Côte d’Ivoire : les « clients cachés du mobile money » sont une cible pour les fournisseurs de services financiers digitaux
mardi 28 mai 2019
Dans une enquête qualitative menée en mars 2017 sur les pratiques financières en Côte d’Ivoire, le cabinet international de conseil en inclusion financière, économique et sociale, Microsave Consulting (MSC), révèle que le nombre élevé d’utilisateurs non-souscripteurs du mobile money constitue une véritable opportunité commerciale pour les fournisseurs de services financiers digitaux, mais également une opportunité pour accélérer l’inclusion financière dans le pays.
Ces utilisateurs-non souscripteurs que MSC Consulting nomme « utilisateurs cachés du mobile money » sont toutes les personnes qui réalisent des transactions de mobile money par le biais du compte d’une personne tiers – un agent, un ami, ou un membre de la famille – sans jamais que leur identité ne soit enregistrée. Une situation découle essentiellement d’un certain analphabétisme ou encore un faible niveau d’éducation.
En effet, selon l’enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire réalisé en 2015, la majorité des Ivoiriens (55%) sont analphabètes. Le phénomène est amplifié en milieu rural où le taux d’alphabétisation tombe à 26%, et même à 17% chez les femmes.
Et pourtant, ces clients cachés connaissent les principaux fournisseurs du marché, les produits et services disponibles, et comprennent l’intérêt du mobile money dans leurs pratiques financières. Ils effectuent régulièrement des transferts rapides par le biais du compte de l’agent ou plus souvent en déposant directement les fonds sur le compte du récipiendaire (ce type de transaction étant communément appelé dépôt distant), ou encore paient leurs factures d’eau et d’électricité via le compte d’une personne de confiance. Ils apprécient la commodité et la rapidité du service, ainsi que la capillarité des points de vente.
Pour autant, ils sont limités à un usage assisté des services de mobile money. Leur niveau d’alphabétisation constitue un obstacle infranchissable à l’intégration à un écosystème digital conçu pour une clientèle lettrée.
Un manque à gagner considérable
Selon MSC Consulting, ces utilisateurs cachés constituent un segment quasi invisible, difficilement quantifiable, car ils échappent aux données statistiques sur le mobile money. Officiellement, le taux de pénétration au mobile money est de 52,71 % au 31 décembre 2018.
De ce fait, les pratiques engendrées par la non-identification des clients du mobile money constituent un manque à gagner pour l’écosystème. Les dépôts distants privent les fournisseurs de revenus directs sur le service de transfert de personne à personne, produit phare du mobile money en Côte d’Ivoire. En effet, lorsqu’un client effectue un dépôt distant, la transaction est enregistrée comme un simple dépôt pour lequel le fournisseur ne gagne pas de revenus et même en perd car il paie une commission à l’agent sur une transaction sans frais pour le client. En outre, le fournisseur se prive de la commission sur la transaction de transfert qui lui revient entièrement, puisqu’elle ne fait pas intervenir un tiers, l’agent. Le réseau d’agents étant l’un des aspects les plus coûteux d’un déploiement de finance digitale, les fournisseurs auraient tout intérêt à remédier à ces pratiques qui perpétuent la dépendance au réseau de distribution et agit comme un frein à la profitabilité du déploiement.
Une opportunité commerciale pour les fournisseurs de services financiers digitaux
Faute d’enregistrement de l’identité des clients dans leurs serveurs, les fournisseurs limitent aussi leur capacité de collecte et d’analyse des données des comportements financiers de leurs clients. Pourtant, les données constituent une source d’information riche permettant de construire des offres de produits plus sophistiquées pour le marché.
De ce fait, ces utilisateurs cachés constituent une opportunité commerciale considérable, mais qui reste jusqu’ici sous exploitée par les fournisseurs de services financiers digitaux.
Mais pour déverrouiller l’opportunité commerciale qui s’offre à eux, MSC Consulting explique que les fournisseurs doivent explorer de nouvelles solutions pour accompagner ces clients invisibles à s’enregistrer et devenir des souscripteurs actifs des services financiers digitaux.
Offrir des services qui ont du sens pour les clients
Traditionnellement, l’industrie pense que le prix est un facteur déterminant dans l’arbitrage entre les instruments financiers. En réalité, et comme le révèle l’enquête de MSC Consulting, pour les clients, le prix importe moins que la pertinence et la qualité du service rendu.
Il en découle ainsi la nécessité, pour les fournisseurs de services financiers digitaux, de faire en sorte de proposer des produits et services qui ont du sens dans la réalité quotidienne des clients. Et pour ce faire, MSC Consulting recommande la prise en compte d’une série d’aspects particulièrement importants. Il s’agit notamment de :
- la proximité qui sous-entend que les instruments doivent être présents dans le quotidien des utilisateurs et intégrés à leur environnement ;
- la flexibilité qui permet de « solidifier » (se déposséder immédiatement de l’argent / épargner) ou « liquéfier l’argent » (accéder immédiatement à l’argent) de manière immédiate afin de saisir une opportunité, répondre à un besoin ou imprévu, ou favoriser un comportement financier désiré ;
- la tangibilité qui sous-entend de rendre l’argent visible et palpable pour lui donner sens aux utilisateurs ;
- la proactivité, à travers la capacité à anticiper les besoins des utilisateurs à travers les instruments financiers afin de les aider à optimiser leurs stratégies financières ;
- la reproduction, dans la mesure où l’adoption des outils financiers est souvent déclenchée sur conseil ou recommandation d’un membre de l’entourage. Ceci est d’autant plus vrai que les personnes sont vulnérables et n’ont pas accès à l’information ;
- la compréhension, qui implique la connaissance des services financiers et la capacité à comprendre les bénéfices et les mécanismes d’utilisation des services.
La mise en œuvre de ces différents aspects nécessite, par ailleurs, de comprendre la culture de l’oralité pour de mieux appréhender les besoins des utilisateurs. Car selon, MSC Consulting, « dans une société dominée par la culture orale, le langage du cash, compris par tous, agit donc comme le pont entre les nombres indo-arabes, complexes, indéchiffrables, et l’analphabétisme ».
(Source : Microsave Consulting, 28 mai 2019)