Le Sénégal dispose du système de télécommunications le plus avancé d’Afrique de l’Ouest. Au sud du Sahara, c’est le deuxième pays le plus connecté sur Internet après l’Afrique du Sud. Cette position de leader, il la doit à une vision anticipée du formidable enjeu lié au développement des nouvelles technologies de l’information. « C’est un domaine qui intéresse énormément le président Abdou Diouf », explique Aïssata Tall Sall, le ministre de la Communication. Aujourd’hui, son ministère coopère avec ceux de la Recherche scientifique, de l’Industrie, des Télécommunications et de l’Éducation pour élaborer une politique cohérente.
Au commencement était la vieille administration des Postes et Téléphones, héritée de la colonisation. En 1985, les autorités sénégalaises décident de scinder les activités en créant TéléSénégal. Cette entité permettrait ainsi de faire du téléphone un outil géré à part et évoluant à un rythme plus accéléré que celui des services postaux. L’entreprise, dont la naissance n’a pas été saluée par un enthousiasme unanime, a fini par faire ses preuves. Toujours guidé par une vision clairvoyante des réformes à entreprendre, le gouvernement décide alors de créer la Sonatel, de la doter d’un capital réparti entre l’État, les organismes publics et des sociétés nationales tout en soumettant sa gestion aux règles de fonctionnement d’une entreprise privée : rentabilité, conseil d’administration, etc.
Le Sénégal mise désormais sur le développement des téléservices. Il bénéficie pour cela d’atouts considérables : un réseau moderne, entièrement numérisé, dont la capacité rend possibles la profusion des téléservices et l’élaboration d’une infrastructure de taille en matière d’autoroutes de l’information, puisque de nombreux câbles sous-marins passent par le Sénégal pour desservir plusieurs pays africains, voire d’autres régions du monde telles que l’Amérique latine.
Le Premier ministre Mamadou Lamine Loum a, dans cette perspective, demandé à son ministre de la Communication d’élaborer un schéma directeur de développement des téléservices. Les résultats de ces travaux, présentés le 9 juin en Conseil interministériel, devront être validés prochainement par l’ensemble des acteurs du secteur, c’est-à-dire les bailleurs de fonds, les usagers et l’État.
Pourquoi accorder une telle importance au marché des téléservices ? « Parce qu’il est aujourd’hui à l’origine de 50 % des créations d’emplois et de richesses au Sénégal », estime Cheikh Tidiane Ndiongue, directeur des études et de la réglementation de la Poste et des Télécommunications auprès du ministère de la Communication.
Même s’il peut se targuer d’occuper une place honorable et d’être même compétitif par rapport au leader du continent qu’est l’Afrique du Sud, le Sénégal doit encore résoudre le problème majeur de la surfacturation des communications.
Comme l’indique William Kwendé, directeur général d’AIS International, une entreprise de consultants en informatique basée à Dakar, « une réflexion s’impose sur les tarifs des télécommunications et sur leur influence sur le budget des entreprises. Le Sénégal et l’Afrique en général ont les coûts de télécommunications les plus élevés du monde. Des spécialistes estiment à 30 milliards de F CFA le montant de la surfacturation annuelle engrangée par la Sonatel eu égard aux tarifs qu’elle pratique. Le danger réside dans le fait qu’elle prétend procéder à des réductions d’abonnement et donc à des baisses de prix alors qu’elle utilise un tour de passe-passe qui consiste à diviser par deux la durée de l’unité en même temps qu’elle affirme réduire de 50 % ses prix. Les gens ignorent également que les cellulaires sont fortement surfacturés en Afrique. Comment voulez-vous développer ce continent quand, pour téléphoner, on doit dépenser la moitié de son salaire ? »
William Kwendé, docteur en micro-électronique et ingénieur en informatique et télécommunications, propose donc un moyen de résoudre cette difficulté : profitant de la qualité des communications, qui permet au Sénégal de passer de bonnes conventions Internet, il offre aux entreprises et aux particuliers des prix défiant toute concurrence grâce à l’utilisation du téléphone et du fax via... Internet !
AIS compte d’ailleurs rendre la technologie abordable en installant, d’ici à la fin de l’année, un système de téléphone par Internet grâce auquel un appel à Paris sera moins cher qu’une communication dans Dakar. Son credo : un système n’atteint un niveau de qualité que lorsqu’il est utilisé par la masse. Pourtant, malgré les trois révolutions technologiques qui ont eu lieu au Sénégal au cours des cinq dernières années - Internet, le téléphone mobile et la création de lignes spécialisées pour réseaux comme Numéris -, la population ne perçoit pas encore les avantages financiers du changement. « Il faut savoir que la téléphonie mobile coûte trois fois plus cher que le téléphone fixe qui restera donc prépondérant pendant longtemps encore au Sénégal », souligne Mame Marie Sow, responsable des marchés à la société de Bourse sénégalaise CGF.
Avec le soutien de la Banque mondiale, une réflexion a été récemment lancée sur l’évolution des téléservices. Il ressort de cette analyse que les entreprises qui essaient de travailler à l’international sont handicapées par les coûts exorbitants des communications. « On nous coupe le téléphone ! » répètent ceux qui essaient de travailler à distance. Le facteur coût est donc un des freins à l’essor des téléservices. C’est là le talon d’Achille de la politique de communication sénégalaise.
Mamadou Bah
(Source : Jeune Afrique, 15 juin 1999)
« Nous sommes compétitifs »
L’article « Cher téléphone » paru dans Jeune Afrique n° 2005 appelle de ma part plusieurs remarques. Alors que la Sonatel s’attache à baisser les tarifs des télécommunications, il est regrettable que votre journaliste ait écrit que « le Sénégal doit encore résoudre le problème majeur de la surfacturation des communications » sans chercher à opérer une analyse comparative avec les tarifs africains. D’autant que le terme « surfacturation » renvoie à une facturation indue ; son emploi est non seulement impropre, mais aussi désobligeant.
Les tarifs de la Sonatel défient toute concurrence sur le continent. Écrire que « les entreprises qui essaient de travailler à l’international sont handicapées par les coûts exorbitants des communications », c’est ignorer ceux pratiqués ailleurs en Afrique. Selon le rapport officiel de l’Union internationale des télécommunications (UIT), la Sonatel a les tarifs les plus compétitifs d’Afrique subsaharienne. Par exemple, appeler du Mali vers le Sénégal coûtera 705 F CFA la minute, de Côte d’Ivoire 535 F CFA et du Togo 600 F CFA. Tandis qu’à partir du Sénégal, l’appel à destination de ces pays sera facturé 340 F CFA la minute aux heures pleines. Quant au coût de la minute de communication vers la France, il est passé de 800 F CFA à 600 F CFA en l’espace de deux ans.
En termes de productivité, la Sonatel devance tous ses concurrents africains : cent vingt lignes par agent, contre une moyenne de trente dans les autres pays. Deuxièmement, l’entreprise a un train de vie des plus modestes et maîtrise ses charges de fonctionnement. Enfin, elle a su tirer parti de la position géographique du pays en investissant dans les câbles sous-marins, les satellites et les centres de transit internationaux. L’utilisation de notre réseau international est rémunéré par les opérateurs de télécoms étrangers pour un montant qui représente près de 40 % de notre chiffre d’affaires et 80 % de nos bénéfices, ce qui permet de subventionner le téléphone national.
En 1995, nous avons installé une plate-forme technique d’accès au réseau Internet. La Sonatel s’est d’emblée positionnée comme opérateur d’accès en laissant à d’autres le soin d’exercer le métier de fournisseurs d’accès. Elle a, en outre, uniformisé la tarification de l’accès au Web au niveau national par l’application du tarif des communications locales.
Il est faux de dire que « seul le coût des appels freine l’essor des téléservices ». Les téléservices prospèrent au Sénégal. La gamme variée de services (télésaisie de textes, dessins animés, télétraduction, résumés d’abstracts judiciaires, etc.) offerte par le secteur privé en atteste. Ce qui n’exclut pas d’envisager, au regard des perspectives d’emploi et de croissance qu’ouvre le secteur, d’autres initiatives en matière tarifaire, ou des prises de participations dans de jeunes sociétés afin d’amplifier leur expansion.
Cheikh Tidiane Mbaye
Directeur général de la Sonatel
(Source : Jeune Afrique, 10 août 1999)
NDLR : L’appréciation que chacun peut faire du prix d’un bien ou d’un service est totalement subjective. En revanche, il est juste de reconnaître à la Sonatel sa compétitivité par rapport aux autres opérateurs africains.