L’envolée du cours du bitcoin et le succès des ICO [1] (levées de fonds en crypto-monnaies par les Start-Ups de la Tech) ont fait craindre la naissance d’une bulle susceptible de fragiliser les systèmes monétaires et financiers. Aussi, à l’instar des autorités de régulation monétaire et financière en Chine, au Royaume-Uni, aux USA ou en France, plusieurs autorités de régulation en Afrique ont pris position ces derniers mois sur le sujet des crypto-monnaies ou monnaies virtuelles.
Bitcoin, Ethereum, Ripple ou Ubuntu-coin (une récente crypto-monnaie ivoirienne), il s’agit là de quelques exemples de crypto-monnaies parmi les milliers répertoriées à ce jour et dont les régulateurs peinent à maîtriser les contours.
Les crypto-monnaies, des monnaies légales ?
Sous l’angle informatique, une crypto-monnaie c’est d’abord un protocole technique qui permet l’établissement d’un réseau de transactions sur Internet de manière décentralisée et pair-à-pair (peer-to-peer). Il s’agit ensuite d’une unité de compte qui circule sur le réseau précité fondé sur un système complètement autonome car n’étant la propriété de personne si ce n’est celle de ses utilisateurs.
En revanche, sur le plan juridique la définition des crypto-monnaies soulève encore quelques difficultés. Il convient donc de retenir qu’à l’heure actuelle elles ne sont pas des monnaies légales dans la mesure où notamment :
– elles ne sont pas émises par un Etat ou une banque centrale ;
– leur valeur n’est pas garantie par ceux-ci ;
– et elles n’ont pas de pouvoir libératoire universel.
Toutefois, les crypto-monnaies semblent de plus en plus être considérées comme étant plutôt des « crypto-actifs » [2], notamment par le G20 Finances [3] et certaines banques centrales qui insistent par ailleurs sur les risques associés à leur utilisation.
Quels sont les risques associés aux crypto-monnaies ?
Les caractéristiques des crypto-monnaies rendent quasi-impossible tout contrôle direct des Etats sur elles, entraînant de fait des risques divers. Par ailleurs, les autorités de régulation conviennent que malgré leurs diversités, les crypto-monnaies font toutes peser des risques sur l’intégrité des systèmes monétaires et financiers ainsi que sur les consommateurs et les investisseurs.
En effet :
– elles mettent en jeu des acteurs non régulés qui, en toute liberté, sont à l’origine de la conception des monnaies virtuelles sur la base d’un protocole informatique reposant sur une blockchain, une technologie cryptographique et décentralisée ;
– elles soulèvent des questions de transparence : les transactions réalisées en crypto-monnaies sont enregistrées dans un registre public, ce qui favorise leur traçabilité. En revanche, la capacité d’anonymisation offerte dans le cadre de ces transactions (par le cryptage des identités des bénéficiaires et des donneurs d’ordre) peut favoriser le développement d’activités illicites (blanchiment d’argent, le financement du terrorisme...) car ne permettant pas de répondre aux obligations en matière de connaissance du donneur d’ordre et du bénéficiaire (KYC [4]) ;
– et elles donnent lieu à des activités qui prospèrent dans un contexte extraterritorial : par son architecture décentralisée, la blockchain favorise le recours à des serveurs et à des ressources humaines installés sur des territoires différents, rendant ainsi difficile le contrôle des activités associées dans un contexte international dépourvu de cadre de coopération entre les Etats en la matière.
Les régulateurs africains entre interdiction et accompagnement de l’innovation
Bien qu’un certain nombre de pays africains soient ouverts à l’expérimentation de la technologie blockchain (à l’origine des crypto-monnaies) dans des domaines divers tels que le foncier, l’assurance retraite, les services financiers ou encore l’agriculture, leur attitude à l’égard des crypto-monnaies semble unanime en ce qui concerne le fait qu’il ne s’agisse pas de monnaies légales. En outre, aucun des pays concerné n’a adopté de réglementation spécifique aux dites « monnaies ».
En revanche, en ce qui concerne leur usage, la régulation l’appréhende de trois manières différentes (Voir l’infographie) :
– interdiction absolue de l’usage des crypto-monnaies : notamment l’Algérie, l’Egypte, le Maroc, les Etats membres de l’UEMOA [5] et certainement ceux de la CEMAC [6].
– ni interdiction ni autorisation d’utilisation des crypto-monnaies et mise en garde à l’endroit d’une part des consommateurs et des investisseurs et d’autre part, des acteurs régulés (banques) quant aux risques liés à l’utilisation des monnaies virtuelles : Ghana, Kenya, Nigeria, Ouganda, ou Tunisie.
– et utilisation admise des crypto-monnaies soumises par ailleurs à l’impôt (Afrique du Sud).
En définitive, ces trois positions aussi diverses les unes que les autres, paraissent toutes légitimes face aux incertitudes liées aux innovations en matière de crypto-monnaies. Il n’en demeure pas moins qu’elles relèvent toutes de stratégies dont les conséquences peuvent être positives pour les unes et négatives pour les autres. En tout état de cause, la maîtrise des enjeux plus spécifiques aux crypto-monnaies et à la blockchain en général requiert qu’on soit ouvert aux usages nouveaux qui au final pourraient s’imposer dans un contexte transnational.
Fortuné B. Ahoulouma et Fabien Lawson, Avocats au barreau de Paris, associés LABS-NS AVOCATS
(Source : La Tribune Afrique, 11 juin 2018)
[1] Initial Coin Offering
[2] Un « crypto-actif » peut être défini comme étant un actif virtuel stocké sur un support électronique qui permet de réaliser des transactions sans recourir à la monnaie légale à condition que les acteurs impliqués dans lesdites transactions l’acceptent en paiement.
[4] Know Your Costumer
[5] Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine.
[6] Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale