Cameroun : vague d’indignations autour de la taxe sur les téléphones portables et tablettes
dimanche 11 octobre 2020
Une taxe d’une valeur de 30% du téléphone ou de la tablette à la sortie d’usine sera imputée aux utilisateurs de ces appareils dès le 15 octobre 2020. La décision prise par le gouvernement camerounais crée de vives réactions.
C’est une grande première. Se voir prélever des frais d’usage de son appareil mobile : certains ne comprennent pas forcement et d’autres refusent tout simplement. Mais cette décision est sans appel depuis que le gouvernement l’a annoncée le 29 septembre dernier. Désormais chaque téléphone ou tablette connecté (e) à un réseau de télécommunication camerounais pour la première fois à partir du 15 octobre 2020, aura sont IMEI enregistré et recevra un SMS indiquant à l’usager le montant des droits de taxes à payer.
Selon les explications de Minette Libom Li Likeng la ministre des postes et des télécommunications, la plateforme de collecte numérique des droits de douane et taxes sur les téléphones portables propose automatiquement au consommateur une option de facturation (paiement intégral en une fois ou paiement en plusieurs fois des droits dus) en fonction du type de téléphone utilisé.
Cependant, les téléphones portables en cours d’utilisation au Cameroun qui ont déjà été connectés, au moins une fois, à un réseau de téléphonie d’un opérateur local avant le 1er octobre 2020, sont considérés comme « dédouanés » et ne sont dès lors pas concernés.
Les téléphones portables des voyageurs qui séjournent temporairement au Cameroun et qui utilisent leurs terminaux en mode « roaming » sont également dispensés dudit prélèvement.
Concernant les importateurs, ils sont informés que ces appareils électroniques peuvent être importés en suspension des droits et taxes de douane, en dehors des cas où l’importateur procède au paiement spontané des droits exigibles.
« Dans ce cas, l’importateur lève une déclaration en douane et procède immédiatement au paiement des droits et taxes de douane dus. Une fois le paiement réalisé, la plateforme est renseignée par l’Administration des Douanes afin d’éviter une double imposition ultérieure », a expliqué la ministre.
Pourquoi une telle mesure ?
A cette question Paul Zambo mandaté par l’Etat et promoteur de ARINTECH, la plateforme impliquée dans cette taxation, a expliqué qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe mais d’un changement de procédé de collecte des frais douaniers sur ces gadgets.
D’après lui, cette disposition intervient suite aux voies créées par les importateurs pour contourner la douane. Pour lui, il s’agit de troquer la frontière physique pour la frontière numérique.
Mais c’est une pilule qui a du mal à passer pour les populations. La toile reste d’ailleurs très enflammée depuis la nouvelle.
« Ce n’est pas de la faute du consommateur s’il y a des failles dans le système, au lieu de renforcer le système de douanes, vous choisissez de spolier les citoyens. vous n’avez pas toujours expliqué qui est Arintech et sur quelle base vous lui confiez des données, on dirait plus une société écran qu’autre chose », s’est insurgé un internaute sous un tweet de la ministre des télécommunications.
Pour Amba Salla Patrice, ex ministre camerounais, le téléphone portable ou la tablette sont des marchandises au même titre que le textile et les chaussures ou le vin. Leur facilité de dissimulation ou d’assimilation à des effets personnels ne doit pas créer l’illusion de l’exonération.
« Ce n’est pas parce qu’on ne paie pas une taxe qu’elle n’existe pas », précise-t-il dans un tweet.
Certains médias remettent en cause la crédibilité de cette mesure et même des parties prenantes. Notamment la plateforme de collecte en question. Celle dont le promoteur a vanté la qualité des ordinateurs spéciaux offerts aux étudiants camerounais par le Chef d’Etat en 2018. Un don mal apprécié jusqu’à présent.
Selon Rebecca Enonchong, une référence camerounaise dans l’écosystème des TIC, « cette société qui jusqu’ici n’a pas la moindre présence sur le web, ne démontre aucune expérience dans le domaine mais devra avoir des centaines de millions de données venant des telcos ».
Elle trouve cette mesure dangereuse parce qu’elle ne donne aucune garantie que l’Etat n’utilisera pas cette plateforme pour ponctionner le crédit de plus de 20 millions d’abonnés pour n’importe quelle autre raison.
Au niveau du réseau National des consommateurs du Cameroun (RNC), c’est la rage. Aucune langue de bois n’y est employée pour dénoncer « les criminels » derrière cette mesure.
« Comment pouvez-vous demander à un consommateur de payer la douane sur un téléphone en lieu et place de l’opérateur économique qui l’importe dans le pays. Cette loi est unique dans le monde. C’est du grand n’importe quoi… C’est inadmissible », s’insurge le Syndicat.
Avec cette loi, on légitime le commerce illicite des téléphones, pense Francis Herve Eyalla Saba, le président exécutif national de ce réseau.
« Car la loi dit que si vous achetez un téléphone non dédouané, c’est vous qui payez ensuite la douane après avoir inséré votre SIM dans celui-ci en tant que premier utilisateur, ce qui est une aberration », fustige-t-il.
Et pourtant « le Cameroun n’est pas une exception pour ce qui est de cette collecte numérique de la taxe douanière. Plusieurs pays ont procédé à cette méthode de collecte via une plateforme », a précisé la ministre des télécommunications.
Quelques-uns essaient d’accepter la nouvelle en espérant un rabais sur les prix de ces appareils sur le marché même s’ils ne comprennent pas qu’au lieu de s’attaquer aux importateurs qui ne suivent pas les règles, le gouvernement choisi de coller la facture aux utilisateurs.
Mais pour Minette Libom Li Likeng les téléphones ont toujours été taxés au Cameroun et il est de la responsabilité du consommateur de s’assurer que le téléphone acheté est dédouané !
Dans un pays qui se veut promoteur du numérique, le téléphone portable devient t-il un luxe pour les Camerounais ? Ne faudrait t-il pas préconiser la transparence dans le procédé de collecte d’impôts ? Les interrogations des camerounais sont multiples.
« C’est risible à tous les niveaux », pense un autre internaute.
Autant de questions et de vives réactions qui ne cessent de se manifester. Quelques réponses de la ministre en charge des TIC font savoir que la question de la protection des données est prise très au sérieux par le gouvernement.
« C’est en tenant compte de cela que plusieurs mesures ont été prises, entre autres le lancement de la campagne nationale contre la cybercriminalité et l’utilisation responsable des réseaux sociaux », précise-t-elle sur Twitter.
Tout en rassurant que les protocoles utilisés ont fait l’objet d’un travail d’ensemble entre son ministère, les régulateurs et les opérateurs de téléphonie afin de s’assurer de la protection du consommateur.
Malgré cela, les réactions chaudes ne cessent de se manifester. Rendez-vous jeudi prochain pour le début d’application.
Aurore Bonny
(Source : CIO Mag, 11 octobre 2020)