Crise des NTIC au Sénégal : Les opérateurs de terminaison d’appel dénoncent la Sonatel. Pourquoi Metissacana ne développe plus l’Internet au Sénégal ?
mardi 26 novembre 2002
La récente conférence de presse des opérateurs de terminaison d’appel met en cause la Sonatel. Un signe fort de la crise qui touche les télécommunications, et en particulier les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, en pleine stagnation.
Dérive depuis longtemps pointée par le Metissacana dont c’est le moment de revenir sur les raisons de la cessation des activités internet au Sénégal.
La bonne santé du monopole de la Sonatel/France Télécom ne signifie pas que la population en bénéficie et qu’une politique nationale digne de ce nom est menée par l’Etat sénégalais.
Parmi les téléservices que génère l’Internet et les Ntic, la voix sur ip a en commun avec le téléphone la transmission de la voix et la capacité pour deux correspondants de communiquer. Metissacana, pionnier en la matière, a mis en place la 1ere liaison mondiale de visiophonie entre deux lieux publics (Dakar/Paris). Sans aucun accessoire de la téléphonie, les correspondants se parlent, s’entendent, et se voient.
Les opérateurs de terminaison d’appel qui utilisent en partie la voix sur IP sont en cessation d’activité, étouffé, à cause du segment de téléphone fixe, par le monopole de la Sonatel. Après l’avoir envisagé, Metissacana a renoncé à s’engager dans cette activité qui s’avère etre actuellement une aventure.
La Sonatel qui considère les opérateurs comme ses filiales ou ses vassaux sans leur en accorder les avantages, indifférent à leur faillite est seule à générer des bénéfices dans le secteur des nouvelles technologies. Les opérateurs se maintiennent grace à des activités annexes. Cela aboutit à une stagnation du secteur au détriment du développement du pays et des services dont la population pourrait bénéficier.
A l’aube du sommet de Dakar du Nepad (janvier 2003) au sein duquel le Sénégal a la responsabilité des nouvelles technologies ; à l’aube du 1er anniversaire (janvier 2003) de l’ART (Agence de Régulation des Télécommunications) qui dispose de prérogatives trop limitées, se manifeste l’absence de politique nationale en matière de télécommunications..
Avant les législatives (2001), le Ministère de la Communication réunit les opérateurs au Ngor Diarrama et transmet au Président un projet de réforme dont d’aucuns s’attendent à une utilisation ne serait-ce qu’électoraliste. Se produit au contraire ce douteux marchandage de noms de domaines de la Sonatel entre sa Direction Générale et une haute figure du gouvernement.
Au lendemain du scrutin le sujet est évacué en un Conseil des Ministres dont l’ordre du jour est la constitution du nouveau gouvernement amputé du Ministère de la Communication auquel est substitué un poste de Conseiller du Président, chargé des Nouvelles Technologies. Poste toujours en vigueur après la récente renaissance dudit Ministère qui ne récupère pas ce mandat maintenant sous la responsabilité directe de la Présidence.
La dispersion des opérateurs et la dissolution du projet de réforme est parachevée avec la promesse de créer en juillet 2001 l’ART qui verra finalement le jour en janvier 2002. Entre-temps, Metissacana est neutralisé, trop influent de par sa dimension internationale, ses projets en voie de rallier des investisseurs étrangers, sa capacité à communiquer sur la situation de monopole qui retarde le développement du pays.
D’aucuns s’interrogent sur la cessation des activités internet au Sénégal de Metissacana. Comment 45 000 000 fcfa d’ impayés, cumulés sur 6 ans d’activité, ont-ils pu décourager ses fondateurs ? pourquoi la Sonatel/France Télécom fait des créances du Metissacana une croisade ?
Les abonnés du Metissacana en se connectant sur Internet génèrent un trafic téléphonique de 30 000 000 fcfa / mois. Soit plus de 360 000 000 fcfa par an. C’est 1 Milliard 500 Millions fcfa de chiffre d’affaire au profit de la Sonatel/France Télécom, sans contrepartie pour Metissacana, qu’il faut opposer, sur la même période, aux 45 000 000 fcfa que Sonatel/France Télécom cherche à recouvrir. Il y a tout à perdre à couper le Metissacana dont ce sont bien l’influence, l’indépendance et les idées qui gênent.
Le Sénégal est le 2e pays africain après l’Afrique du Sud à se connecter sur Internet, quand la styliste Oumou Sy et ses deux associés créent Metissacana en 1996, sur leurs seuls fonds propres, sans partenaires financiers ni soutien institutionnel. Les experts présentent les nouvelles technologies en Afrique comme un leurre, décrétant l’incompétence du personnel et l’utopie d’apporter l’Internet à des analphabètes. La « malédiction du continent noir » frappe encore, nombre d’africains avisés se persuadent de cette thèse aux côtés d’occidentaux bien pensants dont la pauvreté est un fonds de commerce.
Metissacana engage son action à contre courant et familiarise des milliers de sénégalais à l’usage de l’internet. Des africains viennent de loin pour ce faire. Le monde rural est déjà une préoccupation à travers des tournées de démonstration sur écran géant, à la belle étoile, sur les places des villages.
Sans contrepartie, Metissacana, avant de devenir à son tour fournisseur d’accès, pourvoie en abonnés la Sonatel, à l’époque encore service public ; contribue à l’éclosion de sociétés de prestations internet en Afrique et de points d’accès public à Internet au Sénégal ; effectue le travail de l’Etat en matière de formation et vulgarisation de l’Internet..
Fin 1997, la Sonatel, privatisée et rachetée dans des conditions douteuses par France Télécom qui hérite d’une position de monopole s’engage dans une politique rétrograde de profit prédateur jusque dans la sous-région. Perpétuant ce qu’il ne peut plus faire en Europe, ses faramineux profits africains sont rapatriés pour compenser des pertes fracassantes en occident..
La Sonatel/France Télécom limite à 2 mgb la bande passante du Sénégal. Metissacana sature dès 1999 et son parc d’abonnés chute. Avant de parler retour sur investissement, l’entreprise connait de sérieuses difficultés. La Sonatel/France Télécom annonce 47 milliards fcfa de bénéfices pour 2001 (+11% que 2000). Metissacana cesse en 2002 ses activités internet au Sénégal, dénonce la concurrence déloyale, l’abus de monopole, et souligne le laxisme de l’Etat
6 ans d’activités confèrent le statut de pionnier du Metissacana et consacre l’Internet mass media et outil de développement générateur de services de proximité : 1e Cyber Café de l’Afrique de l’Ouest, 1e diffuseur africain de radio online, 1e service africain d’email gratuit, 1e boutique en ligne de styliste africain (Oumou Sy), 1e expérience africaine de démocratie en ligne (Présidentielle 2000), 1e concert par satellite en Afrique, 2e chat de chef d’état (Pdt Wade, RFI), 1è liaison de visiophonie publique (Vis@Vis), partenaire de Mission 2000, DakArt, Mois Photo, Fete Internet, développe les téléservices de proximité. Consacré pionnier des Ntic sa gérante Oumou Sy est primée (Fondation Prince Claus Fund et Prix RFI Net Afrique)..
Dès le début les fondateurs du Metissacana anticipent la stratégie impitoyable de France Télécom. Ils jouent néanmoins la carte du développement et repoussent des offres juteuses de repreneurs douteux, voire orientés.
Jusqu’à la solution de connectivité rurale conçue avec Alcatel pour les 13 500 villages sans téléphone du pays dont l’Etat refuse la licence au Metissacana vu la position dominante de la Sonatel/France Télécom. 8 jours après ce refus (août 2001), Oumou Sy, gérante du Metissacana, passe 33 jours en prison suite à l’affaire des 100 mannequins, véritable coup monté par l’Etat. Il faut une pressante mobilisation nationale et internationale pour qu’elle retrouve sa liberté. La détention provisoire, légale et illimitée, peut se prolonger plusieurs mois voire plusieurs années. Un non lieu innocente la styliste (août 2002) quand la cessation d’activités internet du Metissacana au Sénégal s’avère une réalité et non un effet d’annonce.
France Télécom a besoin d’un siècle, à raison de 150 villages/an, pour juste doter d’une cabine téléphonique les 13 500 villages. Dix ans suffisent à Metissacana et Alcatel pour les équiper de cyber centre apte aux services de proximité qui constituent une extraordinaire perspective. Exemple :
Pesinet (médecine en ligne à bas débit initié par Metissacana et Afrique Initiative quand les experts négligent toute tentative inférieure à 512 kbs) concerne 2000 bébés de St Louis. Des auxiliaires pèsent à domicile les bébés et saisissent en ligne les relevés convertis en organigramme par logiciel. Depuis son cabinet, le pédiatre consulte les courbes et si un contour paraît suspect, clique une touche qui maile un rendez-vous à l’auxiliaire. La référence permet de localiser le bébé. Au mieux la visite chez le pédiatre est une fausse alerte. Au pire un cas de mortalité infantile est évité.
Imaginons ce service étendu à l’ensemble du pays. La connectivité rurale, saut technologique, extension du service universel, peut faire école en Afrique. Les déclinaisons urbaines et industrielles sont prometteuses. La voix sur ip y relaie le téléphone. Cela augure une mutation du marché et la fin du règne de la liaison fixe ou cellulaire.
Metissacana joue son role d’opérateur privé, force de proposition sur des questions d’intéret national. Demander la licence de connectivité rurale à l’Etat permet de faire de ce projet un chantier national ; contourner France Télécom fournisseur exclusif de bande passante au Sénégal ; fédérer la société civile pour développer les services de proximité ; fédérer les bailleurs de fonds..
Nombre d’observateurs étrangers se demandent comment le Sénégal assume le leadership du Nepad et en son sein la responsabilité des Nouvelles Technologies s’il écarte le Metissacana, jette en prison Oumou Sy figure emblématique de l’ Afrique positive, néglige le secteur privé, fait allégeance féodale à France Télécom
Le laxisme a bon dos. Quand un Etat est stérile de stratégie nationale le peuple en est rarement la cause. Idem lorsque l’option de vendre le pays à l’étranger prime sur le partenariat. Quand des opérateurs privés tels que Metissacana ne peuvent achever leur mission au détriment du développement du pays, les usagers sont pénalisés.
A qui profitent de telles errances ? quelles sont les perspectives ? La fin du monopole de la Sonatel annoncée pour 2004 sera-t-elle effective ? l’Etat s’est-il acquitté des conditions nécessaires pour ce faire ? à quand une politique nationale où les Ntic joueront véritablement leur rôle d’outil du développement ?
Michel Mavros
Directeur et Co-fondateur du Metissacana
(Communiqué de presse diffusé le 26 novembre 2002)