Le codeur sénégalais Amadou Daffé, 37 ans, réside à Philadelphie aux Etats-Unis où il travaille comme ingénieur depuis neuf ans dans des grandes entreprises informatiques. Avec quatre autres geeks originaires d’Afrique de l’Ouest et installés aux Etats-Unis, ils ont fondé Coders4Africa. Cette organisation non profit œuvre à former et à soutenir les développeurs de logiciel africains qui seront les acteurs technologiques de demain. Entretien.
Slate Afrique : Pourquoi avoir créé Coders4Africa ?
Amadou Daffé : Je suis arrivé aux Etats-Unis en 1994 pour étudier. J’y suis resté pour travailler car l’industrie des nouvelles technologies y est très développée et en perpétuelle évolution. Avec les quatre autres co-fondateurs, nous avons toujours eu envie de contribuer au développement de l’Afrique. Et nous avons voulu aider l’Afrique avec notre savoir-faire technologique. Nous savons programmer des logiciels en différents langages, gérer des réseaux...Et nous croyons au potentiel des nouvelles technologies pour le développement de l’Afrique.
Quand avez-vous commencé ce projet ?
D’abord en 2002 avec l’ambition de développer des logiciels libres pour l’éducation et la santé en Afrique. Mais à ce moment là nous étions seulement deux personnes et nous avons vite réalisé qu’il fallait fédérer une communauté soudée autour du projet. Du coup, nous avons essayé de former une équipe de développeurs africains. Et c’est à ce moment là que nous avons réalisé qu’il était très difficile de trouver des développeurs professionnels en Afrique. Ce projet a été laissé en jachère mais ça nous a fait réfléchir.
De cette idée a jailli Coders4Africa ?
Ça nous a fait prendre conscience des besoins de la communauté Tech en Afrique. Et en 2010, nous avons donc décidé d’agir pour renforcer l’écosystème technologique africain.Coders4Africa est né. Objectif : créer une communauté de développeurs africains aussi compétents qu’aux USA. Mais aussi servir de passerelles entre l’Afrique et les Etats-Unis.
Concrètement, quelles sont vos ambitions ?
Former gratuitement 1 000 codeurs africains d’ici 2016. Le programme de formation va débuter l’année prochaine et nous travaillons en ce moment pour finir de peaufiner les programmes. Notre stratégie est d’aller de pays en pays pour identifier les 1 000 codeurs que nous allons former. Nous avons commencé avec le Sénégal, le Mali et le Ghana en juin. A la rentrée nous allons au Kenya.
Justement, le Kenya est en passe de devenir la Silicon Valley d’Afrique...
Le Kenya est effectivement en pointe au niveau des technologies en Afrique mais il y a toujours ce manque de créateurs de technologies. Les entreprises distribuent et injectent leurs technologies qui sont largement utilisées par les Kényans. Mais les développeurs et créateurs de technologies ne sont pas si nombreux donc ils pourraient bien être confrontés eux aussi à un manque de codeurs qualifiés.
Comment expliquez-vous le retard de l’Afrique francophone par rapport à l’Afrique anglophone ?
La réponse est dans la question : c’est l’anglais. La programmation est née aux Etats-Unis et les langages de coding sont en anglais. Les livres de formation sont traduits en français avec beaucoup de retard, les forums sur internet sont en anglais...C’est un problème majeur. Donc nous essayons de réunir tout le monde sur la même plateforme, anglophones et francophones.
Comment vos cycles de formations vont-ils se dérouler ?
Nous élaborons un examen en ligne pour évaluer les compétences des développeurs que nous allons former. Ils seront ensuite classés en deux catégories : les « experts » et les « niveaux moyens ». Ils auront un mois de formation très poussée et ils devront ensuite élaborer un logiciel prêt à l’emploi. Puis ils suivront une formation intensive d’une semaine dans le logiciel et langage de coding de leur choix.
Quels sont les axes d’études que vous allez proposer ?
Nous formerons d’abord les codeurs à des applications qui manquent terriblement en Afrique. Il y a quatre domaines de formation. Outre le web et la gestion de réseau, le mobile est fondamental car il est devenu l’ordinateur des Africains qui sont demandeurs d’applications qui répondent à leurs besoins. Et des applications américaines ne sont pas vraiment appropriées à l’Afrique. L’autre domaine de formation à privilégier : les bases de données. Là encore l’Afrique a accumulé un retard considérable et les administrations africaines ont des besoins considérables de solutions de bases de données.
Les formations auront lieu sur place ou en e-Learning ?
Sur place car en Afrique, le e-Learning ne fonctionne pas vraiment. Les connexions internet en Afrique sont encore trop instables...
Qui seront les formateurs ?
Les cinq co-fondateurs de Coders4Africa qui ont une expérience de 15 années de coding et de développement technologique mais aussi des formateurs bénévoles américains et francophones.
Donc Coders4Africa vise principalement à former et à fédérer les codeurs africains ?
Nous pensons qu’il est fondamental de former et de faire émerger une communauté d’acteurs tech sur le continent. L’autre projet à moyen-terme de Coders4Africa est de développer un lieu dédié à l’innovation et à la création technologique avec tous les outils nécessaires. Nous espérons pouvoir créer « devhub » à Dakar et à Accra en 2013.
Qui vous soutient financièrement ?
Pour le moment, c’est sur fonds propre. En tant que développeurs, nous avons cette culture de « faire avant de parler ». Une fois Coders4Africa éprouvé, nous allons solliciter des fondations philanthropiques mais nous avons déjà noué des partenariats notamment avec l’entreprise de logiciel professionnel Oracle et avec l’Université de Pennsylvanie. Mais aussi avec l’école SupInfo à Dakar et avec le Kofi Annan Advanced Information technology Institute basé à Accra.
Comment percevez-vous l’intérêt soudain des géants californiens pour l’Afrique, comme Google par exemple ?
Google est un moteur de recherche donc ils sont intéressés par les contenus. Et ils donnent aux Africains les outils de création de contenu qui passeront ensuite par leur moteur de recherche. Ils sont en train de créer des utilisateurs avancés d’internet en Afrique. C’est très intéressant, mais n’est ce pas mettre la charrue avant les boeufs ? Est-ce dans l’intérêt des Africains ? Nous pensons qu’il faut créer des créateurs de technologies en Afrique et laisser les Africains innover en leur donnant les moyens de développer eux-mêmes les technologies.
Pourquoi, selon vous, les nouvelles technologies peuvent contribuer à développer l’Afrique ?
Je crois que le développement de l’Afrique dans les années à venir se fera principalement à travers les Tech. Je suis dans le domaine depuis plus d’une décennie donc je vois tout de suite comment les technologies peuvent servir en Afrique. Car les nouvelles technologies modifient en profondeur les notions de temps et d’espace qui deviennent réduites. Du coup, elles permettent de dégager du temps et de l’énergie pour créer, produire, avancer. De plus, l’information passe et circule grâce aux outils comme le mobile et internet. Et c’est très important pour l’Afrique. Les nouvelles technologies comme outil de développement, je dis oui à 100 %. Mais il faut aussi que les médias locaux éveillent les populations à ces nouvelles technologies, expliquent l’intérêt et apprennent à les utiliser.
Joane Tilouine
(Source : Africa Tech, 5 août 2011)