Déclaration de la conférence de Midrand sur la Société de l’information et le développement (ISAD) (Midrand, 13-15 mai 1996)
mercredi 15 mai 1996
Déclaration de la conférence de Midrand
sur la Société de l’information et le développement (ISAD)
(Midrand, 13-15 mai 1996)
INTRODUCTION
Le monde traverse une révolution nouvelle de très grande ampleur. Cette révolution changera pour toujours la manière dont nous vivons, travaillons, jouons, organisons nos sociétés et, en dernier ressort, dont nous nous définissons nous-mêmes. A la différence des révolutions technologiques antérieures qui étaient principalement axées sur l’énergie et la matière, ce bouleversement radical porte sur notre compréhension du temps, de la distance et du savoir. Cette révolution mène à la création de la Société mondiale de l’information.
En février 1995, les ministres du Groupe des sept principaux pays industrialisés (G7) et des membres de la Commission européenne (CE) se sont réunis à Bruxelles pour la conférence ministérielle du G7 sur la Société de l’information. Cette conférence a souligné à nouveau la nécessité que tous les pays, notamment les pays en développement et les pays en transition, soient intégrés à la SMI.
Toutefois, les défis posés par l’intégration des pays moins industrialisés du monde à la SMI sont énormes. Comme l’a fait observer M. Thabo Mbeki, le vice-Président sud-africain, dans son discours liminaire à la conférence du G7 sur la Société de l’information « Il y a davantage de lignes téléphoniques à Manhattan que dans toute l’Afrique sub-saharienne » et « la moitié de l’humanité n’a jamais téléphoné ». M. Mbeki a invité le G7 et la CE à convoquer une conférence de suivi qui réunirait des groupes représentatifs du monde en développement ainsi que le G7 et l’UE afin d’échanger des vues sur des questions telles que la stratégie, le financement et la coordination internationale pour relever le défi de l’information et de la communication mondiales. Il a proposé que l’Afrique du Sud accueille cette initiative. La conférence sur la Société de l’information et le développement (ISAD) est le fruit de cette initiative.
La conférence ISAD, qui s’est tenue à Midrand, en Afrique du Sud, sous les auspices du vice-Président sud-africain Thabo Mbeki, accueillait des délégués de 40 pays et de 18 organisations internationales. Les délégations étaient composées de ministres et de hauts responsables gouvernementaux, de PDG et d’autres participants du secteur privé ainsi que de représentants de la société civile. Cette conférence historique a atteint ses trois principaux objectifs qui étaient :
– de lancer un dialogue entre le monde développé et le monde en développement ainsi qu’au sein du monde en développement sur la Société mondiale de l’information émergente ;
– d’amorcer un processus visant à définir une vision commune de la Société mondiale de l’information entre les secteurs de la société concernés dans les pays développés et en développement ;
– d’œuvrer à des « principes communs » et à des « actions en collaboration » pour renforcer notre vision commune et relever les défis de la Société mondiale de l’information.
UTILISER LES RESSOURCES DE LA SOCIETE DE L’INFORMATION
POUR REPONDRE AUX BESOINS DU MONDE EN DEVELOPPEMENT
La réalité actuelle
Tandis que nous parlons d’une « société mondiale » de l’information, la réalité actuelle est inquiétante. L’écart technologique entre les pays moins avancés et les pays industrialisés du monde se creuse. La communauté internationale doit remédier à cette situation si nous voulons créer une société de l’information véritablement mondiale. En ce qui concerne la réalité présente, nous constatons les faits suivants :
– les technologies et services d’information et de communication ont la possibilité d’apporter une contribution substantielle à la promotion d’une croissance durable dans tous les pays ;
– il existe actuellement une disparité énorme entre les pays très industrialisés et les pays moins industrialisés sur le plan des infrastructures de l’information ;
– le développement d’une infrastructure de l’information et l’utilisation efficace des technologies et services d’information et de communications permettront aux pays en développement de réduire les disparités actuelles en matière de développement économique et social et de l’empêcher de se creuser ;
– le monde en développement a des besoins énormes et diversifiés qui diffèrent souvent de ceux des pays plus industrialisés et
– les pays en développement doivent évaluer leurs propres besoins et stratégies pour leur entrée dans la Société mondiale de l’information en fonction de leurs réalités spécifiques.
Mobiliser les investissements requis
Le niveau d’investissements dans le développement des infrastructures de l’information dans les pays moins industrialisés est nettement insuffisant. Il est de la plus haute importance que les pays en développement soient en mesure de mobiliser les investissements nécessaires, notamment du secteur privé. Il est tout aussi important d’être capables de développer des réseaux qui permettront à l’ensemble de leur population d’avoir accès à l’infrastructure mondiale d’information et de participer à la SMI à des coûts abordables. En ce qui concerne la mobilisation des investissements requis pour le développement des infrastructures de l’information, nous constatons les faits suivants :
– les investissements en matière de développement des infrastructures de l’information dans les pays moins industrialisés sont nettement insuffisants ;
– il existe une large demande de technologies et de services d’information et de communications dans le monde en développement et
– pour créer une Société de l’information véritablement mondiale, nous devons mobiliser les investissements appropriés.
Emploi, marché de l’emploi et travail
Le nouveau paradigme techno-économique de l’économie mondiale est de plus en plus induit par les secteurs à forte intensité de savoir, utilisateurs de technologies de l’information et des communications. Ces secteurs économiques pourraient former la base d’industries, de produits et de services multimédias entièrement nouveaux, qui pourraient contribuer à attirer les investissements et à créer des emplois dans les économies nationales. En ce qui concerne l’emploi, le marché de l’emploi et le travail dans la SMI, nous constatons les faits suivants :
– Une nouvelle économie mondiale à forte intensité de savoir est en train de naître ;
– La nouvelle économie mondiale peut stimuler de nouveaux secteurs et débouchés en matière d’emploi ;
– nous devons nous efforcer de minimiser les risques et d’améliorer les perspectives pour la main d’œuvre, et
– l’accès à la formation et à l’éducation continues doit être encouragé.
Utiliser les ressources des technologies de l’information
La satisfaction des besoins essentiels, le développement des ressources humaines, la croissance économique, la création d’une culture de prestation efficace des services publics, la promotion d’une démocratie participative et la diffusion de cultures et d’idées différentes sont des défis qu’affrontent conjointement tous les pays du monde. Les nouvelles technologies de l’information et des communications, qui deviennent de plus en plus accessibles car leur coût ne cesse de baisser, pourraient aider les pays en développement à « sauter » des stades entiers de développement en mettant en place leurs propres infrastructures d’information et leurs applications. En ce qui concerne l’utilisation des ressources des technologies de l’information, nous constatons les faits suivants :
– les technologies de l’information ont le formidable potentiel de satisfaire des besoins essentiels, développer les ressources humaines, promouvoir la croissance économique, faciliter de nouveaux avantages concurrentiels, améliorer l’efficacité de la gestion publique et la prestation de services publics, promouvoir une démocratie participative ainsi que la diversité culturelle et linguistique dans chaque pays ;
– pour bénéficier de ces avantages, l’environnement particulier de chaque pays doit être pris en compte afin de promouvoir un dosage optimal de technologies dans le déploiement de l’infrastructure d’information et
– ces nouvelles technologies de l’information et des communications aideront les pays en développement à « sauter » des étapes entières de développement.
Il existe des opportunités essentielles dans les domaines suivants :
– amélioration de la capacité de développement des ressources, qualifications et compétences humaines ;
– amélioration de la gestion de la dette dans chaque pays ;
– amélioration de l’efficacité, de la capacité de rendement et de la productivité sur le lieu de travail ;
– accroissement de la capacité de décision par un accès à temps à l’information ;
– prestation efficace de services publics grâce à des mécanismes améliorés et une meilleure adaptation du service à la clientèle ;
– amélioration de l’accès à l’information publique ;
– interface plus efficace entre les secteurs publics et privés ;
– croissance et développement économiques par le biais des échanges, des investissements et du commerce électroniques, notamment pour les petites, moyennes et micro-entreprises (PME) ;
– diminution de la nécessité d’une migration vers les zones urbaines ;
– amélioration des soins médicaux ;
– meilleure gestion des ressources naturelles et de l’environnement et
– systèmes d’alerte précoce pour les phénomènes météorologiques et autres phénomènes environnementaux.
Mobiliser l’investissement par des conditions réglementaires appropriées
La mise en place d’une infrastructure d’information et de communications avancée exige un climat d’investissements propice. Dans de nombreux pays, la création d’un tel climat pourrait nécessiter des modifications du cadre réglementaire et une restructuration économique visant à libéraliser davantage le secteur des télécommunications, ce qui élargirait le choix, améliorerait la qualité et l’accès. Pour attirer les investissements directs, les orientations réglementaires nationales doivent être transparentes et appliquées de manière cohérente. En ce qui concerne la mobilisation des investissements par des conditions réglementaires appropriées, nous constatons les faits suivants :
– pour mobiliser et attirer les investissements, les pays en développement doivent créer un climat propice à ceux-c ;
– cela requiert un cadre réglementaire souple basé sur la concurrence et visant à offrir davantage de choix, une qualité supérieure et un meilleur accès ;
– ce processus devrait prendre en compte les réalités spécifiques prévalant dans chaque pays et
– les investissements dans des créations à contenu local devraient être encouragés.
Participation des individus : aspects sociaux et sociétaux
La société de l’information a le potentiel d’améliorer la qualité de la vie de tous les participants. Toutefois, l’étendue et le rythme des améliorations du bien-être social et du développement économique dépendront fortement d’un environnement général favorable. Les avantages sociaux et sociétaux de l’infrastructure de l’information seront optimisés par une approche visant au plus haut niveau possible de participation. Le contraire mènerait à l’émergence de deux « classes d’information » pour les citoyens. Dans le monde en développement, le risque de créer une société à deux vitesses, où un seul groupe de la population aurait accès aux nouveaux réseaux, services et équipements, est même encore plus grand que dans les pays développés. En ce qui concerne les aspects sociaux et sociétaux de la SMI, nous constatons les faits suivants :
– la Société de l’information doit améliorer la qualité de vie de tous les participants et éviter de mettre en place une société à deux vitesses,
– l’éducation continue est un aspect crucial pour permettre une participation entière et active de tous les citoyens à la SMI et
– les créations à contenu local devraient répondre aux besoins culturels et linguistiques de chaque société.
CREER LA SOCIETE MONDIALE DE L’INFORMATION
Vision commune de l’enrichissement humain
Les bénéfices potentiels d’une participation à la SMI sont attrayants et incluent notamment : un meilleur équilibre en matière de progrès social et économique entre les nations, la croissance de l’économie mondiale, la capacité de régler des problèmes de société communs, l’extension des progrès des valeurs démocratiques et le partage et l’accroissement de la créativité, des traditions et des identités culturelles. En ce qui concerne cette vision commune de l’enrichissement humain, nous constatons les faits suivants :
– un consensus se dégage sur l’importance de la société mondiale de l’information ;
– aucun modèle n’est universel et
– une approche coopérative à l’échelle mondiale est nécessaire.
Lancement d’un dialogue entre le monde développé et le monde en développement
Comme toutes les sociétés, la SMI doit être édifiée sur un ensemble de règles communes, sur la tolérance, le respect de la diversité, des pratiques de collaboration et des efforts conjugués. Pour faciliter sa naissance, comme pour faire face à toutes les « mutations » majeures, il est nécessaire de surmonter les incertitudes et les ruptures. Bien que la SMI rapproche les différentes parties du monde, les disparités existantes en matière de développement social et économique deviennent plus apparentes et les difficultés qu’elles engendrent s’aggravent. En ce qui concerne le lancement d’un dialogue entre le monde développé et le monde en développement, nous constatons les faits suivants :
– l’édification de la SMI requiert des orientations communes, une tolérance, un respect de la diversité et des actions en collaboration et
– les visions nationales distinctes devraient converger vers une vision globale commune.
Principes communs et actions en collaboration
Les pays développés et en développement devraient se mettre d’accord sur des principes de coopération dans la SMI. Une étroite collaboration au plus haut niveau assurera l’instauration et le développement efficaces d’une société de l’information véritablement « mondiale », et permettra d’éviter une marginalisation de certains pays par suite de cette inévitable révolution.
Comme toutes les sociétés, la Société mondiale de l’Information doit reposer sur un ensemble de principes, sur le respect de la diversité et sur la collaboration.
Conformément aux principes approuvés par la Conférence de Bruxelles qui sont :
– la promotion d’une concurrence dynamique ;
– l’encouragement des investissements privés ;
– la définition d’un cadre réglementaire souple ;
– l’ouverture de l’accès aux réseaux ;
tout en
– assurant une prestation universelle de services et un accès universel à ceux-ci ;
– promouvant l’égalité d’opportunités pour les citoyens ;
– encourageant la diversité des contenus, notamment la diversité culturelle et linguistique ;
– reconnaissant la nécessité d’une coopération mondiale, une attention particulière étant accordée aux pays les moins développés ;
et en tenant compte des thèmes clés définis lors de la conférence de l’ISAD, qui sont :
– un service universel ;
– un cadre réglementaire clair ;
– un développement socio-économique durable ;
– la création d’emplois ;
– la coopération et la compétitivité mondiales ;
– la diversité des applications et des contenus ;
– la diversité linguistique et culturelle ;
– la coopération en matière technologique ;
– les investissements privés et la concurrence ;
– la protection des droits de propriété intellectuelle ;
– la protection de la vie privée et de la sécurité des données ;
– la réduction des disparités en matière d’infrastructure ;
– la coopération en matière de recherche et de développement technologique,
les participants à l’ISAD sont donc résolus à poursuivre le dialogue et à prendre les mesures appropriés sur la base de ces principes et de ces thèmes.
De plus, nous sommes déterminés à :
– favoriser les partenariat entre les secteurs publics et privés,
– poursuivre ou amorcer un processus de planification de la société nationale de l’information dans chacun de nos pays, qui ira finalement de pair avec le développement de la Société mondiale de l’information ;
– encourager de nouvelles discussions en vue de définir et de mettre en oeuvre des projets liés à la Société mondiale de l’information de concert avec des organisations non gouvernementales et internationales ;
– partager l’information sur les meilleures pratiques de programmes de développement et d’utilisation des technologies de l’information et des communications ;
– inviter les organisations internationales à réévaluer et rediriger leurs instruments de développement afin de permettre une mise en oeuvre active des principes et politiques définis lors de cette conférence et
– utiliser pleinement les diverses mesures et instruments financiers privés et publics existant actuellement pour le développement de la Société mondiale de l’information.
Les participants ont salué la contribution apportée par les représentants de la société civile et les dirigeants économiques aux débats de la conférence. Ils ont à nouveau souligné la nécessité d’une coopération et d’un partenariat entre les secteurs public et privé pour atteindre les objectifs communs.
Les présentes conclusions de l’ISAD sont fondées sur un engagement de veiller à ce que le développement de la Société mondiale de l’information bénéficie à l’humanité toute entière.