière, et devenir encore plus marginalisées et exclues. Telle qu’elle est actuellement organisée, la Société de l’Information ne reflète pas les diverses préoccupations, besoins et intérêts des femmes, et est incapable de reconnaître et de protéger leurs droits et leur dignité. Cette carence débouche sur l’instauration de modèles et de perspectives d’origine extérieure, qui renforcent les conditions actuelles de pauvreté et d’exclusion. Le concept de Société de l’Information, tel qu’il se pose actuellement, débouche sur l’absence de perspectives pour l’Afrique et pour les femmes africaines.
4. Les femmes sont perçues commes des réceptrices passives de l’information plutot que des actrices capables de forger et de contribuer à la prise de décision et à la formulation des politiques, en général et dans le secteur des TIC en particulier. Les femmes africaines peuvent contribuer à la conception et à la mise en oeuvre de solutions créatives face à la fracture numérique ; elles sont légitimement partenaires et actrices dans la construction de la Société Africaine de l’Information.
5. Les TIC et la promotion des capacites humaines sont de plus en plus perçues comme des facteurs de developpement. Il est donc indispensable d’assurer l’égalité de l’accès et l’équité de genre dans la Société de l’Information. Le développement de l’acces aux TIC peut améliorer la vie des femmes d’Afrique par :
– Davantage d’accès et de contrôle des marches locaux et internationaux par les femmes africaines productrices et commerçantes ;
– Des sources d’emplois et d’activités rémunératrices qui ne nécessitent pas leur présence physique, leur permettant ainsi de combiner l’économie domestique et leur rôle professionnel ;
– La promotion de la santé, de la nutrition, de l’éducation et des autres facultés de développement humain ; et
– Le potentiel de mobilisation pour la promotion du statut des femmes et le bien-etre de la société.