Charles Sanches, expert en Tic à Article 19, parle des lois relatives à Internet
jeudi 16 avril 2015
Avec les débats qui se poursuivent sur le projet de Code de la presse, la liberté d’expression sur internet est en question. L’organisation Article 19 a publié le mois dernier, une étude sur la législation sénégalaise actuelle à ce propos, intitulée « Analyse de quelques lois relatives à Internet ». Le document reconnaît que le pays est déjà doté d’une forte législation sur la liberté d’expression sur internet, mais qu’il a des progrès à accomplir pour préserver les droits des internautes. Charles Sanches, qui a piloté l’analyse, a répondu aux questions du Quotidien.
Pouvez-vous présenter rapidement l’organisation Article 19 ?
Article 19 est une organisation internationale indépendante, spécialisée dans les questions de liberté d’expression et d’accès à l’information. A Dakar, on est concentré sur des programmes qui touchent l’accès à l’information. L’idée c’est de faire en sorte que la question de l’accès à l’information soit prise en compte parce qu’elle est essentielle pour la gouvernance. On travaille avec d’autres acteurs de la Société civile ici et avec les autorités. Le programme que je gère a pour but de voir comment on peut renforcer la liberté d’expression en utilisant les Technologies de l’information et de la communication (Tic), mais aussi comment lutter contre les nouvelles formes de censure qui peuvent émerger avec ces technologies.
Dans l’analyse publiée par Article 19 le mois dernier, on comprend que le droit sénégalais comporte de nombreuses références à la liberté d’expression sur internet. Y’a-t-il une loi qui régit cela ?
Il n’y a pas une loi spécifique qui va promouvoir la liberté d’expression sur le net. Il y a un cadre juridique, dans lequel on trouvera des éléments qui vont toucher à la liberté d’expression sur le net. Maintenant, de manière générale, les lois sur le cyberespace (internet et les Tic) datent de 2008. Ce sont des lois qui encadrent le commerce et les transactions électroniques, la cybercriminalité, la protection des données personnelles… Et c’est au sein de ces lois que l’on va trouver des articles touchant à la liberté d’expression. Actuellement, dans le projet du Code de la presse qui est encore en discussion, il y a des éléments qui touchent à la liberté d’expression et au travail des journalistes, donc à la liberté d’information.
Où en est le Sénégal au niveau de la liberté d’expression sur internet ?
Comparé à d’autres pays, on ne peut pas dire que le Sénégal ne respecte pas du tout la liberté d’expression ou la viole. En même temps, se demander où en est un pays par rapport aux normes internationales de la liberté d’expression, cela reviendrait à dire qu’il existe des pays parfaits, or ce n’est pas le cas. La vraie question c’est qu’il y a toujours de nouveaux enjeux par rapport à la liberté d’expression. A chaque fois qu’il y a un nouveau phénomène, il y a des acquis remis en cause. Ici au Sénégal, on a eu en 2014 un professeur d’université (Professeur Omar Sankaharé, Ndlr) qui a écrit un livre où il faisait un syllogisme entre la Grèce antique et le Coran. Il a reçu une volée de bois vert car il avait touché un sujet sensible ! On a trouvé alors qu’il y avait un vrai problème avec la liberté d’expression. Dans un monde en mutation, liée à la mondialisation, aux rapports qu’on a avec l’information, comment est-ce qu’on se défend pour que la liberté d’expression ne recule pas ? Comment fait-on pour qu’elle avance ? Les Tic sont des révolutions dans la manière de communiquer. Les gens ne comprennent pas toujours tout sur la manière d’utiliser les réseaux sociaux, mais ils savent que c’est quelque chose qui leur permet de mieux communiquer. Qu’est-ce que cet avantage technologique peut apporter à la liberté d’expression sans que ce soit un repli pour les gouvernements, dont le reflexe est de penser les Tic sous le prisme de la sécurité nationale. Dans notre analyse, nous écrivons qu’il y a des choses intéressantes qui ont été faites, mais certains points sont à améliorer.
Du coup, concrètement, quelle pratique sur internet est susceptible d’être censurée au Sénégal ?
On peut prendre l’exemple des bloggeurs et journalistes citoyens. Il y en a beaucoup au Sénégal. L’actuel Code de la presse va donner une définition très restrictive par rapport aux journalistes. Il y a un certain nombre de critères à remplir pour être considéré comme journaliste. Les bloggeurs citoyens, ils n’ont certes pas la formation de journaliste, mais leur contribution pour le public est très importante. On a l’impression que le Code de la presse va être un recul au regard des recommandations internationales. Le Comité des droits de l’Homme promeut l’idée qu’il faut élargir la définition du journaliste pour qu’un bloggeur ou un journaliste citoyen puisse bénéficier d’un certain nombre de privilèges.
Dans notre analyse, nous parlons aussi des intermédiaires internet, comme par exemple les hébergeurs de sites web. Dans plusieurs pays, les intermédiaires ne sont pas responsables du contenu qu’un tiers publie par leur biais. C’est un gros débat en ce moment : si quelqu’un diffame une personne dans les commentaires d’un site d’info, le site est-il responsable ? Nous interpellons l’Etat sur cette question car il existe pour l’instant, un vide juridique au Sénégal. Notre position est de dire que certains délits de droits communs traités par le Code pénal, qui sont valables pour les délits hors ligne, devraient l’être pour les délits en ligne. On pense qu’on n’est pas obligé de créer de nouvelles lois pour internet. Mais si on légifère spécialement pour le net, ne soyons pas dans une logique répressive, mais renforçons la liberté d’expression en la définissant plus clairement.
Concernant la diffamation justement, est-ce qu’une dépénalisation sur internet ne pourrait pas induire une forme d’impunité ?
Tout d’abord, Article 19 fait la distinction entre la diffamation dans le cadre des délits de presse et la diffamation entre personnes. Par dépénalisation, nous entendons l’interdiction de mettre en prison un journaliste pour des propos diffamants qu’il a tenus dans le cadre de son métier. Souvent, la diffamation sur internet ne vient pas des journalistes en ligne, mais de simples citoyens qui commentent sous les articles. Je pense qu’il y a toute une éducation à la culture numérique qui n’est pas encore ancrée dans la société. C’est un travail que l’Etat, les parents et la Société civile doivent faire. Il faut faire comprendre aux gens qu’internet n’est pas une zone de non-droit, il y a des règles. Tout est une question d’éducation. La manière dont vous vous comportez hors-ligne, c’est la même dont vous vous comportez en ligne.
(Source : Le Quotidien, 16 avril 2015)