Cameroun : Déploiement de la fibre optique - L’interconnexion se dessine, réaction de Jean-Louis Fullsack
samedi 17 septembre 2016
Les fonds ont permis de couvrir les opérations d’assistance technique pour l’implantation de l’infrastructure en Afrique centrale. Le comité de pilotage s’est réuni mercredi à Yaoundé.
Le projet Central African Backbone (CAB) vise à créer un réseau de télécommunications haut débit à fibre optique d’Afrique centrale. L’initiative a été motivée par l’absence d’un réseau haut débit dans les pays de la sous-région, laquelle a pour conséquence, le coût élevé des services de télécommunications qui se fait sentir sur le climat des affaires dans la zone. Du coup, les échanges commerciaux demeurent coûteux, ce qui limite les opportunités de création d’emplois et de production des biens et services.
Le comité de pilotage national du projet CAB s’est réuni en sa quatrième session pour évaluer les avancées du projet. La première phase de financements de la Banque mondiale a été bouclée. Elle couvrait les opérations d’assistance technique nécessaires pour renforcer l’environnement sectoriel et permettre la structuration du partenariat public privé pour l’établissement du projet. « Nous nous rendons compte que nous avons vraiment atteint nos objectifs.
Des études ont été faites, un bon nombre d’équipements ont été acquis par les différentes structures du secteur des télécommunications (ANTIC, CAMPOST) et nous avons acheté des équipements pour le contrôle des fréquences, en marge de notre tableau de régulation », a indiqué le ministre des Postes et Télécommunications (MINPOSTEL), Minette Libom li Likeng, présidente du comité de pilotage du projet.
Note JLF : Quel rapport entre les « équipements pour le contrôle des fréquences » avec le CAB qui est une infrastructure de câbles à fibres optiques ?
A présent, explique le MINPOSTEL, « nous allons évaluer la manière dont les structures qui ont bénéficié des études les ont mises en oeuvre afin de voir dans quelle mesure ce projet s’intègre dans la stratégie de développement de l’économie numérique ». Le CAB est un projet d’interconnexion des pays de la sous-région Afrique centrale via la fibre optique. En effet, le Cameroun possède plusieurs points d’atterrissement de la fibre optique et les pays de l’hinterland ou ceux dotés d’une façade maritime ne bénéficient pas toujours de points d’atterrissement.
Note JLF : En effet, le Cameroun possède trois stations d’atterrissement ; coût d’investissement d’une station (CAPEX) entre 4 et 6 millions de dollars. C’est au moins une de trop. A ces coûts s’ajoutent ceux de leur intégration dans le réseau dorsal national, ainsi que les coûts d’exploitation (OPEX) significatifs annuels. A titre de comparaison, seule l’Afrique du Sud, avec ses deux grandes façades maritimes, a trois stations d’atterrissement, alors que le Sénégal –dont le trafic est plus de dix fois plus important- n’en a qu’une.
Le Cameroun a dépensé en outre 35 millions de dollars pour le système de câble sous-marin NCSCS entre Kribi et Lagos. Celui-ci est un « double doublon » de la section Kribi-Lagos du câble sous-marin ACE d’une part, et de la section Douala-Lagos du câble sous-marin SAT-3 d’autre part ! Deux « éléphants blancs » en pleine mer : un record en investissements inutiles … et qui continueront en outre d’absorber un budget annuel de fonctionnement imposant ! Pendant ce temps le Cameroun se classe 153ème sur 187 pays dans le Rapport sur le développement humain 2015 du PNUD. Cherchez l’erreur … et évaluez la somme astronomique ainsi dilapidée dans le secteur des TIC/télécoms au détriment d’autres secteurs bien plus contributifs au développement et réellement vitaux (santé, éducation).
Il est donc question de connecter ces pays aux points d’atterrissement camerounais à travers le backbone qui servira de colonne vertébrale.
Commentaire final : Pour ce qui est du projet CAB, l’ONG CESIR, que j’ai l’honneur de présider, a démontré son inadéquation, topologique, architecturale et opérationnelle, par rapport à ses fonctions de Réseau d’interconnexion sous-régional à tous les organismes internationaux concernés par sa conception, son financement ou sa réalisation : Banque mondiale (BM), Commission européenne, Parlement européen, Banque européenne d’investissement (BEI) , Union internationale des télécommunications (UIT)T et Banque africaine pour le développement (BAD). Mieux, le CESIR a proposé à tous ses organismes les modifications profondes et incontournables à apporter au projet du CAB afin qu’il réponde aux normes technologiques, architecturales et fonctionnelles propres à un réseau d’interconnexion de cette importance. Sans aucun effet, car les organismes à la base de sa conception, la BM, l’UIT et la BAD ont tout simplement maintenu leur projet « par principe ». Le lecteur intéressé, trouvera sur mon blog http://jlfullsack.eu/wp/blog/2014/10 les commentaires et réflexions sur ce sujet.
Conclusion : Arrêtons de saluer systématiquement tout nouvel investissement dans les TIC/télécoms, ou toute réalisation en termes de réseaux en Afrique. Ayons, au contraire, une attitude plus citoyenne, analytique, critique et responsable, afin d’alerter le cas échéant l’opinion publique –et en premier les organisations de la société civile africaine- dans le but de limiter autant que possible des gabegies telles que celles citées ici, pour le seul Cameroun et pendant une très courte période.
Une pensée personnelle : J’ai connu dans ma vie active le Cameroun avec plus d’inspiration, de compétence et de vision ... Je regrette d’autant plus cette régression et cette gestion irrationnelle du domaine stratégique pour le pays, mais aussi -dans le cas présenté ici- pour toute la sous-région. Espérons donc que cet envoi inspire ceux, parmi les responsables actuels, qui sont conscients de cette dérive et ne peuvent qu’assister impuissants à celle-ci. Je leur exprime ma sincère solidarité et tous mes encouragements.
Jean-Louis Fullsack
(Source : Burkina NTIC, 17 septembre 2016)