Facebook a été lancé en 2004, soit il y’a 15 ans. WhatsApp date de 2009 soit il y’a 10 ans. En moins de 20 ans, ces espaces d’échanges, dits réseaux sociaux, ont connu un développement fulgurant. Ils semblent même avoir vocation à changer, de manière profonde et durable, les relations humaines, le rapport au Savoir et… aux pouvoirs ( !) Pour donner une échelle de l’amplitude des changements en cours, l’un des intervenants du cycle des « Ted’s Conferences" disait déjà il y’a quelques années : « WhatsApp a 4 ans, emploie 55 personnes et pèse 14 milliards de dollars. Comparativement, Peugeot, constructeur d’automobiles, a plus d’un siècle d’existence, emploie plus de 100.000 personnes et pèse… 12 milliards de dollars. » En une phrase ce conférencier souligne, à la fois la rapidité prodigieuse à laquelle les nouvelles richesses se créent, mais aussi le caractère volatile et immatériel de ces nouveaux services qui drainent les passions humaines et font la fortune de leurs promoteurs à la vitesse du son.
Nous changeons donc d’époque. De nouveaux paradigmes doivent être forgés pour faire face et…survivre. Les enjeux de la nouvelle économie, liée aux développements, encore à venir de l’intelligence artificielle et de la maîtrise du cyberespace, mériteraient un traitement approprié par nos pays qui pourraient faire des pas de géants dans des domaines qui sont à la portée de nos intelligences. Il suffirait de créer l’environnement favorable à l’éclosion des nombreux talents qui rongent leurs freins ou alors s’exportent, d’autant plus qu’il n’est plus nécessaire de se trouver physiquement là où l’on travaille ! Sujet trop vaste pour mon propos de ce jour.
Je vais m’interroger ici, actualité oblige, sur les distorsions qui se font jour sur les réseaux sociaux, et qui nous font prendre le mauvais versant de la pente du progrès. Alors que d’autres choix, plus passionnants, sont possibles.
En effet, le développement sans brides des Nouvelles Technologies de l’Information et de la communication (NTIC) a produit, notamment dans notre pays, un type de discours et de travers dont la particularité est le désir de heurter pour se faire remarquer. Depuis notamment « les lignes ennemies » titre de la chronique de Souleymane Jules DIOP (SJD) devenu Ministre après avoir trempé sa plume dans le fiel durant les deux mandats du Président Abdoulaye Wade, il est devenu de bon ton de s’attaquer aux personnes et non plus à leurs idées ou opinions exprimées . La vie privée n’étant plus une frontière. L’émission radiophonique via internet de SJD Degg Deugg qui reprenait en langue nationale wolof l’essentiel de ses écrits en français, était de la même veine, avec l’avantage de démultiplier son impact. S’il faut trouver un inspirateur à la prolifération des discours incendiaires sur le web, il faut remonter au moins à ces année-là. N’est ce pas Madiambal DIAGNE ?
Le mal est donc profond, plus ou moins lointain et, si l’on n’y prend garde, définitivement installé. D’ailleurs, les forums de plusieurs sites internet sont de véritables caniveaux où se débattent, dans la fange de leurs propos malodorants, une espèce nouvelle de prédateurs : les courageux anonymes. C’est en effet forts d’une impunité relative que cette espèce prolifère et..prospère ( ?) Car il semblerait que certains gagnent ainsi leur pitance quotidienne. On peut se demander pourquoi, les services du Ministère de la Justice n’ont jamais diligenté des enquêtes pour assainir ces bas-fonds et limiter les nuisances causées par tous ces psychopathes … Techniquement rien ne s’y oppose. On serait alors surpris de découvrir qui se cache derrière certaines adresses IP !
Cela étant dit, l’actualité récente est marquée par l’arrestation de deux « activistes » qui eux au moins s’affichent et défendent, à visage découvert, leurs opinions. On peut ne pas les partager mais nul ne pourrait leur reprocher une quelconque lâcheté. Identifiables, il devrait suffire de leur porter la réplique de face dans le cadre d’un débat public contradictoire sur la RTS chaîne de télévision et de radiodiffusion qui nous appartient à tous. Nous aurions presque tendance à l’oublier.
Pour ce qui est de Guy Marius Sagna, et depuis le temps qu’il investit l’espace public, aucun débat contradictoire ne lui aura été sérieusement opposé par ceux qui auraient des arguments pour ce faire. Il est présent dans plusieurs manifestations et paie souvent de sa personne la défense de ses idées. Si les raisons de son arrestation sont celles évoquées dans la presse, elles semblent plutôt minces. Rien de vraiment périlleux pour la République ne suinte des propos qu’on lui prête. On a vu et entendu pire dans notre pays où la liberté d’expression est constitutive de l’ADN citoyen. A moins que la fébrilité de nos autorités ne s’explique par un certain agacement de la France. Les intérêts français sont, en effet, la cible privilégiée de Guy Marius Sagna qui a une autre idée des intérêts du Sénégal et de l’Afrique. Ce qui n’est pas criminel que je sache !
Pour ce qui concerne Adama GAYE, journaliste de talent et professionnel chevronné, si les posts qui lui sont imputés par voie de presse sont exacts et qu’il en assume la paternité, il va falloir reconnaître qu’il aura péché par excès. Tant la forme que le fond, s’il en est, des posts diffusés à travers les médias en ligne ne correspondent pas à ce qu’il a incarné de meilleur jusqu’ici. Plume distinguée des belles années du Quotidien National, Le Soleil, il a mené une carrière internationale honorable jalonnée de spécialisations diverses. Ayant plusieurs fois échangé avec lui sur sa page Facebook, j’ai pu noter la virulence de certains de ses propos. Question de tempérament et colère certainement légitime. Pour autant, et si ce qui a été publié est avéré et lui était opposable, je trouve indéfendables les propos qui lui sont attribués. Il a suffisamment de ressources intellectuelles et linguistiques pour dire son fait à n’importe qui avec hauteur et discernement.
Pour cette raison, je ne signerai pas la pétition qui confond, dans une même cause, Guy Marius Sagna et Adama Gaye. Deux causes qui ne me semblent pas de même nature en l’occurrence. Les amalgamer dans la notion de « liberté d’expression » me semble hasardeux. Même si je souhaite vivement qu’ils retrouvent la liberté. Rebeuss n’est pas la place de ceux qui n’ont ni tué, ni volé, ni violé ! Il est regrettable, a cet égard, que dans notre pays les canaux de médiation soient obstrués à un point tel que les missions de bons offices qui auraient permis de désamorcer certaines crises soient devenues quasi inexistantes. Il est vrai que le Président Macky Sall semble plus à l’aise dans l’adversité que dans la recherche et la construction de consensus forts et refondateurs. A de rares exceptions près d’ailleurs, la classe politique actuelle affectionne les effets de manches diurnes et les négociations nocturnes. Une manière de faire de la politique plutôt moyenâgeuse…
Au demeurant, je trouve les diligences du parquet particulièrement discriminatoires. Des personnalités de premier plan, aujourd’hui au pouvoir ou dans les bonnes grâces de celui-ci, ont tenu des propos peu amènes à l’endroit de Monsieur le Président de la République ou de notables de notre cité. Ces personnes, dont les propos sont encore vivaces sur YouTube ou autres archives écrites conservées par des internautes, sont disponibles et faciles d’accès. Et pourtant, certains font mine de n’avoir jamais rien entendu de tel. Cela commence à être tellement flagrant, ce deux poids et deux mesures, que le véritable danger qui pèse sur notre système démocratique est à rechercher de ce coté-la…
Revenons au potentiel énorme, en termes de création de richesses et d’emplois qu’offre à l’Afrique l’avènement de la nouvelle économie. Au lieu de nous égarer dans les méandres de vocaux sordides à partager entre oisifs aigris, inventons une Vision d’avenir qui nous fasse entrer de plein pied dans une nouvelle ère de progrès. Il suffit de voir autour de soi ce que font des jeunes entrepreneurs sénégalais en développant leurs affaires par le e-commerce. Envisager le potentiel de l’irrigation assistée par ordinateur. Comprendre la simplification et la démocratisation des procédures d’une administration très hautement informatisée. Et tant de potentiels qui dorment faute d’un leadership adéquat. Je rencontre des tas de jeunes gens qui pourraient faire du Sénégal entier une start-up ! Ouvrons leur des espaces d’expression de leurs rêves. Les générations qui montent n’ont pas connu la guerre froide, ni intégré ses schèmes manichéens. Nos enfants sont aptes à conquérir le monde ! A nous de leur en donner la possibilité.
L’erreur est de croire qu’un pays peut se développer avec un plan. Un pays est entraîné par une VISION. Le plan vient après. Lorsque vous voulez construire une maison et que vous allez voir un architecte, vous lui déclinez votre VISION. Votre rêve. Il le décline en plans. Puis il en confie les quantifications à des ingénieurs qui les font, à leur tour, réaliser par des constructeurs. Notre pays a besoin de générer une Vision, de stimuler les rêves de ses habitants. La Vision doit être le fruit d’intelligences diverses et non une recette de cabinet de consultants , encore moins une ordonnance des Institutions de Bretton Woods. C’est cela que les peuples attendent de leurs élites : être tirées vers le haut. Toujours plus haut !
Devrons-nous encore attendre longtemps ?
Amadou Tidiane Wone
(Source : Dakar Actu, 2 août 2019)