Chérif Ndiaye, Fondateur de Sign Up et promoteur du projet Ecoles au Sénégal
jeudi 25 février 2016
« Les difficultés en tant qu’entrepreneur nous les vivons tous les jours et nous les prenons comme des challenges, c’est ce qui nous fait vivre. Comme je disais récemment à mon père, si d’ici mes 40 ans je ne suis pas cardiaque alors c’est que je ne le serai jamais »
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Chérif Ndiaye. Assez âgé quand même (rires) j’aurai bientôt la quarantaine. Entrepreneur depuis l’âge de 30 ans, j’ai monté ma première entreprise en 2008. Depuis 3 ans je m’oriente vers l’entrepreneuriat social.
D’où est venue cette envie d’ entreprendre ?
Etant un ancien de l’APIX (ndlr : agence pour la promotion de l’investissement et des grands travaux), j’étais responsable du suivi-évaluation des projets agréés par l’état du Sénégal. Je recevais chaque jour en moyenne 4 à 5 entrepreneurs, sans compter les missions que je menais au sein du pays et à l’international. J’avais comme interlocuteurs des entrepreneurs qui n’étaient pas forcément plus instruits que moi mais plus audacieux. J’ai donc pu côtoyer ces « soldats de l’économie » et à force d’échanger avec eux ils m’ont donné l’envie de devenir comme eux. L’autre élément déclencheur c’est que j’ai fait une école de commerce, j’ai donc eu l’occasion de toucher à tous les volets d’une entreprise. J’avais tous les outils à ma disposition mais pas encore le goût du risque pour aller vers l’incertitude que représente le monde de l’entreprise. Après ma démission de l’APIX j’ai immédiatement voulu mettre sur place un projet, c’était prématuré je l’avoue. J’ai ensuite voulu apprendre davantage du secteur dans lequel je souhaitais évoluer plus tard, le monde de la communication. Je suis parti en agence de communication et j’y ai travaillé pour les plus grandes entreprises du multimédia.
Chaque 10 ans je prends une grande décision. Quand la trentaine est arrivée, moi qui me disais qu’à 30 ans il fallait être patron, je savais qu’il fallait passer à une autre étape et ne plus attendre qu’un salaire me soit versé par un autre patron que moi. J’ai encore une fois démissionné, je suis devenu consultant et ai monté ma boîte.
Parlez-nous de votre entreprise Sign Up et de votre projet Ecoles Au Sénégal. Quel est votre secteur d’activité ? Quelles solutions proposez-vous ? A quel besoin/problème répondez-vous ?
Le mot qui revient toujours à travers mes activités c’est « Social ». Sign Up est une agence de marketing social. Notre dernière réalisation en date est un marché décroché avec l’APIX, une campagne de marketing social pour sensibiliser au déguerpissement et à l’indemnisation des populations qui se trouvent sur la voie ferrée du train Diamniadio-Dakar. Nous avons également une campagne en cours avec Afrique Pesage pour la sensibilisation des chauffeurs de camions sur les risques de l’extrême surcharge de leurs camions qui les met en danger ainsi que les populations et détruit les routes. On ne se limite donc pas aux plans d’actions mais on accompagne nos clients dans l’action. Il nous fallait également avoir un produit ou service qui ne génère pas de revenu mais nous permette de contribuer, à notre façon, à l’amélioration des conditions de notre communauté. C’est en ce sens qu’on a lancé Ecoles Au Sénégal qui est désormais une association ayant pour but d’aider tous les élèves (riches, pauvres, intelligents ou ayant des lacunes) en leur donnant accès à des contenus didactiques en ligne gratuitement. Ecolesausenegal.com est un changement de paradigme par rapport à l’école classique, n’importe quel élève peut apprendre à sa guise et n’importe quel professeur peut se rapprocher de nous pour partager son savoir.
A vos débuts vous aviez avec vous des cofondateurs, pouvez-vous partager avec nous votre expérience à ce sujet ?
Effectivement quand on veut monter une entreprise à 30 ans et qu’on a ni un passif d’entrepreneur ni les reins assez solides (beaucoup d’argent en banque), le meilleur moyen reste de s’associer à des gens qui ont ce que tu n’as pas. Au départ Sign Up était un centre d’appel avec un investissement de départ assez élevé parce que 70 personnes travaillaient à temps plein dans l’entreprise. J’avais un apport de 10 millions dont 8 millions que ma mère m’avait donné. Je suis donc allé présenter le projet à un ami qui était membre de la Jeune Chambre Internationale, une association dont je fais partie. Il était Sénateur dans cette organisation mais également pétrolier, il avait donc beaucoup de liquide et souhaitait diversifier ses activités. Il est entré dans le capital à hauteur de 40% des parts. Après 2 ans la structure n’a pas fonctionné. J’ai donc racheté ses parts, depuis lors Sign Up est piloté par Chérif Ndiaye qui en est donc le seul actionnaire (rires).
Combien d’emplois avez vous créés ?
Au présent nous avons 5 employés permanents et de nombreux non permanents (les professeurs avec lesquels nous collaborons). Au départ Sign Up c’était 70 personnes en full time pendant 2 ans. Quand on compare Sign Up au départ et aujourd’hui côté création d’emplois et chiffre d’affaires ce n’est pas la même chose. C’est une entreprise qui est en phase de redynamisation. Quand nous étions un call center 70% de nos marchés était de l’offshoring (France et Suisse). Quand nous avons perdu ces marchés nous avons dû nous orienter vers des activités ne nécessitant pas autant de capital humain, c’est ce qui explique aujourd’hui la taille de l’entreprise.
Quels sont les défis que vous rencontrez au quotidien en tant qu’entrepreneur ?
Les difficultés en tant qu’entrepreneur nous les vivons tous les jours et nous les prenons comme des challenges, c’est ce qui nous fait vivre. Comme je disais récemment à mon père, si d’ici mes 40 ans je ne suis pas cardiaque alors c’est que je ne le serai jamais. Parce qu’en tant qu’entrepreneur qui a aujourd’hui 10 ans d’expérience dans ce secteur là, les heures et les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Tu peux avoir un bon marché sur lequel tu marges bien et qui fais tourner ton CA et du jour au lendemain, le client ne te paie pas ou avec des difficultés. Tu peux aussi entamer des négociations jusqu’à être sur le point de décrocher un marché ou une subvention et ton interlocuteur quitte la structure ou décède. Ce sont des choses sur lesquelles on a aucune emprise et qui peuvent chambouler le fonctionnement d’une entreprise. Ce sont des aléas, des incertitudes qui font partie des contraintes d’une PME car nous n’avons pas de grosses réserves en banque et nous vivons avec une trésorerie très tendue.
L’autre chose c’est la fidélisation de notre personnel. Des jeunes arrivent très motivés et se donnent à 100% à l’entrée mais dès lors où la situation financière de l’entreprise se détériore, ça impacte sur leur motivation. C’est assez gênant car en tant que startup on mise beaucoup sur la formation et le renforcement de capacités de nos équipes et faisons en sorte qu’on partage une vision commune. Or, dès que la motivation n’est plus là ça se ressent sur la productivité de l’entreprise.
Il peut y avoir également des contraintes techniques. On fait beaucoup de R&D et voulons aller plus loin mais nous n’avons pas les ressources qu’il faut en interne et n’avons pas les moyens financiers d’embaucher les profils correspondant présents sur le marché.
Un produit phare ?
La star pour moi c’est Ecolesausenegal.com, c’est le produit que tout le monde aime , qui répond à un réel besoin de masse en proposant une solution gratuite. Ça devient donc un réel produit d’appel car si avec presque rien nous arrivons à faire vivre Ecolesausenegal.com c’est bien la preuve qu’à fortiori avec un budget à disposition nous pouvons faire des merveilles en termes de communication et ça nos clients l’ont bien compris.
Depuis quand êtes vous incubé chez CTIC Dakar ? Votre ressenti ?
Mon entrée en incubation date du 15 décembre 2013 et je ferai donc ma sortie le 15 décembre 2016. Ça veut dire que je suis en incubation depuis plus de 2 ans. Sign Up à son entrée traversait une période de crise, pour nous CTIC Dakar était une bouée de sauvetage. C’est un ami, Eugène Niox secrétaire général d’OPTIC (ndlr : Organisation Professionnelle des TIC), qui m’a recommandé l’incubation. D’emblée le terme « incubé » ne m’a pas plut. Comment une entreprise qui a généré du chiffre d’affaires et créé plus de 70 emplois pouvait-elle accepter d’être « incubée ». J’avais géré des centaines de millions de CA, me faire incuber et accompagner par des personnes qui n’avaient pas mon vécu et sûrement pas le même background que moi me rendait réticent. J’ai tout de même postulé et à ma grande surprise on a jugé que Sign up n’était pas prête pour de l’incubation mais devait passer par une phase de « pré-incubation ». C’était encore plus frustrant (rire). Il fallait être humble et accepter de se faire aider, c’est pour moi une qualité de leader. C’est moi qui avait besoin d’aide et de voir ma structure renaître. J’ai donc accepté cette décision et je ne la regrette pas aujourd’hui puisque c’est ce qui a mené à la naissance du projet Ecoles Au Sénégal. CTIC Dakar l’a considéré comme son bébé et a fait le nécessaire pour que ce bébé soit visible aux yeux du monde. Je pense aussi que CTIC Dakar n’est pas assez comprise de l’Etat sénégalais. On parle de création d’emplois mais encore faut-il pouvoir maintenir ses emplois. Il est important que des jeunes pousses qui ne sont pas expérimentées puissent être accompagnées par des personnes compétentes comme le propose CTIC Dakar. C’est un plaidoyer que je porte, je pense que l’Etat doit être plus regardant sur les activités menées par l’incubateur. Aujourd’hui donner 1 milliard de CFA à CTIC Dakar ça ne serait absolument rien pour l’état et pourtant l’incubateur pourrait faire des miracles avec !
(Source : CTIC, 25 février 2016)