Contrôle des tarifications téléphoniques internationales par Global Voice : L’Etat veut sécuriser ses recettes en luttant contre la fraude
mardi 20 juillet 2010
Depuis l’option de l’Etat fixant les tarifs sur les appels internationaux à destination du Sénégal, des spécialistes et même des néophytes dissertent autour de ce qui fait « la part belle » à l’Opérateur Nigérian/américain ( ?!). Documents à l’appui, l’Artp défend son projet destiné à lutter contre la fraude et à générer des ressources supplémentaires pour le financement de l’économie.
Le gouvernement du Sénégal vient de mettre en place un dispositif qui va lui permettre d’engranger des fonds supplémentaires pour le financement des grands projets de l’Etat. Selon l’argumentaire fourni, il s’agit d’un dispositif bonifiant la tarification des appels internationaux entrants et permettant à l’Etat d’exercer un contrôle sur les opérateurs. Justifié par les coûts des infrastructures et équipements de télécoms plus élevés en Afrique qu’en Occident, le partenariat entre l’Artp habilité par décret n° 2010-632 du 28 mai 2010 et Global Voice, le contrôleur choisi, devrait démarrer vers la mi-août ; il y aurait là une véritable mine d’or qui permettait aux Opérateurs téléphoniques internationaux de s’enrichir aussi bien sur le dos de l’Etat et des opérateurs que des Sénégalais immigrés. L’Etat en tirerait un matelas financier considérable, car rien qu’en un mois, le Sénégal reçoit plus de 90 millions de minutes téléphoniques en provenance de l’étranger. Or, sur chaque minute, les opérateurs internationaux des pays où sont majoritairement établis ces Sénégalais prélèvent une redevance qui varie de 0,56 euro à 1,44 euro. Cette somme représente le droit de passage, en quelque sorte, des communications sur leurs infrastructures. Bien évidemment, pour arriver jusqu’au correspondant sénégalais, cette même communication termine sa course en passant par les installations des opérateurs établis au Sénégal (Sonatel surtout, mais aussi Tigo et, dans une moindre mesure, Expresso, qui a commencé l’année dernière ses activités). Pour ces « terminaisons d’appels », comme on les appelle dans le jargon des télécommunications, ces opérateurs locaux sont rémunérés à 0,14 euro la minute. Vu le volume particulièrement important du trafic, cela génère des centaines de milliards pour ces opérateurs. Selon les experts des télécoms auteurs du texte, les opérateurs internationaux réalisent ainsi des bénéfices de 1000 voire 1100% sur ces appels internationaux.
A travers le décret 2010-632, le gouvernement fait passer le tarif de la terminaison d’appels de 0,14 euro à un seuil minimal de 0,259 euro. Ce faisant, il s’aligne sur les tarifs des pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) dont les opérateurs perçoivent des terminaisons d’appels de 0,20 euro la minute. Par exemple, si un appel provient de la France à destination du Sénégal, la minute est à 1,55 euro Ttc qu’on verse à l’opérateur français Sfr. En revoyant à la hausse ces tarifs, le gouvernement voit ses revenus augmenter.
Le niet des syndicats des travailleurs de la téléphonie
Tout le génie de l’opération réside dans le fait que cet accroissement des recettes gouvernementales est sans grosse incidence négative pour les opérateurs internationaux qui ne s’en trouveront pas appauvris. Seulement, leurs bénéfices colossaux vont être rongés quelque peu, puisqu’ils vont passer de 1100% à 700% environ de gains. Ce qui fait une perte de près de 400%. L’Artp aurait informé ses partenaires pour leur signifier que Global Voice entrera dans le marché des télécoms à partir du 15 août, ce qui a fait sortir de leurs gonds les syndicalistes de la Sonatel. « Nous sommes en train d’organiser la résistance. Nous allons rencontrer nos confrères de Tigo et d’Expresso pour qu’ils comprennent que la lutte est pour tout le secteur. Nous allons lancer la Grande offensive pour la résistance (Gor) », avait lancé Mamadou Aïdara Diop, qui dirige l’intersyndicale des travailleurs de la Sonatel lors de leur sit-in de mercredi dernier. Pourtant, l’Artp a expliqué que cette revalorisation des gains de terminaisons d’appels va se faire sans augmentation de tarifs pour les Sénégalais établis à l’extérieur et appelant leurs parents restés au pays. Encore une fois, c’est sur les bénéfices des opérateurs internationaux que cette manne sera prélevée.
Mettre un frein à la fraude et à la terminaison illégale
Mais le plus important se trouve ailleurs, selon l’autorité de régulation. Il est maintenant clair que le gouvernement, à travers l’Artp, dispose désormais d’un matériel (ou logiciel) de contrôle des appels entrants au Sénégal, alors qu’il ne pouvait guère mesurer le flux de trafic et était obligé de se fier aux déclarations volontaires, c’est-à-dire à la parole des opérateurs. On ne sait pas trop pourquoi, mais le gouvernement soupçonne ces derniers d’avoir toujours minoré les flux déclarés pour diminuer le montant des reversements. En effet, là où ces opérateurs déclarent plus de 90 millions de minutes par mois, les experts gouvernementaux se disent fondés à croire qu’il y en aurait au moins le double ou 150 millions de minutes au bas mot. Toujours est-il que, pour y voir plus clair sur ces volumes déclarés, le gouvernement a conclu un partenariat avec l’opérateur Global voice. Et, de fait, le « Network monitoring center » (Centre de contrôle) que cet opérateur a installé va permettre de recenser tous les appels entrants, ôtant toute possibilité aux opérateurs de faire de fausses déclarations ou des minorations. Ce système devrait aussi permettre de mettre fin à la fraude sur les appels entrants qui s’est développée à grande échelle dans notre pays. Par la force des choses, en effet, le Sénégal est devenu une sorte de « hub » en matière de « transit » d’appels internationaux par Dakar vers diverses destinations dont certaines carrément pittoresques.
Serigne Mansour Sy Cissé
(Source : Le Soleil, 20 juillet 2010)
Partenariat Artp-Global voice
L’Artp a créé sous ce rapport un cadre de concertation pour avoir un œil vigilant sur tous les appels comme Global voice est crédité de l’avoir réussi au Congo, en Guinée et au Ghana. Par exemple, en Guinée, depuis septembre 2009, 25.000 lignes frauduleuses ont été détectées, tandis qu’au Ghana, ce sont 7000 numéros frauduleux qui ont été mis au jour, selon la documentation. Enfin, selon le régulateur, cette opération sera indolore pour le consommateur sénégalais, vu que ce n’est pas lui qui paye la communication et qu’il n’aura à supporter aucune taxe. Les milliards prélevés devraient servir à financer la construction de routes, d’écoles et de postes de santé, à électrifier des villages, à forer des puits, etc. Bref, à améliorer le niveau de vie de nos compatriotes, tout en permettant de contrôler la qualité de service sur les liaisons internationales.
Dans tous les milieux, sans remettre en cause le principe, l’opportunité et la nécessité de ces contrôles ont fait valoir cependant que c’est une rente de situation qui est ainsi créée pour Global voice. Et que, tout compte fait, l’Etat a plus à gagner en achetant les équipements nécessaires et en procédant lui-même à ses propres contrôles. Ce qui lui reviendrait beaucoup moins cher que de rémunérer un opérateur dont, finalement, il pourrait bien se passer.
S. M. S. Cissé