Coupures d’Internet au Sénégal : Moussa Bocar Thiam minimise les impacts économiques
mercredi 14 février 2024
Les Sénégalais sont habitués des coupures d’internet depuis l’arrivée de Moussa Bocar Thiam à la tête du Ministère de la Communication, des télécommunications et de l’économie numérique. A chaque fois que des manifestations sont programmées, les autorités justifient ces coupures comme moyens de lutter contre « la diffusion, sur les réseaux sociaux, de messages haineux et subversifs » qui provoqueraient des violences.
Il est essentiel de souligner, contrairement à l’analyse du ministre, que l’impact économique de ces coupures est énorme, significatif…
Les coupures de données mobiles ont un impact économique mitigé
Invité de l’émission « Soir d’Info » sur la TFM, Maître Moussa Bocar Thiam a répondu à l’interpellation du journaliste Abdoulaye Der, concernant les coupures d’internet, qui sont une « grave atteinte à la liberté des citoyens » et ayant « un impact sur l’économie ». Car, « il y a beaucoup de gens qui vivent, maintenant, de l’économie numérique… »
Pour lui : « C’est un impact qui est mitigé […] Parce que, pour une entreprise telle que Sonatel, qui domine le secteur de la téléphonie mobile au Sénégal avec un chiffre d’affaires annuel de 1580 milliards de FCFA, la coupure d’internet, pendant une journée ou deux au cours de l’année, n’est pas nécessairement quelque chose qui affecte, significativement, son chiffre d’affaires ou ses activités. »
Les réponses fournies par le ministre nous éclairent sur les raisons qui le poussent à couper l’accès à internet à sa guise : quand il le veut, comme il le veut… Notre ministre ignore réellement les enjeux économiques derrière une journée sans internet mobile dans un pays comme le nôtre.
En tant que ministre de la communication, des télécommunications et de l’économie numérique, Moussa Bocar Thiam ne comprend pas l’ampleur du rôle de l’internet mobile dans l’activité économique d’un pays comme le Sénégal, où 89,56 % (ARTP, 2023) des utilisateurs accèdent à l’internet par l’intermédiaire de leurs appareils mobiles. Par conséquent, il existe un large éventail d’activités économiques qui dépendent de l’internet mobile, y compris des centaines de jeunes entrepreneurs.
Monsieur le ministre, sachez que lorsque l’internet mobile est coupé, ces personnes et ces entreprises n’ont plus accès à la technologie et aux ressources cruciales dont elles ont besoin pour fonctionner. Dès lors, nous avons immédiatement, une perte de productivité, une diminution des ventes, des achats, des transactions financières.
Moussa Bocar Thiam, notez que « les coupures d’Internet affectent l’économie de nombreuses façons, en réduisant la productivité et en engendrant des pertes financières dans le cadre de transactions urgentes. »
Monsieur le ministre, permettez-moi de porter à votre attention l’avis de l’Internet Society, une organisation qui « soutient et promeut le développement d’Internet en tant qu’infrastructure technique mondiale ».
Selon l’organisation, « plusieurs études ont établi l’existence d’un impact réel des coupures sur le Produit Intérieur Brut (PIB) des pays concernés. Par exemple, une étude de la Brookings Institution a démontré que les coupures d’Internet avaient coûté environ 2,4 milliards de dollars aux États entre le 1er juillet 2015 et le 30 juin 2016, le pays ayant subi le plus de pertes étant l’Inde (968 millions de dollars). Selon un rapport du CIPESA, l’Afrique subsaharienne a perdu 237 millions de dollars à cause de coupures d’Internet depuis 2015. »
Des coupures d’internet pour une réduction des violences
Comme le souligne Internet Society, « les gouvernements ont des craintes et des devoirs légitimes quant à la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale pour leurs citoyens. Cependant, toute mesure restreignant la liberté d’expression ou d’association pour arriver à ces fins doit rester exceptionnelle, disposer d’un fondement légal et être strictement nécessaire et proportionnelle à son objectif légitime. Lors des coupures, de nombreux citoyens peuvent ressentir une violation de leurs droits fondamentaux, ce qui engendre un sentiment de mécontentement et d’insécurité pouvant avoir des conséquences négatives sur la stabilité du pays. »
Tous les gouvernements qui coupent l’accès à internet ont l’idée que cela peut empêcher les gens de communiquer pour organiser des manifestations, d’échanger à travers les réseaux sociaux et surtout de diffuser en direct, avec des images et des vidéos, l’ampleur des manifestations. Des fois, c’est surtout, pour leur empêcher de dévoiler les violences faites par les forces de sécurité sur les populations qui manifestent de façon pacifique.
Les autorités doivent savoir que ce blocage de l’accès à l’internet peut entraîner un sentiment d’isolement et de confusion parmi les citoyens. Parce que, les populations n’arrivent plus à accéder à des informations ou à communiquer avec leurs proches. Pire encore, cela peut pousser certains jeunes, qui n’ont plus d’occupation, car n’ayant plus accès à internet, de sortir dans les rues…
Monsieur le ministre, sachez, quand des manifestations sont annoncées, la plupart des établissements d’enseignement supérieur font des cours à distance. Par conséquent, les étudiants ont besoin d’accès à la connexion internet pour suivre les cours. D’un autre coté, des malades utilisent la connexion internet mobile pour échanger avec des professionnels de la santé.
En outre, cela entrave le travail des journalistes qui assurent leur rôle lors de tels événements. Dès lors, c’est une vraie violation du droit à l’information.
Or, pour rappel, dans le préambule de la Charte de Munich, adoptée en 1971, nous pouvons lire que : « Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain. »
Alors, il est surprenant d’entendre, un ministre de la communication, des télécommunications et de l’économie numérique, affirmer que les diverses interruptions de l’internet ont un impact mitigé sur notre économie.
Nous estimons que, recourir à la coupure d’internet en réponse à des populations qui estiment que leurs libertés sont bafouées et que leur droit d’expression est restreint, c’est tout simplement, ne pas s’attaquer aux problèmes sous-jacents qui poussent les gens à descendre dans la rue.
(Source : Social Net Link, 14 février 2024)