De la « vache qui beugle » à la voix « d’Oum Kalsoum » : Quand les téléphones portables dansent à toutes les sonneries
jeudi 17 janvier 2008
Ces sonneries de téléphones portables vont nous rendre fous, commente quelqu’un. Plus on avance dans la modernité, plus elles transforment nos habitudes. Finies les sonneries standards ! Bonjour musique, versets religieux, cris d’animaux, voix de rossignol...
Le geste a fait rire tout le monde. Cet après-midi de réunion, dans une entreprise de la place, certains agents sont en pleine discussion. Subitement, une belle musique s’échappe d’un téléphone portable et s’invite, de force, dans les discussions. La voix d’Oum Kalsoum (1898-1975), celle qu’on appelle « Rossignol d’Egypte » surgit dans la salle et y court dans tous les angles. « Tala Al badrou Alayna », ce chant prophétique s’échappe du téléphone, attire de force l’attention et pénètre dans les cœurs. Il vient d’avoir un appel téléphonique, ce propriétaire qui se lève pour sortir y répondre. Sans le savoir, il laisse derrière lui une atmosphère plus détendue. Quelques secondes de commentaires... « Ces sonneries vont nous rendre fous », commente quelqu’un. Plus on avance, plus elles transforment nos habitudes. « Il y a peu de temps, les téléphones portables n’avaient que des sonneries standards voire classiques. Mais, aujourd’hui, ces appareils nécessaires ont transformé notre vie ; leur utilisation, au gré des progrès technologiques, transforme aussi fondamentalement nos habitudes », confie Abdoulaye Sarr, enseignant, selon qui « le pire » est à venir. Les « textos » avaient constitué une révolution « fondamentale ». Mais « les progrès de la technologie nous promettent l’enfer. Il suffit d’aller dans les pays très développés. Vous verrez que nous ne sommes pas encore devenus fous... », souligne, pour sa part, Arona Diakhaté, collègue de M. Sarr. « Aujourd’hui, on mixe à toutes les sonneries et on clipe à toutes les photos », avance Baïla, jeune lycéen de 17 ans. En attendant « le pire », les anecdotes ne manquent pas avec ces sonneries des téléphones portables qui allient, selon les profils, religion et musique. Les sonneries diffèrent en effet selon les profils, comme nous avons pu le constater. Bara Lô, vendeur ambulant de poissons très connu dans la banlieue dakaroise, a mis « avec bonheur » la voix de son défunt marabout et guide spirituel. Il suffit d’être témoin d’une réception d’appel pour entendre une voix dont le volume augmente selon sa rapidité à répondre.
Messages
Son marabout vante dans son message les vertus de la prière et de la foi en Dieu. « Tout cela me permet de ne pas l’oublier et de pouvoir respecter ses recommandations », explique Bara Lô qui a aussi la photo du même marabout à l’écran de son téléphone.
Tout ce « jeu » peut être résumé en une phrase simple. « Dis-moi qui tu es, je te dirai le son de ton portable ». A l’épreuve de la vérification, on se rend devant un lycée à 11 heures, hier. Baïla est un élève de Seconde qui aime le rap. « Je peux mettre des sonneries différentes en fonction de mon inspiration, mais c’est toujours du rap », confie ce jeune de 17 ans. Selon lui, si sa mère a mis une chanson de Youssou Ndour, célèbre chanteur sénégalais, son père a préféré laisser « une des sonneries classiques », celles avec lesquelles l’appareil a été acheté. Depuis quelque temps, c’est le règne des versets de Coran ou la voix du muezzin appelant à la prière. Il y a aussi, outre la musique des célébrités, plusieurs cris d’animaux. « Je n’ai pas encore entendu le lion qui rugit, mais chez moi, les appareils des enfants vont me rendre fou. De la vache qui meugle aux versets de Coran, les sonorités sont différentes », explique avec amusement M. Faye, directeur d’école.
La pratique est devenue tellement courante que les vendeurs d’appareils de téléphone portable investissent davantage sur les « appareils qui ont bluetooth ou infrarouge.
Ils sont les plus demandés sur le marché. Car ils sont en mesure de prendre du son, des clips, etc. », confie Mactar Ndiaye, vendeur. Bluetooth est une des spécifications de l’industrie des télécommunications. Sa technologie peut être utilisée dans les téléphones mobiles. Elle fait recette à l’heure des « sons de toutes sortes ». Au grand bonheur des utilisateurs. Dont certains ont le service gratis. Une telle situation pose d’ailleurs un problème que dénonce Guissé Pène, de l’Association des métiers de la musique (Ams). « Il n’est pas normal d’utiliser le répertoire de quelqu’un sans son autorisation. Mais, même si nous n’avons pas beaucoup d’éléments sur la répartition, on peut considérer qu’au Sénégal, le Bsda s’est penché sur cette question en signant des conventions avec des structures de téléphonie mobile », souligne Guissé Pène.
Droits
Au Bureau sénégalais des droits d’auteurs (Bsda), on se dit « très très organisé dans ce domaine ». « Africasonnerie, MobilePro Africa et Sonatel Multimedia sont liés au Bsda sur la base d’une convention. Tous les trimestres, ils livrent les états et fournissent au Bsda, 12 % en termes de droits d’auteurs qui seront rétrocédés aux ayants droit », explique M. El Hadj Sène du Bsda.
Mais, cela ne risque-t-il pas d’être perturbé par l’informel ? A Sandaga et ailleurs, l’informel prend le dessus sur ces opérations du reste rentables. Le jeune Oumar Sognane dit être spécialiste dans la « vente de nouvelles sonneries ». « Je vous donne le son que vous voulez à 300 FCfa », se vante-t-il. Ailleurs, certains jeunes proposent 200 voire 250 Cfa. Ils font manifestement des affaires et semblent échapper à tout contrôle.
Sadibou Marone
(Source : Le Soleil, 17 janvier 2008)