Cheikh Bakhoum, DG de l’Agence de l’informatique de l’Etat : « 4500 kilomètres de fibre optique ont été déployés »
mardi 4 décembre 2018
L’Agence de l’informatique de l’Etat a interconnecté 400 bâtiments de l’administration grâce à son réseau de fibre optique (larges bandes). Selon son directeur général, Cheikh Bakhoum, les grands projets mis en œuvre par l’agence notamment la dématérialisation de près de 60 procédures, le projet « Smart Sénégal » qui, à son avis, va rendre le pays plus attractif, plus ouvert au reste du monde.
L’Etat a confié des projets dans le domaine du numérique pour accélérer la modernisation de l’administration et améliorer la qualité du service rendu aux citoyens. Où en êtes-vous avec ces projets ?
Depuis 2012, le président de la République, Macky Sall a confié à l’Agence de l’informatique de l’Etat (Adie) d’importants projets dans le numérique. Il s’agit, principalement, du projet de l’intranet administratif qu’il fallait étendre partout dans le pays. C’est pour cela, nous avons entamé un vaste chantier de déploiement de fibre optique dans les 45 départements du Sénégal. Aujourd’hui, on peut dire que les 45 départements sont couverts en fibre optique donc en infrastructures larges bandes de dernière génération. Ce projet va permettre à l’administration d’être interconnectée en haut débit, que ce soit l’administration au niveau central mais également l’administration locale. Clairement, nous pouvons dire que l’administration sénégalaise est à l’ère du haut débit. Cette infrastructure va pouvoir permettre de raccourcir les délais en terme de traitement d’informations au sein de l’administration mais également elle va permettre une meilleure communication entre les administrations et surtout permettre à notre pays de davantage rapprocher l’administration aux citoyens mais également aux différents investisseurs qui s’intéressent à notre pays. Dans le cadre de ce projet que nous avons intitulé « larges bandes », nous avons connecté presque 400 bâtiments de l’administration. Il s’agit de préfectures, de commissariats de police, d’hôpitaux, des universités mais également la quasi totalité des administrations qui se trouvent dans notre territoire. C’est presque 4500 km de fibre optique qui ont été déployés. Le président Macky Sall nous avait instruit, dans le cadre de ce projet, de construire le plus grand « data center » du Sénégal. C’est ce que nous sommes en train de faire à Diamniadio et à travers ce « data center » nous pourrons recevoir l’ensemble des données de notre administration et l’étendre même au secteur privé national et international. C’est un projet structurant pour notre pays qui va pouvoir bénéficier à l’ensemble des secteurs d’activité de notre vie économique, sociale et environnementale.
Quels sont les enjeux de la dématérialisation des procédures ?
Aujourd’hui, nous avons mis une infrastructure de dernière génération. L’enjeu est de construire des applications destinées aux usagers de l’administration, aux citoyens sénégalais. En interconnectant les hôpitaux, la télémédecine va être une réalité partout dans le pays, le déficit de médecins que nous notons dans certaines régions peut être comblé grâce à la télémédecine. C’est également le cas pour les universités où nous notons également dans certaines régions un déficit de professeurs. Avec le téléenseignement nous pouvons, également, combler ce gap. C’est pareil pour d’autres secteurs. C’est une infrastructure qui va apporter de la valeur ajoutée à toute l’économie sénégalaise. Elle va également permettre à ce que nous puissions davantage dématérialiser des procédures de l’administration. Aujourd’hui, nous avons presque 60 procédures qui ont été dématérialisées par l’Adie compte non tenu des procédures qui ont été dématérialisées par certaines administrations notamment au ministère de l’Enseignement supérieur mais également au ministère de l’Economie, des Finances et du Plan. C’est un processus de modernisation qui est enclenché et le président de la République tient à ce que toute notre administration soit dématérialisée pour permettre aux citoyens de ne plus se déplacer systématiquement pour avoir des actes au niveau de l’administration. A partir du net, ils pourront faire leurs demandes et recevoir les informations émanant de l’administration.
Quels sont les avantages qu’offre cette dématérialisation des procédures ?
Les avantages sont multiples. C’est d’abord un gain de temps. Le citoyen qui habite à Matam ou à Tambacounda ou dans la région naturelle de Casamance n’aura pas forcément besoin de venir jusqu’à Dakar pour s’entretenir avec un agent de l’administration centrale. Il peut tout simplement, à partir d’un portail disponible sur le net, demander des informations mais également communiquer avec les agents de l’administration centrale. C’est un gain de temps mais également un gain en termes de dépenses car le citoyen n’aura pas besoin de dépenser en termes de transport mais juste à partir de son poste qu’il puisse émettre ses demandes. C’est également une marque de transparence dans la gestion publique. Les citoyens se plaignent très souvent de ce manque de transparence. Avec cette dématérialisation, ils n’auront plus besoin d’être en contact direct avec l’agent de l’administration. Ce sont, entre autres, ces avantages qu’offre aujourd’hui la dématérialisation et qui va permettre à notre pays de pouvoir continuer à renforcer ses institutions, à permettre aux citoyens davantage donner une crédibilité à nos administrations publiques.
Comment l’administration publique et les citoyens ont-ils accueilli tout ce catalogue de services offert par l’Adie ?
La plupart des procédures que nous avons dématérialisées, à chaque fois que nous avons lancé une procédure, on a noté un engouement de la part des citoyens. Récemment nous avons lancé la procédure de dématérialisation de l’obtention du baccalauréat. Nous avons vu que des milliers de Sénégalais se sont connectés sur le portail pour pouvoir recevoir leur diplôme du baccalauréat. C’est également le cas avec le concours de l’Ena où des Sénégalais à l’intérieur du pays ou de la diaspora étaient obligés de venir faire des rangs à l’Ena pendant plusieurs jours pour pouvoir juste déposer leurs dossiers. Avec la dématérialisation, ils n’ont plus besoin de venir non seulement à Dakar mais ils peuvent faire leurs dépôts en ligne. C’est un besoin réel au niveau des citoyens et c’est un processus irréversible qui va permettre à notre administration de, davantage, se rapprocher des usagers.
Existe-t-il pas eu des facteurs bloquants dans ce processus de digitalisation ?
Je pense que le principal blocage c’est au niveau de l’administration. Nous avions une manière de travailler qui date depuis notre existence en tant que pays. Nous avons une certaine manière de travailler qui est très attaché au papier et avec cette digitalisation, nous devons changer nos comportements. C’est un volet que nous avons inclus dans tous nos projets de dématérialisation et nous le faisons systématiquement avec les agents de l’administration pour qu’ils puissent réellement comprendre les enjeux et un peu changer de comportements pour pouvoir prendre en charge cette nouvelle manière de faire.
Un dispositif de télépaiement a été lancé par l’Adie. Est-ce qu’il est opérationnel ?
Nous avons lancé le dispositif de télépaiement parce que jusqu’ici, au Sénégal, pour payer des taxes au niveau de l’administration, les Sénégalais étaient obligés d’aller au Trésor public. L’Adie, en rapport avec les autorités du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, a mis en place un dispositif de télépaiement où quand le Sénégalais effectue une procédure au niveau de l’administration puisse directement payer grâce aux outils qui existent comme le « mobile money ». C’est un dispositif utilisable par l’ensemble des administrations. Nous l’avons déployé avec l’Ena et nous comptons le faire avec toutes les procédures qui nécessitent un payement de la part du citoyen.
Depuis quelques années on parle du plan Sénégal numérique. De quoi s’agit-il concrètement ?
Le « Sénégal numérique 20-25 » c’est le plan du secteur du numérique qui devra prendre en charge tous les besoins du Sénégal en matière de numérique que ce soit pour l’administration mais également pour le secteur privé pour faire du Sénégal un pays où le digital jouera un rôle essentiel dans la transformation de notre économie donc le « numérique pour tous et pour tous les usagers ».
Quelle sera la contribution de l’Adie à ce projet ?
L’Adie c’est une industrialisation du processus de digitalisation de l’administration. Nous voulons que l’ensemble des administrations soient digitalisées, que nos données soient hébergées dans des centres de ressources de l’Etat, que l’ensemble des bâtiments de notre administration soient interconnectés grâce à notre réseau mais également que nous soyons totalement autonome vis-à-vis des opérateurs et d’autres pays. Il faut que vraiment le Sénégal puisse gérer lui-même ses données, ses applications voire manager le pays sur cette base.
L’un des projets phares de l’Adie c’est celui de « Smart Sénégal ». A quand son lancement ?
Le projet va débuter incessamment pour prendre en charge un volet essentiel du Plan Sénégal émergent (Pse). Au niveau du projet « Smart Sénégal » nous envisageons de rendre nos villes beaucoup plus sûres à travers le concept de « Save city ». Avec le ministère de l’Intérieur, la gendarmerie, nous travaillons à ce que nous puissions avoir une supervision 24h/24 de la capitale d’abord mais également des grandes villes du Sénégal. C’est un projet phare que nous avons pris en charge dans le cadre du « Smart Sénégal ». Dans le volet de l’éducation, nous allons accompagner les universités les lycées, les collèges dans le cadre de leur modernisation. Ils vont pouvoir utiliser le digital dans le contenu pédagogique mais également dans la manière d’enseigner. Nous allons véritablement injecter de la technologie dans notre système d’enseignement. Il y a un autre volet au niveau de la santé où nous comptons avoir des points de télémédecine que ce soit dans les hôpitaux ou dans ce que nous allons appeler « les maisons des citoyens » que nous allons construire dans chaque département. Ces maisons seront des guichets uniques où tous les services dématérialisés vont pouvoir être délivrés mais également nous auront un « training center » pour la formation pour accompagner les jeunes, les startups à pouvoir avoir un écosystème viable. Ce que nous voulons est de créer un environnement digital où vont évoluer des agents de l’administration sénégalaise et du secteur privé, des jeunes, des universitaires. Nous allons aussi soutenir d’autres secteurs comme l’agriculture, la pêche et l’élevage avec des applications qui permettront d’améliorer nos productions et d’avoir une meilleure maitrise de ce que nous produisons. Le « Smart Sénégal » va rendre notre pays beaucoup plus attractif, plus ouvert au monde.
Il est beaucoup question de la cybercriminalité. Quel est le dispositif mis en place par l’Adie et les différents services concernés de l’Etat pour pouvoir faire face à cette menace ?
L’Adie a, à son sein, une direction qui s’occupe de la sécurité des systèmes d’informations. Nous allons lancer le « Cert » de l’intranet administratif. C’est un dispositif qui va être mis en place grâce aux différents départements les plus importants qui possèdent les systèmes d’information pour nous permettre de coordonner nos activités en matière de cybersécurité. C’est un enjeu qui est aujourd’hui compris par notre Etat et qui est en train d’être pris en charge pour sécuriser au mieux nos systèmes d’information mais également pour pouvoir apporter toutes les réponses nécessaires à chaque fois que nos systèmes sont attaqués.
Quels sont les enjeux de la loi sur le nouveau code des communications électroniques ?
Au niveau du code des communications électroniques, l’Adie avait des dispositions qui la concernaient directement. Cela nous permet de pouvoir, non seulement mettre à la disposition de notre infrastructure au niveau de l’Etat mais mettre cette infrastructure à la disposition des opérateurs titulaires de licence. C’est en ce sens que l’article 1 de l’ancien code des télécommunications sera repris dans cette nouvelle loi. C’est également le cas pour une autre disposition où on oblige l’ensemble des opérateurs à interconnecter avec les réseaux de l’Etat du Sénégal. Cela nous permet de pouvoir échanger des données entre notre réseau et le réseau des opérateurs. Avec ces dispositions, nous pourrons nous ouvrir au secteur privé et cela va pouvoir se répercuter sur les coûts qui sont appliqués. Ce que nous voulons est que cette infrastructure que l’Etat a mise sur place que les opérateurs puissent l’utiliser et connecter les Sénégalais partout où ils se trouveraient. Cela permettra de pouvoir réduire les coûts d’investissements et par ricochet réduire les coûts qu’ils vont appliquer aux Sénégalais.
Pourtant, certains estiment que cette loi contient des articles problématiques qui menacent l’accès des Sénégalais aux applications de téléphonie par internet. Quand est-il ?
Par rapport à cela, le président de la République et son gouvernement ont été assez clairs. Il ne s’agit pas de restrictions mais tout simplement de pouvoir surveiller ce qui se passe aujourd’hui sur internet. Vous êtes d’accord avec moi qu’internet est un espace qui est de plus en plus utilisé par les Sénégalais. Donc il est important de pouvoir, à chaque fois qu’un Sénégalais est attaqué injustement ou qu’il y ait des difficultés au niveau de l’internet, qu’on puisse agir. Chaque jour, des citoyens sénégalais se font attaquer sur le net, subissent des préjudices sur le net sans que l’Etat n’ait les capacités de pouvoir véritablement agir. Il s’agit tout simplement de pouvoir mettre le dispositif pour renforcer la sécurité et permettre à chaque Sénégalais de se sentir en sécurité.
Propos recueillis par Aliou Ngamby Ndiaye
(Source : Le Soleil, 4 décembre 2018)