Casimir Leke Betechuoh : Vice-président chargé des Relations Internationales du projet Rascom I
mardi 7 août 2007
En décembre prochain, si tout est respecté, l’Afrique lancera son système satellite Rascom I grâce à la fusée ArianeSpace. Une vraie révolution pour l’univers des télécommunications sur le continent... “... Le Cameroun est l’un de trois premiers investisseurs dans le capital de Rascom... ” Haut responsable dans le projet Rascom (Regional african satellite communication organization), le Camerounais Casimir Leke Betechuoh fait le point sur l’état d’avancement de ce projet et ses enjeux pour le continent.
Pouvez-vous résumer en quoi consiste le projet Rascom I ?
L’Organisation régionale africaine de communications par satellite (Rascom), créée en Mai 1992 et ayant son siège à Abidjan, est l’expression de la ferme volonté soutenue de tous les Etats africains d’œuvrer ensemble pour créer et exploiter en commun des infrastructures de télécommunications propres à l’Afrique. Rascom est en fait la solution africaine formulée par les pays africains pour répondre à leurs besoins spécifiques tels qu’identifiés par eux-mêmes au cours d’une étude de faisabilité. Cette étude qui est la plus complète jamais menée dans ce domaine en Afrique, a couvert 50 pays africains et impliqué 600 experts nationaux.
L’objectif visé par les Etats africains en créant Rascom est de fédérer les besoins nationaux de manière à rendre le marché africain des télécommunications solvable et plus viable. A travers ce vaste marché, l’on obtiendra des économies d’échelles telles que les coûts des services de télécommunications accessibles à toutes les populations africaines, notamment celles des zones rurales. Il y a 45 pays Africains qui sont membres de Rascom aujourd’hui. Les autres pays qui ne sont pas encore membres vont adhérer incessamment, car il y a déjà quelques-uns qui frappent à la porte de Rascom.
Y a-t-il une nécessité pour l’Afrique d’avoir son propre système satellite ?
La nécessité pour l’Afrique d’avoir son système à satellite n’est plus à démontrer. Elle est même pressante. Surtout que nous sommes en plein dans la société de l’information et de la communication. Il y a désormais, en matière d’information des “ pays pauvres ” et des “ pays riches ”. L’Afrique doit avoir son système à satellite comme toutes les autres régions du monde.
Tenez : actuellement, une grande partie du trafic interafricain à faible débit et voire même à grand débit passe par des centres de transit situés hors du continent occasionnant des frais de transit excédant 500 millions de dollars Us (environ 250 milliards Fcfa) par an payés aux opérateurs étrangers comme frais de transit.
Le système à satellite Rascom va combler ce vide et il est le seul qui palliera au manque d’infrastructures connu sous les différents noms comme l’accès universel, fossé d’infrastructure, maillon manquant ou fossé numérique. La technique de la conception de ce système s’assure que le problème relatif au manque criard d’infrastructures sera résolu à un moindre coût sur une base solvable.
La transmission de données (Internet etc.) suit le même parcours en frais de transit comme pour la voix. Pour la transmission de données, la somme payée pour les frais de transit est estimée à près de 400 millions de dollars (environ 200 milliards de Fcfa) par an. Si vous additionnez les deux montants vous voyez déjà ce que l’Afrique, sans moyens, jette par la fenêtre chaque année en devises par manque de cette infrastructure de base de communications par satellite.
Il s’agit en fait de garantir aussi l’accès universel aux services de télécommunications en Afrique, surtout en zone rurale, tout en projettant le continent sur l’autoroute de l’information. Presque 70% de la population africaine vivent dans les zones rurales produisant plus de 40% des Produits bruts du continent. Donc, il faut nécessairement une infrastructure de télécommunications qui peut couvrir non seulement le continent mais aussi l’intérieur de chaque pays africain. D’où la nécessité d‘un satellite africain !
Combien va coûter ce projet pour l’Afrique ?
Le coût total du projet est dans l’ordre de 400 millions de dollars américains (200 milliards de Fcfa). Il couvre les coûts pour le satellite, la campagne de lancement, le système de contrôle du satellite, le lancement, l’Assurance, la conception du segment terrestre inclus le développement du segment terrestre etc.
Comment va concrètement fonctionner ce satellite pour couvrir tout le continent ?
Le système à satellite de Rascom est composé du segment spatial et du segment terrestre. Le segment spatial est constitué d’un satellite qui couvre toute l’étendue du continent africain incluant toutes ses îles en bande C et en bande Ku et qui sera situé à 2.85°E sur orbite à 36000KM.
Quel est l’état des contributions par les Etats africains pour la réussite du projet ?
L’état de contribution des Etats africains ne peut pas se chiffrer seulement en termes d’argent. Il est d’abord politique. Le fait de vouloir conjuguer les efforts ensemble pour un destin commun. Mais il faut aussi de l’argent pour soutenir la volonté politique car le satellite coûte cher, très cher même ! En ce qui concerne les contributions des pays africains dans le capital de Rascom cela se fait à travers les opérateurs nationaux de télécommunications en Afrique qui versent les parts d’investissement dans le capital de Rascom. Ce qui est payé à Rascom, ce ne sont pas des contributions comme dans les autres organisations intergouvernementales, ce sont les capitaux qui vont générer les dividendes lorsque le satellite sera opérationnel. Ces parts d’investissement sont allouées aux signataires de Rascom chaque fois que Rascom fait appel de fonds auprès de ses signataires. Mais comme vous le savez, il y a ceux qui croient souvent aux initiatives africaines et d’autres qui attendent que les miracles se fassent pour que ces objectifs assignés soient matérialisés.
Je voudrais par là dire que ce n’est pas tous les signataires qui sont investisseurs dans le capital de Rascom et ce n’est pas tous ceux à qui ont été allouées les parts d’investissement qui paient régulièrement et en temps voulu pour que Rascom puisse remplir sa mission. Mais je dois également vous rassurer que le Cameroun à travers Camtel est l’un des trois premiers investisseurs dans le capital de Rascom et siège au Conseil d’administration de Rascom.
Vous semblez très reconnaissant à l’endroit du Colonel Kadhafi. Quelle est la contribution spécifique de ce pays à la réussite du Satellite Rascom ?
La grande Jamahiriya Arabe Libyenne a beaucoup fait pour que ce projet puisse s’envoler. Je vais vous dire pourquoi. Pour le premier bouclage financier l’opérateur national des télécommunications de la Libye (General Posts and Telecommunications Company- GPTC) a investi 42 millions US (environ 21 milliards de Fcfa) dans le capital de la société, RascomStar-QAF. Une banque libyenne appelée “ Libyan Arab Foreign Bank ” (LAFB) a accordé un crédit de 84 millions US ( 42 milliards de Fcfa) à la société, RascomStar-QAF, sur instructions de Son Excellence Muhamar Kadhafi. En plus GPTC, un opérateur national des télécommunications en Libye a donné un crédit de 10 millions US (environ 5 milliards de Fcfa) à Rascom pour distribuer aux pays africains qui devraient payer leurs parts d’investissement dans Rascom, mais connaissaient des difficultés liées aux problèmes socio-politiques internes de leurs pays respectifs (crises ou guerres civiles etc.). Ces pays ne pourront rembourser les crédits à GPTC que lorsque le satellite Rascom-1 sera opérationnel et ces remboursements seront faits sur les dividendes et sans intérêts, s’il vous plait !
En plus, pour que le satellite soit lancé comme prévu en 2007, une autre institution financière Libyenne, la “ Libyan African Investment Portfolio ” (LAIP) vient de prendre les parts d’investissements additionnels dans la société RascomStar-QAF pour un montant total de 54 millions US (environ 27 milliards de Fcfa). Et pas plus tard que le 12 juillet 2007, une autre institution financière Libyenne a accordé un crédit de 48 millions US (24 milliards de Fcfa) à RascomStar-QAF pour lui permettre de respecter les délais de lancement du satellite en décembre 2007. LAIP a aussi pris des participations additionnelles pour un montant de 6,2 millions US (un peu plus de 3 milliards de Fcfa) en même temps que la GPTC de la Libye qui a aussi fait un investissement additionnel de 8 millions US (un peu plus de 4 milliards de Fcfa) dans le capital de RascomStar-QAF pendant la période allant du 15 juin au 20 juillet 2007.
Le centre du contrôle du satellite est en construction actuellement aux frais de la Libye. Ce que je dois dire et préciser est que toutes ces institutions financières libyennes qui ont investi énormément dans ce projet de Rascom ont eu d’autres projets plus juteux où elles pouvaient tirer plus de profits mais ont décidé d’investir dans le projet Rascom par respect de ce projet continental. La Banque Ouest Africaine de Développement (Boad) vient d’être le 46e membre de Rascom depuis le 23 juillet 2007.
Pourquoi avoir choisi ArianeSpace pour le lancement de ce satellite en décembre prochain ?
Ce n’est pas par plaisir ou même parce qu’on aime telle ou telle société. Le choix a été fait selon les normes internationales et standard d’appel d’offres. Et comme vous le savez, Ariane Space est l’un des meilleurs en matière de qualité de lancement des satellites dans le monde. C’est d’ailleurs Ariane qui lance beaucoup de satellites pour d’autres structures comme la nôtre. Avec un taux de réussite irréprochable et très respecté dans l’industrie on ne pourra pas faire mieux.
Quelle assurance pouvez-vous donner quant à l’effectivité du lancement du satellite Rascom I en décembre prochain ? Est-on sûr que cette échéance sera respectée ?
Pour répondre à la première partie de la question, le taux de réussite du lancement par Ariane Space est très élevé à presque 99.99%. Mais dans tous les cas, il faut se confier aussi en Dieu et prier pour que ça se passe très bien. Pour ce qui est de la certitude au niveau de la date de lancement, je peux vous dire qu’on est sûr du lancement à l’échéance fixée. Sauf cas de force majeure ou catastrophe comme les intempéries dues au mauvais temps du climat à l’endroit du lancement au jour J-0.
Beaucoup pensent que la plupart des pays africains sont pauvres et ne comprennent pas comment on peut, dans ces conditions, se focaliser sur un projet comme celui du satellite. Que peut apporter le satellite Rascom dans le développement du continent ?
C’est l’éternel débat : qui vient en premier, l’oeuf ou la poule ? Je me borne à citer le représentant de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique centrale quand il a dit en mai 2007 lors de la cérémonie d’un atelier sur les Tics à Douala que : “ Aujourd’hui, les Technologies de l’Information et de la Communication peuvent non seulement contribuer à la croissance économique générale (dont les effets devraient être perçus par une augmentation du revenu des pauvres) mais aussi à la croissance relative en faveur des plus démunis. L’utilisation des Tic permet un meilleur accès à l’information pour le développement et constitue un vecteur puissant d’amélioration des conditions de vie des plus démunis notamment les personnes à la recherche d’un emploi”. Je dois ajouter que pour que cela se fasse et que les outils de l’information et de la communication contribuent à réduire non seulement le fossé numérique mais également la pauvreté, il faudrait que les pays africains soient dotés des infrastructures de base de télécommunication surtout dans le monde rural qui constitue plus de 70% de la population africaine vivant dans ces zones isolées et produisant plus de 40% de Pib africain annuellement.
Yves Djambong
(Source : Le Messager, 7 août 2007)