Contexte
« Les nouvelles technologies sont une chance pour l’Afrique. Nous avons raté la révolution agricole, la révolution industrielle, il ne faut pas rater la révolution de l’information. » C’est en ces termes que Khodia Ndiaye, chargée de l’information publique au bureau du CRDI (Centre de recherches pour le développement international) de Dakar, résume l’enjeu des nouvelles technologies de l’information et de la communication (ntic) sur le continent africain. L’objectif, rappelé avec force lors des rencontres internationales « Internet, les passerelles du développement » qui se sont tenues à Bamako (Mali) du 21 au 25 février 2000, est bien pour l’Afrique de saisir l’opportunité offerte par les ntic de s’intégrer au développement mondial. Comment ? En s’appropriant ce nouveau moyen de communication. « Bamako 2000 aura été une belle occasion pour les acteurs du Sud de rappeler à ceux du Nord qu’ils n’ont pas forcément les mêmes méthodes, les mêmes rythmes, les mêmes priorités », résume Olivier Barlet, rédacteur en chef de la revue Africultures [1]. Adapter les usages des nouvelles technologies à la société africaine favoriserait en effet l’émergence d’une industrie locale des produits et services multimédias mais aussi une appropriation des contenus (données culturelles, techniques et sociales propres à l’Afrique), un développement de la décentralisation, une ouverture sur le monde pour l’artisanat africain, etc. « Avec l’Internet, l’Afrique a, pour la première fois, une chance historique d’accéder aux sources d’informations dans les mêmes conditions que les pays du Nord », ajoute Khodia Ndiaye.
– Quelques chiffres
Reste que le chemin à parcourir pour combler le retard de l’Afrique dans le domaine des ntic est encore long si l’on se fie, par exemple, aux chiffres officiels du taux de connectivité des Africains [2] : l’Afrique représenterait avec près de deux millions d’utilisateurs - sur une population globale de 734 millions - seulement 1% du réseau planétaire. Et les chiffres de la densité du réseau téléphonique ne sont pas plus encourageants : moins de deux lignes pour 1000 habitants (3 lignes pour 4 habitants en Europe). Le nombre d’ordinateurs connectés à la fin de l’année 1999 se situerait (hors Afrique du Sud) entre 12 000 et 15 000. Avec un quasi-monopole des zones urbaines et principalement des capitales. A noter que ces chiffres ne doivent pas cacher la disparité des situations selon les pays. A elle seule, l’Afrique du sud comptabiliserait 800 000 utilisateurs d’Internet, suivie par l’Egypte (100 000), le Maroc (40 000), la Tunisie (16 000), et le Kenya (15 000). Autres disparité inquiétante : la marginalisation de certaines catégories de la population à l’intérieur même de chacun de ces pays, les ntic creusant encore davantage le fossé entre les capitales et les régions, les membres de l’élite et les autres, les personnes éduquées et celles qui ne le sont pas, les femmes et les hommes...
– Freins et espoirs
Les freins au développement des ntic dans la plupart des pays africains sont nombreux : faible taux d’alphabétisation, déficit énergétique, faible densité du réseau téléphonique, manque criant de formation, multilinguisme, coûts de communication et du matériel informatique très élevés (les taxes douanières sur le matériel informatique atteignent 160% au Mali...), etc. « La progression du nombre d’utilisateurs en Afrique va se heurter, à court terme, à la saturation du marché solvable, à l’insuffisance des infrastructures et au faible taux d’alphabétisation. D’où la nécessité de mettre en place un intermédiaire entre l’outil et l’usager comme un scribe moderne », écrit à ce sujet Annie Chéneau-Loquay dans un livre consacré aux enjeux des ntic en Afrique [3].
Dans le même temps, de nombreuses initiatives jouant parfois un rôle de lobbying auprès des pouvoirs publics ont commencé à voir le jour : le développement de l’informatique dans les télécentres communautaires permettant une appropriation collective des nouveaux moyens de communication, la mise en place de structures favorisant l’implantation du commerce électronique (par exemple le Trade Point au Sénégal ou les magasins virtuels au Kenya), la promotion du rôle des femmes à travers des réseaux d’associations présents sur Internet, etc. « Il a fallu presque cinquante ans à certains pays africains pour rendre la télévision opérationnelle, alors que cinq ans ont suffi pour que tous les pays africains soient connectés à Internet, certains avec des moyens très avancés », précise Amadou Top, Directeur d’Osiris (Observatoire sur les systèmes d’informations, les réseaux et les inforoutes au Sénégal - www.osiris.sn). Du point de vue technologique, le développement du téléphone cellulaire, les programmes satellitaires ou les logiciels de reconnaissance vocale permettraient de contrer un certain nombre de difficultés... difficultés dont l’Afrique triomphera avec l’aide des pays du Nord mais dans un esprit de soutien et non d’assistanat. C’est ce qu’a rappelé le président de la République malienne, Alpha Oumar Konaré, lors de son discours de clôture de Bamako 2000 : « Une fois de plus, même et surtout avec Internet, la coopération peut devenir de l’assistance à l’Afrique. Les vieux réflexes de la colonisation culturelle et de l’aliénation économique peuvent renaître avec de nouvelles méthodes. (...) C’est pourquoi (...) la présence de contenus proprement africains pour résoudre des problèmes africains est la seule garantie du profit que nous pouvons tirer des ntic ».
[1] Africultures n°23 (décembre 1999) a consacré un dossier très complet sur l’Internet en Afrique.
[2] Ces chiffres ne peuvent être qu’approximatifs au vu du nombre de comptes partagés et de boîtes aux lettres utilisées sur un seul abonnement.
[3] « Enjeux des technologies de la communication en Afrique », sous la coordination d’Annie Chéneau-Loquay, Karthala - Regards. En savoir plus : http://www.africa.u-bordeaux.fr/afr...