Contribution au débat sur la controverse à propos du décret de contrôle des communications internationales et l’affaire Global Voice
jeudi 5 août 2010
Dans un article paru dans la presse sénégalaise Le Soleil et relayé sur les sites Internet (Xalima, ..) le Jeudi, 24 Juin 2010, nous lisons : « L’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) informe, que le Gouvernement du Sénégal vient d’adopter le décret n° 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal. La nouveauté majeure apportée par ce décret est la fixation d’un nouveau tarif pour la terminaison des appels vers le Sénégal et venant de l’international. Le système de contrôle n’est mis en place que pour être sûr que les opérateurs déclareront le trafic réel qu’ils reçoivent de l’international.
Entre autres dispositions, ce décret fixe un seuil minimum des tarifs de terminaison des communications téléphoniques entrant au Sénégal, précise le communiqué. Ce seuil minimum est fixé bien au-dessus des tarifs actuels. Nous notons aussi dans le dit communiqué que ce nouveau seuil n’est aucunement une nouvelle taxe mais plutôt un mécanisme qui assure une redistribution équitable des revenus sur la chaîne de valeur du marché de gros des terminaisons d’appel au bénéfice de l’Etat sénégalais et du secteur national des télécommunications.
Mais en réalité, le relèvement de ce tarif de terminaison à 140,03 Fcfa constitue bien une nouvelle taxe car une partie de ce tarif est collecté par le régulateur. Sur ces 140,03 Fcfa, 75,44 F cfa seront collectés pour chaque minute de communication vers les fixes et 48,2Fcfa pour chaque minute de communication vers les mobiles. Nous remarquerons que sur les appels vers les téléphones fixes, l’Etat gagne plus que les opérateurs.
Aux termes du décret, l’ARTP est chargée de l’exécution technique du nouveau système. A cet effet, elle s’est attachée, dans le respect des procédures du Code des Marchés publics, les services de l’opérateur international du nom de « Global Voice Group » comme partenaire technique pour la mise en oeuvre du système », souligne le communiqué... »
Devant cette situation, j’ai pensé réagir et apporter ma contribution sur la manière dont ce type de dossier devrait être piloté d’un point de vue rationnel et professionnel tout en garantissant le respect de l’intérêt général. Il ne s’agit nullement pour nous de prôner l’immobilisme, ni de cautionner d’éventuelles fraudes et autres dissimulations dont pourraient être coupables les opérateurs de télécommunications.
Nous nous posons la question de savoir, dans cette affaire, si un appel d’offres a été lancé, s’il y a eu une consultation ou si cela a été fait de gré à gré. Nous pensons que ce dossier nécessite un travail en mode projet et qu’il aurait du être précédé par des études technico économiques en amont. Une équipe pluridisciplinaire devrait être mise en place et assurer le pilotage d’un tel projet s’il est capable de générer plusieurs milliards à l’état du Sénégal, par delà la contribution au développement socioéconomique du pays. Le travail de cette équipe consisterait à : faire un état des lieux et définir les objectifs à atteindre pour l’état du Sénégal, pour les opérateurs de télécommunications, évaluer les retombées dans l’économie, les conséquences stratégiques du choix du fournisseur de la solution de supervision et de taxation, tenir compte de la protection des consommateurs et des usagers ; établir de vraies propositions ou recommandations justifiées par une réelle argumentation (démontrer l’intérêt, les avantages, les inconvénients, les conséquences à court et long terme, les précautions à prendre)
Une fois que les enjeux économique, technique, financier, politique, stratégique seront identifiés et mesurés une procédure d’achat appropriée (Appel d’offres ouvert ou appel à propositions, dialogue compétitif...) doit être menée à travers la désignation d’un Comité de Pilotage composé des différents partenaires nationaux (Opérateurs, Etat et ministères impactés (finances, justice, télécommunications..), des syndicats et du régulateur (ARTP), ce dernier pouvant assurer la conduite du projet. Dans ces conditions un résultat positif viable, garanti par une telle démarche qualité, serait, à coup sur, trouvé. Il est inadmissible qu’au regard des enjeux divers de ce projet que celui-ci soit simplement tranché par un décret même présidentiel, sans le soubassement des avis des experts et autres acteurs concernés par la problématique. Il est grand temps de responsabiliser les gens et de travailler avec les différentes forces vives de la Nation pour trouver les solutions pérennes et efficientes pour les choix technologiques majeurs et le développement socio-économique du Sénégal in fine.
Nous ne sommes pas dans une situation inédite et nous devons forcément nous inspirer des expériences internationales des pays développés comme celle de la France pour solutionner ce type de problème bien entendu en l’adaptant à notre contexte. En France l’ARCEP (Autorité de Régulation des communications Electroniques et des Postes) assure de manière autonome son rôle de régulateur et de gendarme des télécommunications avec un marché composé de plus d’une dizaine de Grands opérateurs. La question de savoir pourquoi nous ne sommes pas capables d’en faire autant avec un marché composé de seulement de 3 opérateurs majeurs au Sénégal, sachant que toutes les technologies actuellement disponibles ne sont même pas mises en oeuvre dans notre pays, ce qui pourrait complexifier la gestion de la supervision, se pose avec acuité.
La gestion, la supervision et le contrôle en temps réel du trafic international entrant au Sénégal ne nécessite pas le choix d’un opérateur Telecom Etranger qui au passage récupère près de la moitié de la manne financière en fournissant simplement le système ou l’outil de supervision et de taxation ou de re-taxation, alors même que les équipements de réseau intelligent sont implantés dans les centraux de commutation numérique (ni plus ni moins que de puissants ordinateurs capables de traiter d’importants volumes de données, à l’architecture modulaire et aux composants réutilisables pilotant des bases de données géantes) et permettent d’obtenir tous types d’informations. Un partenariat public privé et de vraies études technico économiques notamment entre l’Etat du Sénégal et les Opérateurs présents, sous le contrôle de l’ARTP et des différents partenaires devrait permettre d’aboutir à une solution. Il nous semble beaucoup plus facile d’exercer des prérogatives attachées à la fonction de régulation (obtenir des informations et des indicateurs de performance, rappeler à l’ordre, édicter des règles et imposer des contraintes, voire des sanctions), que de se hasarder à des expérimentations de solutions qui risquent de ne pas être opérables et d’introduire des risques d’instabilité de toute sorte sur la simple foi de courtiers des communications internationales.
Le problème n’est pas aussi complexe que cela mais il été très mal posé et présenté aux sénégalais qui peut être pour la plupart ne s’y retrouvent pas aisément. Le travail consiste à identifier l’ensemble des possibilités d’acheminement d’appels vers le Sénégal et à trouver les outils de mesure des volumétries et de répercuter les grilles tarifaires correspondant, consensuellement définies. Là on invente rien, mais on travaille de manière simplement professionnelle et avec la rigueur et l’expertise que cela exige. Le problème n’est pas que Global Voice soit un opérateur majeur ou pas mais réside dans la manière dont l’Etat a procédé en désignant, presque en catimini un opérateur sans aucune procédure d’achat public valable au regard du code des marchés publics, d’une part, mais aussi dans l’existence d’une possibilité de trouver un prestataire indépendant capable de mettre en place des outils de supervision fiables et incontestables, d’autre part, après des études concrètes par des experts des télécommunications attitrés, ce qui ne manquent pas au Sénégal.
Les télécommunications constituent une source de revenus non négligeable au Sénégal, au regard de sa contribution au PIB (Produit Intérieur Brut), encore faudrait-il que ce secteur soit géré avec transparence par des personnes compétentes et conscientes de l’intérêt du pays, à leur tour contrôlables. Des outils de mesures de volumétrie et surtout de contrôle doivent être mis en place sous l’arbitrage du régulateur national dont les missions et la mode de désignation et de gouvernance seront redéfinies pour échapper aux vicissitudes politiciennes. En effet, l’ARTP doit pouvoir être automne et jouer pleinement son rôle dans l’intérêt supérieur du pays et doit surtout rendre compte sur les petites comme sur les grosses affaires. Cela suppose que l’Etat choisisse les femmes et les hommes par leurs compétences, leurs expertises et leurs qualifications et de mettre fin au lobbying et autres pratiques (népotisme, clientélisme, intérêts divers, appartenance politique, etc..).
Ce secteur commence à faire trop de bruits dans notre pays (affaire des commissions sur la Licence à Sudatel, tarification des communications internationales, limogeage de l’ex-Directeur de l’ARTP, ..). Il est important de cesser de créer des événements qui n’en seraient vraiment pas, si la gestion était bien faite et de se consacrer à résoudre les vrais problèmes de notre pays que tout le monde connaît (Emploi, Energie, inondations, pauvreté galopante, insécurité, santé, éducation, ..). Aujourd’hui que ce secteur reste l’un des plus rentables et les plus fiables, l’Etat ne prend pas toutes les mesures à la hauteur des enjeux pour préserver celui-ci et par la même occasion les emplois du secteur et surtout la protection et l’intérêt des consommateurs. Les dossiers aussi importants ne doivent pas être discutés dans un bureau entre deux personnes mais gérés de manière collégiale et strictement professionnelle. C’est ensemble en mettant en contribution les différentes forces de notre pays et respectant les bonnes conduites dans la loyauté, la transparence et le respect des valeurs démocratiques et républicaines que nous arriverons au développement socio-économique du Sénégal.
M.Ly Amadou
(Source : Sud Quotidien, 5 août 2010)
Voici quelques termes techniques pouvant aider à une meilleure compréhension de la problématique d’acheminement de communications entrantes Terminaison d’appel/acheminement d’appel : Service consistant à faire aboutir une communication (téléphonique, de télécopie, etc.) au niveau du demandé, lorsque l’abonné d’un opérateur A appelle un abonné d’un opérateur B, l’opérateur A devra payer l’opérateur B une terminaison d’appels pour chaque minute de communication. Une sorte de taxe douanière donc, qui existe depuis l’ouverture du marché de la téléphonie fixe à la concurrence. Taxe de répartition- Selon la définition du Règlement international des télécommunications, « taxe fixée » par accord entre administrations (ou exploitations reconnues) dans une relation donnée et servant à l’établissement des comptes internationaux". En général, il s’agit du prix interne fixé d’un commun accord entre opérateurs publics de télécommunication (PTO) pour l’acheminement du trafic international entre deux points. Ce prix sert à déterminer le prix facturé par le PTO d’arrivée au PTO de départ, et correspond généralement à la moitié de la taxe de répartition (également appelée quote-part de répartition). Taxe perçue par un opérateur au titre de la terminaison ; il peut s’agir :
– d’une taxe unique appliquée à tout type de trafic entrant dans un système traditionnel en mode demi-circuit, établie en fonction des coûts et appliquée de façon non discriminatoire et transparente, ou
– d’une taxe forfaitaire, ventilée en fonction des principaux éléments de coût de la communication : transmission internationale, accès international, extension nationale, et pouvant comprendre un élément de subvention.