Développeur web de formation, Cheikh Fall est le créateur des Africtivistes, un groupe de jeunes citoyens et de journalistes qui surveille les promesses et les discours de politiciens africains. Ils veulent éduquer, être au coeur d’une révolution démocratique.
En me rendant à Dakar pour réaliser une série de longs entretiens, j’espérais pouvoir illustrer par mes rencontres un certain nombre des grands sujets qui traversent notre série Rêver l’Afrique : l’appétit de la jeunesse pour un monde différent, l’explosion des nouvelles technologies dans la vie de tous les jours et, au confluent de ces deux phénomènes, des démocraties qui se cherchent un modèle. J’étais loin de me douter qu’en donnant rendez-vous à Cheikh Fall, j’allais trouver tout ça.
Fall est un développeur web de formation qui s’est lancé dans la création d’un blogue il y a presque 15 ans. Il venait de réaliser que la presque totalité des informations qu’il consommait sur Internet était produite par d’autres, des Occidentaux du Nord, essentiellement. En 2010, il crée une plateforme web, Citoyen au Sénégal, et l’année suivante, une autre consacrée à la surveillance de la campagne électorale de 2012.
Le citoyen Cheikh Fall vient de semer les graines de ce que seront les Africtivistes, un regroupement de jeunes disséminés dans une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest. Dans chacun d’entre eux, 25 citoyens, auxquels se sont joints 25 journalistes professionnels, font une surveillance du discours des candidats, des élus, des administrations locales comme nationales, captant et diffusant avec leurs téléphones et ordinateurs les discours, promesses et réalisations des politiciens. Un travail d’éducation pour créer des citoyens mieux outillés pour faire des choix éclairés.
L’action de Cheikh Fall est basée sur deux certitudes : la première, que la jeunesse africaine rêve d’une vraie démocratie et la seconde, que sa capacité à maîtriser les nouvelles technologies lui permet d’être une actrice des révolutions en cours. Car c’est bien de révolution dont il est question dans l’esprit du créateur des Africtivistes.
Plusieurs gouvernants actuels rêvent de voir les jeunes s’abrutir avec des jeux sur leurs téléphones, alors que Fall rêve de les éduquer. Et ses yeux brillent lorsqu’il évoque le cas des élections de l’an dernier en Gambie. Le président Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans, a été chassé par la voie des urnes. Le dictateur a bien tenté de museler l’opposition, de fermer radios et télévisions, il n’a pas réussi à contrer la machine informatique des forces d’opposition, la « rue dématérialisée » qui appelait tout le monde à voter.
Et ce succès politique ne sera pas le dernier, selon mon invité. D’autres chefs d’États et de gouvernements devraient en prendre bonne note. Une soft révolution est en cours. Une révolution de software.
J’ai rencontré Cheikh Fall dans un café Internet de Dakar. L’heure du déjeûner étant passée, l’endroit était calme et baigné d’une lumière douce. Les clients étaient tous très absorbés par leurs écrans de toutes tailles, chacun dans sa bulle, les écouteurs bien vissés sur les oreilles. Un grand homme, fort élégant, s’est dirigé vers ma table, souriant, main tendue. Mes espoirs n’allaient pas être déçus.
Michel Désautels
(Source : Radio Canada, 13 avril 2018)