Conseil présidentiel sur les appels téléphoniques internationaux entrants : Wade et Cheikh Tidiane Mbaye se déchirent
vendredi 12 août 2011
Alors que le Président Wade a persisté et signé que rien ni personne ne peut l’amener à ne pas appliquer le décret portant sur le contrôle des appels entrants, le Pdg de la Sonatel lui a affirmé qu’il est formellement contre, comme l’est le conseil d’administration de la Sonatel. Wade a beau ouvrir le feu sur le syndicat de la Sonatel, Cheikh Tidiane Mbaye n’a rien cédé. Tout comme la tête de file des syndicalistes en question, Aïdara Diop. Ambiance d’un conseil présidentiel qui n’a pas manqué de piquant.
Ceux qui soutiennent que le Président Wade ne lâche jamais prise n’ont pas tort. De retour de son voyage de Ndjamena, la capitale tchadienne, il n’a même pas pris le temps de se ménager. Il a fait appeler les syndicalistes de la Sonatel, les secrétaires généraux des principales centrales syndicales du pays, le Directeur général de Sonatel, le Directeur général de l’Artp, ses ministres et son Premier ministre au Palais. Au menu du jour : Conseil présidentiel sur les appels téléphoniques internationaux entrants. C’est Me Wade qui commence d’abord par exposer le projet de contrôle des appels entrants. Comme pour menacer le Pdg de la Sonatel, Cheikh Tidiane Mbaye qui se trouvait dans la salle en même temps que Aïdara Diop, leader du syndicat, le chef de l’Etat lance : « j’irai jusqu’au bout de cette affaire. Le gouvernement gouverne et moi j’ai été élu par le peuple. Quand je prends une décision, je n’ai besoin de personne. Maintenant, si vous n’êtes pas contents, attendez les prochaines élections ».
Le Président : « Celui qui est déplacé, je le recrute »
Précisant que le contrôle de ces appels allait apporter 60 milliards de Fcfa dans les caisses de l’Etat, Wade se veut clair : « c’est entre l’Etat et France Telecom. Moi, je ne comprends pas que les syndicalistes disent que leurs emplois sont menacés. Je vous donne ma parole qu’aucun emploi ne sera menacé. Celui qui est déplacé, je le recrute. Ce que Sonatel propose ne rapporte que 10 milliards de Fcfa. Pourquoi vous prenez la défense de France Telecom alors qu’elle est la seule à se sucrer ? Certains syndicalistes sont à la solde de France Telecom. Mais moi, personne ne peut me menacer. Nous sommes dans un Etat souverain. Je vais d’ailleurs racheter les parts de France Telecom dans Sonatel pour les donner à des privés sénégalais. Il me suffit juste d’informer Sarkozy et de le faire ».
C’est ensuite au tour du Directeur général de l’Artp de prendre la parole. Ndongo Diaw jure qu’il va appuyer le président de la République pour trouver des ressources. Puis, se voulant menaçant, il révèle que l’Artp va prendre des mesures à la suite du « sabotage » du réseau orchestré par les syndicalistes de la Sonatel.
Cheikh Tidiane Mbaye : « Je suis très gêné... »
Pour autant, les menaces de Me Wade n’ont pas ébranlé le Pdg de la Sonatel. En prenant la parole, Cheikh Tidiane Mbaye a lancé tout de go : « je suis très gêné », avant d’enfoncer le clou : « je suis très gêné, car j’ai l’impression que nous ne sommes pas dans un Conseil présidentiel sur les appels entrants, mais à un conseil présidentiel contre la Sonatel. Et ce, du fait d’un actionnaire de référence, c’est-à-dire l’Etat. Nous sommes les premiers à lutter contre la fraude. L’année dernière, nous avons fait entrer en droits et taxes 175 milliards de Fcfa dans les caisses de l’Etat. Et cette année, sans doute que ce sera 200 milliards. Le président de la République connaît ma position sur cette affaire. Je suis contre et le Conseil d’administration dans lequel siège un représentant de l’Etat est contre. Et le Conseil d’administration a notifié ce refus à l’Etat », soutient M.Mbaye avant de préciser à l’endroit du chef de l’Etat : « Monsieur le Président, vous avez dit tantôt que nous aimons l’argent. Je vous précise que je n’aime pas l’argent, mais j’aime le développement. C’est différent. Vous, vous aimez l’argent ».
Momar Ndao théorise la prison pour les syndicalistes
Vrai pourfendeur de la Sonatel, Momar Ndao prend la parole et...théorise la prison pour les travailleurs de la société de télécommunications. Il a rappelé que quand Mademba Sock (présent dans la salle) avait saboté le réseau de la Senelec, il avait été emprisonné. Avant de dire qu’à la suite du « sabotage » du réseau par les travailleurs de la Sonatel, son association avait porté plainte. Mais, selon lui, cette plainte déposée à l’Artp au nom des consommateurs n’a pas connu de suite. En ce qui concerne le contrôle des appels entrants, Momar Ndao s’est dit favorable, d’autant que pour lui, la mesure vise les « Sénégalais les plus nantis », les ambassades basées à l’étranger...
Cheikh Diop de rappeler qu’en 1996, il avait dénoncé les défaillances de Mobil qui avait intenté une action en justice contre lui. À l’époque, dira-t-il, c’est même le Président Wade qui l’avait défendu devant les tribunaux. Pour autant, Cheikh Diop a prôné la concertation avec les travailleurs de la Sonatel, comme le souhaitera aussi, à sa suite, Mody Guiro. Comme pour répondre à Cheikh Diop avec qui elle est en guerre dans le cadre du contrôle de la Cnts/Fc, Bakhao Diongue qualifiera l’idée du chef de l’Etat de « géniale », avant de marteler que si les travailleurs de la Sonatel avaient compris le « projet », ils allaient...soutenir le président de la République.
Aïdara Diop à Wade : « Ce que Ndongo Diaw et les promoteurs vous ont vendu, c’est du toc »
Des propos qui n’ont pas calmé l’ardeur de Aïdara Diop. « J’assume au nom des travailleurs tout ce qui a été fait dans le passé et tout ce qui se fera. Nous sommes contre ce projet et nous maintenons qu’il menace les emplois. Monsieur le Président, les promoteurs de ce projet et Ndongo Diaw vous ont vendu du toc. C’est du vent et nous sommes prêts à le démontrer sur le plan technique. Depuis trente ans, je suis dans les télécom. Ce que j’ai obtenu, c’est par la grâce de Dieu, mais aussi grâce aux télécom. Donc je sais bien ce que je dis ».
Et Aïdara Diop de jeter du sable dans le couscous de Momar Ndao : « Monsieur le Président, vous avez fait la prison comme Mandela, mais cela ne vous a pas empêché de devenir président de la République. Nous aussi, sommes prêts à aller en prison, si nous devons y aller sur la base de nos convictions ». Wade glisse : « Je ne vous enverrai jamais en prison ». Aïdara Diop ajoute : « Cela nous dérange qu’on dise que nous sommes dans les valises de France Telecom. Et pourtant, ce n’est pas nous qui avions voulu vendre Sonatel à France Telecom en mars 2009. A l’époque, nous avions dénoncé cette affaire. Maintenant, ceux qui ont voulu vendre sont des patriotes et nous qui étions opposés à la décision des apatrides ! C’est le monde à l’envers ». Très en verve, le chef de file des syndicalistes poursuit en martelant : « ce réseau, nous ne le saboterons jamais, car des générations et des générations l’ont construit. Alassane Dialy Ndiaye peut vous le confirmer. Cela dit, nous assumons tout ce qui a été fait, nous ne renions rien ».
Comme pour atténuer ses attaques contre la Sonatel, le chef de l’Etat dira ensuite à l’endroit de Cheikh Tidiane Mbaye : « je n’ai jamais douté de votre patriotisme. Je suis un libéral et si vous n’aviez pas le profil, l’Etat ne mettrait pas ses actions entre vos mains ». Il faut dire que Mademba Sock qui a aussi prôné la concertation a soulevé un point crucial. Tout au long de son discours, le Wade a parlé de 10 milliards de Fcfa venant de Sonatel pour aller dans les caisses de l’Etat. Or, comme le fait remarquer un responsable de la Sonatel, ce sont 14 et quelques milliards que le premier opérateur téléphonique a versés. Simple omission ?
Pape Ismaela Keïta et Cheikh Mbacké Guissé
(Source : L’As, 12 août 2011)