Conseil national de régulation de l’audiovisuel : Reporters sans Frontières demande à Wade de ne pas promulguer la loi
vendredi 30 décembre 2005
Parce qu’elle est mal écrite et ambiguë, injuste et liberticide, la loi portant création du Conseil national de régulation de l’audiovisuel doit être remisée dans les tiroirs. La proposition est de Reporters sans Frontières qui a ainsi demandé au président de la République de ne pas promulguer cette loi.
La loi n°38/2005 portant création du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), adopté le 21 décembre 2005, « doit être oubliée avant d’avoir pu naître ». C’est un texte « mal écrit et ambigu, injuste et liberticide », remarque Reporters sans Frontières (Rsf). L’organisation qui s’étonne de ce texte, voté par onze voix contre deux, sur cent-vingt députés que compte le Parlement, estime que la mise en place en l’état du Cnra sera dangereuse pour la liberté de la presse. Selon Rsf, avec cette structure, l’Etat cherche à « instituer un tribunal suprême des radios et télévisions, composé de personnalités adoubées par le chef de l’Etat et n’ayant aucun rapport avec les métiers de l’information, chargé de surveiller et de punir les médias ». Et l’argumentaire servi par le gouvernement sénégalais en faisant adopter ce texte, est « d’apporter des réponses pragmatiques face aux défis d’un nouveau paysage audiovisuel ». Reporters sans frontières estime que cet objectif ne serait pas atteint.
Afin de rétablir la sérénité dans les débats en cours sur la réforme de la loi sur la presse, il est important, pense l’organisation dirigée par Robert Ménard, que « le président Abdoulaye Wade refuse de la promulguer ». Puisqu’il ne sert à rien de dépénaliser les délits de presse et d’instituer une créature bureaucratique régissant les médias sans leur participation. Aujourd’hui, affirme Reporters sans Frontières, le gouvernement et la presse ont besoin de renouer un dialogue serein. Car, lors des crises, le gouvernement se défausserait hypocritement sur le Conseil national de régulation de l’audiovisuel, en s’appuyant sur son indépendance pourtant contestable. De son côté, la presse indocile ferait tout ce qui est en son pouvoir pour saboter cette machine à sanctionner. Aucun problème ne serait réglé. Il en existerait de nouveaux.
En faisant un schéma du fonctionnement du Cnra, Reporters sans Frontières estime que le Cnra composé de neuf membres à l’identité floue et nommés par le chef de l’Etat, où ne siégerait qu’un seul professionnel de la communication audiovisuelle, pourra prononcer des sanctions à l’encontre des médias, allant de la suspension à une amende exorbitante pouvant atteindre 10 millions de francs.
Sur quels dérapages cet organisme non représentatif devra-t-il statuer ? Il devra veiller « au respect des règles d’éthique et de déontologie dans le traitement de l’information (...), notamment en assurant le respect des institutions de la République, de la vie privée, de l’honneur et de l’intégrité de la personne humaine ; au respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et du caractère laïc de la République dans les contenus des messages audiovisuels », dit le texte de la loi. Autant de questions qui restent sans réponse. Ainsi, souligne Rsf, il existera au Sénégal, avec ce Cnra, des thèmes placés sous surveillance. Pourra-t-on enquêter ou s’exprimer, sans être sanctionné, sur le président, le gouvernement, les corps constitués, les élus, les juges ? Pourra-t-on dénoncer le népotisme et la corruption ? Pourra-t-on évoquer les séparatistes de Casamance ? Sans doute pas. On n’abordera pas donc les sujets qui fâchent, sans être mis à l’amende par ce collège qui devra déterminer qui a respecté ou non l’éthique et la déontologie. Les journalistes n’auront qu’à bien se tenir. Du reste, s’ils souhaitent contester les sanctions prononcées par le Cnra devant le Conseil d’Etat, les journalistes devront tout de même se soumettre aux diktats de l’autorité de régulation. Un tel recours, dit la loi, « n’est pas suspensif ». Payez d’abord ou taisez-vous, nous verrons plus tard qui avait raison.
C’est l’évidence : les règles démocratiques exigent que la légitimité de l’instance de régulation des médias soit reconnue à la fois par le gouvernement et par les professionnels de l’information. Si tel n’est pas le cas, tous les abus pourraient se déguiser sous le prétexte de la contestation vertueuse. La relation de reconnaissance mutuelle entre le gouvernement et la presse serait brisée.
Le Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie (Cred), que les journalistes ont mis en place de leur propre initiative, est dépouillé de toute autorité. En le mettant en place, le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) souhaitait à juste titre consacrer le fait qu’en « matière d’honneur, le journaliste ne reconnaît que le tribunal de ses pairs ». Or, pense Reporters sans Frontières, « on ne peut à la fois exiger que la presse soit responsable et la dessaisir des moyens qu’elle s’est donnés pour faire respecter l’éthique et la déontologie au sein de la profession ». Il peut avoir une traduction concrète et indispensable : la mise en place d’une autorité de régulation des médias qui ne ressemble ni à un conseil de famille, ni à une assemblée corporatiste. Ce chantier doit être ouvert sans délai.
Fatou K. SENE
(Source : Wal Fadjri, 30 décembre 2005)