Brelotte Ba, Directeur des opérations internationales de la Sonatel sur la taxe sur les appels entrants : « Les 60 milliards, ce sont les émigrés qui vont les payer à 98% et les consommateurs locaux vont payer le reste »
vendredi 9 septembre 2011
La hausse inévitable des coûts des communications pour les consommateurs avec les émigrés qui vont trinquer, la violation par le Sénégal des réglementations internationales qu’elle a signées, l’illégalité de la surtaxe décidée par Wade, les contradictions du gouvernement su cette affaire, l’Artp qui ne joue pas son rôle dans cette affaire. Le Directeur des opérations et des relations internationales de la Sonatel échange avec nous sur toutes ces questions.
Il y a aujourd’hui trop de polémique qui entourent la question de la surtaxe des appels entrants. En des termes profanes, de quoi cela retourne ?
Sur le plan international, les opérateurs s’échangent des services, des terminaisons de trafics sur le réseau, nos clients d’Orange veulent appeler à l’international, de la même manière les Sénégalais émigrés qui sont à l’étranger. Les opérateurs se mettent d’accord dans le cadre de règles qu’ils ont validé pour définir dans quelle condition de qualité et dans quelle condition financière ils peuvent s’échanger de services. Pour prendre un exemple simple, on peut prendre deux compagnies de transport : une compagnie A qui est à Dakar et une compagnie B qui est à Saint-Louis. La compagnie A prend les voyageurs à Dakar qu’elle emmène à Saint-Louis et la compagnie B fait l’inverse. Ces deux compagnies peuvent se mettre d’accord sur des modalités de facturation entre les passagers qui quittent Dakar pour venir à Saint-Louis. Et les passagers qui quittent Saint-Louis pour venir à Dakar, sur la base des flux. La compagnie de Dakar peut dire pour chaque voyageur qui arrive, je vous facture 500 francs et la compagnie de Saint-Louis pour chaque voyageur je facture 500 francs. Dans le domaine des télécommunications, c’est exactement la même chose. On définit les modalités techniques, les modalités de facturation, les prix. La surtaxe, elle résulte de l’intervention d’un tiers, notamment l’Etat, qui dit à la compagnie de Dakar ; écoutez, désormais vous ne demanderez plus 500 francs à chaque client, mais demandez 1000 francs. Dès qu’on dit maintenant c’est 1000 francs au lieu de 500 francs, l’opérateur va dire aux clients, on me demande plus, vous vous n’allez plus payer 500 francs mais 1000 francs. L’augmentation sera supportée par les passagers, pour reprendre l’exemple des télécommunications. Ce sera supporté par les usagers. Contrairement à ce que les gens veulent faire croire en disant que ce sont les administrations qui vont le payer, 98% des trafics qui nous arrivent nous viennent des émigrés. Ces opérateurs étrangers, dès lors qu’il y a une application de la surtaxe par l’Etat, vont dire aux immigrés, nous on augmente les prix, vous allez payer plus cher.
À vous entendre parler, avec la surtaxe, la hausse des coûts des communications est inévitable pour les consommateurs
Oui. Parce que d’autres opérateurs diront : « nous on ne veut pas faire porter la surtaxe à nos propres clients. Désormais on va appliquer la réciprocité ». Certains opérateurs ont dit à la Sonatel : « nous on va vous appliquer la réciprocité ». Sonatel ne pouvant pas supporter ces prix-là, parce qu’il faut garder à l’esprit que, depuis 10 ans, nous avons régulièrement baissé les tarifs sur l’international. Aujourd’hui, on appelle sur l’international avec 140 francs ttc la minute. Or, l’ampleur de l’augmentation ne pouvant être supportée par l’opérateur sera répercutée sur le client final. In fine les 60 milliards, ce sont les émigrés qui vont les payer à 98% et les consommateurs locaux vont payer le reste.
Si les émigrés sont les grands perdants dans cette affaire, comment se fait-il qu’on ne sente que les travailleurs de la Sonatel ?
Il y a la forte opposition des Sénégalais de la diaspora, eux-mêmes se sont plaints d’une augmentation du tarif. Ce sont des Sénégalais qui sont en Espagne, en France, en Italie, qui sont là-bas dans des conditions parfois très précaires, qui travaillent beaucoup pour envoyer de l’argent à leurs parents et qui trouvent un réconfort dans ces appels-là. Et on leur demande de payer 60% plus cher. Les émigrés transfèrent entre 500 et 600 milliards chaque année. Leur demander de payer plus cher ; c’est-à-dire appeler moins et potentiellement transférer moins à leurs familles. On voit tout de suite quel est l’impact.
La hausse sera supportée aussi par le consommateur local et la politique de Sonatel, ça a toujours été de baisser les prix. Depuis dix ans, on baisse habituellement les prix. Du jour au lendemain, on demande au consommateur local de payer plus du fait de l’introduction d’une taxe. Il y a deux pays qui nous appliquent la réciprocité, c’est la Mauritanie et la Guinée, où le tarif est passé de 200 à 250 francs Ttc. Il y a un certain nombre de pays qui vont nous appliquer la réciprocité. En Europe les gens ne se posent pas de questions. Ils vont l’appliquer. Dans la zone Afrique, il y a beaucoup de pays qui appliquent la réciprocité. Ce sera beaucoup plus cher dans ces pays-là et ça représente une portion importante du trafic.
De quel ordre ça va être ?
Si on estime les pays trafics départ, notamment les pays de la sous-région, ça peut représenter jusqu’à 50% du trafic. Il s’agit essentiellement du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée.
Le bruit que la Côte d’Ivoire avait suspendu la relation avec le Sénégal était-il fondé ?
Oui, la Côte d’Ivoire était allée jusqu’à complètement suspendre la relation. Parce que, la pratique du secteur est régie par le règlement des télécommunications internationales ; c’est la négociation bilatérale. Et la négociation bilatérale, ça veut dire, considérant les volumes qu’on s’échange, le coût pour chaque opérateur de fournir ces services-là, les opérateurs se mettent d’accord sur un prix raisonnable, un prix qui permet de rémunérer le réseau. C’est ça la négociation et ça se prête mal à l’intervention d’un Etat qui, de manière unilatérale, décide d’un prix. Les opérateurs sont souverains et ils peuvent dire dans ces conditions-là, nous ne souhaitons pas poursuivre la relation. Ça peut aller jusqu’à l’interruption du service. C’est arrivé l’année dernière avec la Côte d’Ivoire. C’est-à-dire tous nos abonnés ne pouvaient pas appeler vers la Côte d’Ivoire et recevoir d’appels. Ce qui est quand même dramatique pour la forte communauté sénégalaise là-bas.
Dans tout ça, que dit la réglementation internationale ?
Il faut savoir que le Sénégal est signataire des réglementations internationales qui prévoient des négociations bilatérales libres sans l’intervention des Etats. Donc, le fait d’introduire cette taxe est clairement une violation des engagements internationaux dont le Sénégal est signataire.
Cette affaire, c’est vous qui la considérez comme une taxe, mais, de l’autre côté, les promoteurs parlent de quote-part ?
On a vu, un certain nombre d’explications : taxe ou quote-part ? Il y a de la confusion sur les mots. Il faut regarder quel est l’objet qu’on cherche à désigner. Par définition, un impôt est un prélèvement obligatoire effectué d’autorité par un Etat sur les ressources des personnes résidentes et devant être affecté à l’utilité publique. Quand on regarde l’objet, c’est un prélèvement obligatoire, l’Etat ne donne à aucun opérateur la possibilité d’adhérer ou de ne pas adhérer. Le décret définit le taux, c’est 49,2 sur le mobile avec un minimum de 141 et 75,45 sur un minimum de 141, il définit le taux et il définit le mode de recouvrement. Il s’agit d’une taxe et dans notre Constitution, article 67, seule l’Assemblée vote les lois notamment en matière d’impôts, détermine le taux, l’assiette et le mode de recouvrement. Pour cette raison, on estime qu’un décret ne saurait introduire une telle taxe, c’est au Parlement, à l’Assemblée de voter les taxes. La quote-part, c’est le montant qu’on définit d’accord parties entre les opérateurs. L’Etat n’est pas partie prenante dans cette affaire. Quand on voit ce que l’Etat introduit, c’est une taxe, un impôt.
Au-delà de cette querelle sémantique, qu’entendez-vous faire concrètement ?
L’année dernière nous avions introduit un recours en annulation à la Cour suprême pour annuler le décret. Malheureusement, un an plus tard, il n’y a toujours pas de décision. Nous allons introduire un nouveau recours en annulation à la Cour suprême.
Quelle est la position des opérateurs ?
Les opérateurs sont contre une telle mesure, ça remet en cause toute la relation bilatérale. Quoi qu’il en soit, les opérateurs prennent acte de ce nouveau tarif et en tirent des conséquences. Je regrette que de cette manière on remette en cause tout une pratique de ces opérateurs, mais, en aucune manière, ils ne sont prêts à supporter ce coût-là. Il y a aussi le Gsma qui regroupe plus de 700 opérateurs. On introduit la surtaxe dans un moment où les opérateurs ont besoin de ressources pour investir et développer la couverture. Il y a un développement important du mobile dans tous les pays, notamment au Sénégal. En 2001, il y avait à peu près 3 Sénégalais sur 5 qui avaient accès au téléphone mobile, aujourd’hui, c’est 3 sur 4. Il y a 9 millions d’abonnés. Il y a également un développement très fort de l’internet.
Le Président a fait de la réduction de la fracture numérique un credo, au moment où il faut beaucoup investir pour développer les infrastructures, développer la connectivité, on comprend mal qu’il y ait trop de taxations sur un secteur, ce qui va avoir fatalement des incidences sur les investissements, les emplois à terme.
Ça va à l’encontre de la lutte contre fracture numérique ?
Absolument, avec les taxations ce qu’on propose de financer n’a rien à voir avec le domaine des télécommunications, qui est déjà extrêmement taxé. Sonatel contribue à hauteur de 12% de recettes fiscales du Sénégal, elle verse 175 milliards par an. Rien qu’avec la Tva et la Ritel, on est sur un taux de 23% sur les consommations alors que les règles communautaires imposent 20%. Sonatel est l’entreprise la plus taxée au Sénégal, et à ma connaissance, il n’y a pas un pays où il y a une pression fiscale aussi importante sur un seul opérateur. Et il faut aller plus loin, il ne faut pas que ça soit la taxe de trop qui tue la Sonatel qui représente 80% des télécommunications au Sénégal, ça veut dire moins d’investissements pour étendre la couverture, moins d’investissements pour l’accès à l’internet. Sonatel a 61% de parts, c’est-à-dire 6 millions d’abonnés, 75% du mobile du Sénégal. Dans le domaine de l’internet, c’est encore faible, à un moment où le secteur a besoin d’investissements, d’autres infrastructures, plus de pénétration, ça demande que le secteur soit accompagné et non agressé de toutes parts. 10% de taux de pénétration supplémentaires sur le réseau Sonatel, c’est 1% de taux de croissance du Pib, donc il faut laisser le secteur se développer et il y aura des impacts sur l’économie.
L’argument de baisse induite par la surtaxe que vous brandissez est aussi battu en brèche
C’est illogique et inimaginable de penser que quand les prix augmentent de 60%, les coûts vont baisser. Il y a une augmentation de 60% sur le tarif et ça introduit une baisse de 15% sur le volume sur la période d’application comparée à l’année précédente. Ce qui est logique. Or, on voit certains utiliser des chiffres complètement fictifs qui ne reposent sur absolument rien. Les chiffres officiels, ceux qui sont échangés et validés entre Sonatel et l’Artp, montrent une baisse de 15%. L’Artp elle-même a refacturé la surtaxe. Déjà la thèse elle est illogique et la réalité confirme bien qu’il y a une baisse significative du trafic quand une telle mesure a été appliquée.
Quels types de conséquences induit une baisse du trafic ?
Une baisse du trafic a des conséquences pour tous les acteurs. Pour les consommateurs qui étaient habitués à appeler les parents, ils ne peuvent plus les appeler. Il y a également les conséquences sur les opérateurs, une perte de revenus et il y a un impact pour l’Etat. Parce que l’Etat collecte des taxes sur les opérateurs. L’Etat en tant que deuxième actionnaire de la Sonatel va percevoir moins de taxes.
Un document qualifié de faux circule et il se dit que c’est un des arguments qui ont pesé sur la décision du Président. En êtes-vous informé ?
Nous avons juste vu dans la presse des commentaires qui seraient issus de ce document-là. Nous n’avons pas connaissance de ce document. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les restitutions qu’on voit ici et là dans la presse montrent des chiffres faux. Et l’on est indigné qu’à ce niveau-là on essaie de falsifier des chiffres pour faire avaliser une thèse selon laquelle quand on augmente les prix les volumes vont augmenter. C’est illogique, ça n’a pas de sens, la réalité, si d’aventure c’est sur la base qu’on a pu lire ça et là qu’une telle décision de mise en place du décret a été prise, on espère que les éclaircissements fournis par les acteurs du secteur permettront de revenir rapidement à la vérité.
Etes-vous de ceux qui croient à une manipulation du chef de l’Etat ?
Le secteur des télécommunications comporte beaucoup d’acteurs, il y a eu une réunion de concertation, les acteurs ont déploré l’empressement dans cette affaire-là ; une signature le 24, une application le 1er septembre, il n’y a pas eu le temps de prendre tous les avis des professionnels du secteur. Quelles que soient les informations que le Président a pu recueillir, une telle décision n’aurait pas dû être prise. Quoi qu’il en soit, ils ont indiqué qu’une telle mesure doit être très rapidement annulée. Même l’Etat dans le Conseil d’administration est contre cette mesure.
L’Etat se contredit donc ?
Oui, l’Etat se contredit.
Quelle devrait être la position de l’Artp ?
L’Artp est l’autorité de régulation du secteur des télécommunications et des postes, elle est une autorité administrative, dont les compétences et les missions ont été clairement définies dans la loi. L’autorité de régulation assure le contrôle de l’application de la réglementation et veille au respect des dispositions de la loi sur les télécommunications. À ce titre, l’Artp doit surtout s’intéresser au fonctionnement du secteur des télécommunications, s’assurer que la concurrence se passe dans de bonnes conditions, que les consommateurs ne soient pas lésés, que l’usage augmente dans le secteur des télécommunications, qu’il y a développement des infrastructures, que les intérêts de toutes les parties sont préservés. L’Artp si on considère tout ça, devrait ne pas comme on a pu le voir soutenir une telle mesure. Ça va se traduire par une augmentation significative de la fraude. Il faut voir que dans le décret, il y a beaucoup d’articles qui sont consacrés à la fraude. Comment perdre beaucoup d’énergie à lutter contre la fraude sachant que c’est une mesure d’augmentation des tarifs qui l’a introduite ? Si on regarde le Code des télécommunications et même les missions de l’Artp, l’Artp ne devrait pas soutenir une telle mesure. Cela dit, il faut poser la question aux responsables de l’Artp, pour savoir en vertu de quelle mission ils ont cru devoir soutenir une telle mesure.
Malgré tout ce que vous dites, le reproche est assez souvent fait à la Sonatel d’être une entreprise qui se sucre trop sur le dos de ses clients et qui passe son temps à les arnaquer
Une telle critique est fausse, elle est à la limite une diffamation, quand vous regardez ce que fait Sonatel, il faut considérer déjà que sur les 10 dernières années, Sonatel a été le premier investisseur sur le secteur des télécommunications. Si on a pu atteindre 75% de taux de pénétration, c’est que Sonatel a 60% de parts de marché. Nous avons développé l’Adsl, l’internet, le mobile. Depuis 10 ans vous n’avez pas entendu d’augmentation des tarifs, donc Sonatel a beaucoup fait pour les consommateurs. Évidemment ce n’est jamais assez. Sonatel a investi plusieurs dizaines de milliards pour être une référence. Mais nous souhaitons faire beaucoup plus pour nos clients.
Propos recueillis par Birane Lo
(Source : Le Populaire, 9 septembre 2011)