De la communauté à l’unité africaine (Entretien avec Olivier Sagna)
vendredi 31 décembre 1999
Les gouvernements et les organisations non gouvernementales présentes dans le secteur des technologies d’information et de
communication se rencontreront au Mali en février prochain, à l’occasion de la conférence Bamako 2000. L’organisation OSIRIS
basée à Dakar et son dirigeant, Olivier Sagna, seront au rendez-vous.
L’Afrique participe déjà à la société de l’information, à son rythme et à sa façon. Malgré l’étendue de l’analphabétisme, "les illettrés sont parfois parmi les
plus gros utilisateurs" des nouvelles technologies d’information et de communication, affirme M. Olivier Sagna, qui dirige une jeune organisation non
gouvernementale basée à Dakar, l’Observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénégal (OSIRIS).
Au Sénégal, les téléphones portables connaissent un grand succès dans le secteur informel, parmi les « négociants illettrés. » En outre, les émigrants
analphabètes ont commencé il y a déjà un certain temps à se filmer sur des cassettes vidéo qu’ils envoient ensuite dans leur pays. "Maintenant la famille
peut voir le frère ou le père en chair et en os, l’entendre parler dans sa langue, sans intermédiaire." Même si l’accès aux technologies de l’information est
limité en raison des coûts, des barrières linguistiques et de l’analphabétisme, « les communautés adaptent la technologie à leurs besoins. »
Dans tout ce contexte de mondialisation, les Africains ne peuvent limiter leur action aux seules frontières nationales. Nous
pensons que les technologies de l’information sont un puissant outil qui permettra de faire progresser l’unité africaine.
— Olivier Sagna
Les télécentres peuvent aider à démocratiser l’accès aux technologies de l’information. Au Sénégal, la compagnie de
télécommunications nationale (Sonatel) n’a pas pu assurer un service public universel. Mais elle permet aux Sénégalais
d’installer chez eux un centre de services téléphoniques. Il existe maintenant plus de 10 000 de ces « télécentres, » parfois
même dans les villages les plus reculés. A partir du moment où il y a l’électricité et une ligne de téléphone, il peut y avoir un télécentre. Tout comme un
seul journal est lu par 10 ou 15 personnes, "il en va de même du téléphone : les voisins donnent votre numéro de téléphone et reçoivent des appels et
des messages.« Il s’agit précisément là de »la spécificité culturelle que nous devons prendre en compte dans nos stratégies.« Les télécentres devraient au départ être accessibles et de taille réduite. »L’opérateur du télécentre peut composer un numéro pour vous ou traduire votre
message e-mail du français en anglais. Il peut également trouver sur Internet ce que vous cherchez.« Parmi les principaux obstacles qui freinent la demande de services liés à Internet, M. Sagna cite la langue et »l’absence d’informations générées par les
Africains sur les réalités africaines.« La plupart des sites Web sont en anglais et, pour les pays africains francophones, »les sites en français n’ont
souvent rien à voir avec leurs réalités quotidiennes.« A son avis, les Africains doivent eux-mêmes décider de ce qu’ils ont besoin de trouver sur Internet. »Le risque est que, demain, d’autres personnes aillent développer des produits qui répondent à nos besoins. Nous ne serions encore une fois que des
consommateurs passifs, et non des producteurs.« Le fait que les entreprises privées étrangères fassent pression pour faire évoluer les réglementations des pays africains tient du »secret de polichinelle« : »Ils savent que les taux de rendement sur investissement en Afrique sont les plus élevés du monde. Ils savent que l’Afrique est un très grand marché. Ils
ont l’avantage d’avoir exploité avant nous le potentiel d’Internet. Ils disposent de plus grandes ressources financières et humaines pour investir dans le
secteur, et pour faire pression auprès de nos gouvernements."
Dans certains pays, les initiatives du secteur privé local se sont heurtées au monopole d’entreprises étrangères qui sont venues remplacer les
monopoles d’Etat. Au Sénégal, Sonatel a été privatisé et France Télécom détient maintenant 42 % des parts de l’entreprise et bénéficie, sur le plan
juridique et pratique, d’un monopole dans certains secteurs de services « qui fait obstacle au développement du secteur privé national. » M. Sagna explique
que, avec des investissements relativement réduits, des boucles sans fil et une antenne VSAT (microterminal) peuvent desservir une communauté dans
un rayon de 5 à 10 kilomètres. "Cela se fait dans quelques pays mais au Sénégal, France Télécom ne peut pas le faire et a interdit les autres entreprises
de fournir ce genre de services. La situation de monopole entraîne des coûts plus élevés que s’il y avait libre concurrence.« Par exemple, tous les télécentres vendaient auparavant une unité de téléphone au prix de 100 francs CFA après l’avoir achetée 50 francs à Sonatel. »Maintenant, ce prix de vente a baissé jusqu’à 65 francs dans certains quartiers ; les télécentres se multiplient rapidement ; et les consommateurs
bénéficient d’un meilleur accès et de tarifs plus bas grâce à la concurrence."
OSIRIS encourage le débat sur la nécessité d’établir au Sénégal un organisme de réglementation indépendant, et sur les questions de sécurité et de
propriété intellectuelle sur Internet. L’organisation sensibilise également la population à ces questions. Elle est membre d’ANAIS (Réseau consultatif sur
les stratégies africaines informationnelles), qui réunit des organisations similaires au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Mali. En février prochain, la
conférence Bamako 2000 des organisations présentes dans le secteur des technologies de l’information soutiendra les efforts visant à établir un réseau
actif et solide. "Dans tout ce contexte de mondialisation, les Africains ne peuvent limiter leur action aux seules frontières nationales. Nous pensons que
les technologies de l’information sont un puissant outil qui permettra de faire progresser l’unité africaine."
(Source : Afrique renouveau, volume 13, n° 14, décembre 1999)